Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19. Malgré l’ouverture de la vaccination, les travailleurs en « deuxième ligne » loin d’être enthousiastes

Avril 2021, par Info santé sécu social

Particulièrement exposés au public, et donc au coronavirus, les caissiers ou agents de sécurité de plus de 55 ans pourront se faire vacciner à partir de samedi sur des créneaux prioritaires. Mais la nouvelle ne les emballe pas forcément, la faute notamment au vaccin proposé.

par Miren Garaicoechea
publié le 22 avril 2021

« Chez nous, la direction ne parle pas vaccination. Tout ce qu’on apprend, c’est par la télé », annonce, d’entrée Awa (1). A 59 ans, elle est caissière dans un supermarché à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Depuis un an, rien n’avance. « Les clients masque sous le menton, les collègues, sous le nez… Alors oui, on a du plexiglas. Mais on n’est toujours pas à l’abri. »

Les caissières comme Awa pourront se faire vacciner à partir de samedi. Une vingtaine de professions de « deuxième ligne » – caissières, agents de nettoyage, bouchers, boulangers, agents de sécurité, conducteur de bus, chauffeurs VTC – sont en effet concernées par la liste révélée mardi par la ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion Elisabeth Borne. En tout, 400 000 personnes de plus de 55 ans travaillant dans le privé bénéficieront de créneaux dédiés dans les centres de vaccinations, pendant deux semaines, « a minima ». Enseignants et forces de l’ordre de plus de 55 ans avaient déjà accès à ce dispositif depuis le 17 avril, tandis que l’intégralité de cette tranche d’âge peut se faire vacciner, sans être prioritaire, depuis le 12 avril.

« On nous refile ce dont d’autres ne veulent pas »
Mais Awa regrette de ne pas avoir le choix de son vaccin. « Pourquoi les centres ont-ils du Moderna et nous de l’AstraZeneca ? » fulmine-t-elle. Seul ce dernier est en effet proposé pour ces salariés prioritaires. Mais, atteinte d’une maladie auto-immune rare causant des thromboses, une des complications possibles avec l’AstraZeneca, Awa devra d’abord faire des tests afin de vérifier la fluidité de son sang. Et ça la met en colère : « Ce n’est pas normal, on nous refile ce dont d’autres ne veulent pas. »

Dans le XVIIe arrondissement de Paris, Annie, 61 ans, syndiquée Sud, est également remontée. Elle ne se fera pas vacciner : « Ils ont été conçus à la va-vite, et puis je ne prends déjà pas de médicaments… » Mais elle ne peut s’empêcher de voir, ici, « une petite pointe de mépris » envers la profession. « J’ai l’impression qu’on se moque de nous. Parce qu’il y a des doutes sur [l’AstraZeneca], ils proposent de le faire à une population modeste. On n’est pas des cobayes. »

De l’autre côté de Paris, Allel a beau avoir 62 ans, il n’ira pas non plus. L’agent de sécurité d’Evry, dans l’Essonne, attend « les autres vaccins, comme tout le monde ». Comprendre, le Pfizer. Il a côtoyé le coronavirus de près, il y a un an. « Pas d’odorat, pas de goût pendant deux semaines. Il y avait eu deux cas positifs dans mon entreprise ». Aujourd’hui ce n’est pas le virus qui l’inquiète, mais bien le vaccin. Alors il n’ira pas. Ou plutôt, seulement si c’est obligatoire pour se rendre en Algérie, où résident ses parents. « Je ne les ai pas vus depuis deux ans », regrette-t-il.

« C’est de la communication »
Djamel Benotmane, secrétaire général du syndicat CGT départemental parisien dédié aux agents de sécurité, trouve « positive » l’annonce de cette vaccination prioritaire. Mais il ne faudrait pas que cela serve de cache-misère : « C’est bien beau de dire qu’on va vacciner. Mais quand j’entends qu’on est des personnels de deuxième ligne… Dans les hôpitaux avec les infirmiers, dans les gares, les transports, les grandes surfaces, on est tous en première ligne ! » Cette vaccination servirait surtout selon lui « à faire tourner la boutique », pour qu’ils continuent de travailler. « Et pour quoi ? Un salaire de misère. » L’élu précise qu’après quatorze ans de profession, il touche 1 300 euros nets, « avec une augmentation de seulement 2 % il y a un an ».

Les volontaires à la vaccination se font entendre péniblement : Mickaël (1), agent de sécurité bordelais de 50 ans, est déçu de ne pouvoir y avoir accès. « Vacciner seulement les plus de 55 ans, c’est de la communication », lâche-t-il. Selon lui, « on annonce ici des choses, tout en sachant que ça ne concernera que peu de monde ». L’âge moyen des 198 000 agents de sécurité (plus que le nombre de policiers) est « très bas ». Un agent sur dix seulement aurait plus de 50 ans, selon l’Observatoire des métiers de la prévention et de la sécurité. Mickaël aurait préféré que toutes les personnes en interaction avec du public puissent être vaccinées, sans critère d’âge. « On nous oblige à travailler, mais le télétravail est impossible pour nous. Ils nous doivent la sécurité. »

(1) Le prénom a été modifié.