Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Levée des brevets  : Biden se lance, la France et l’UE suivent

Mai 2021, par Info santé sécu social

Désormais soutenue par les Etats-Unis, la mesure a reçu un accueil prudent en Europe, où l’on souligne que Washington n’a pas jusque là brillé par sa solidarité.

par Frédéric Autran et Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles (UE)
publié le 6 mai 2021

Juillet 2020 : en pleine campagne électorale et alors que le vaccin contre le Covid-19 demeure un espoir lointain, Joe Biden se prononce sans ambiguïté en faveur de la levée des brevets sur un hypothétique produit miracle. Lorsqu’il s’installe à la Maison Blanche, six mois plus tard, le nouveau président hérite à la fois d’un désastre sanitaire – 4 000 morts quotidiennes – et d’une arme inestimable pour l’enrayer : deux vaccins produits par les Etats-Unis par Pfizer et Moderna grâce au volontarisme, financier notamment, de Donald Trump. L’opération Warp Speed, mise sur pied par l’ex-président, a englouti 18 milliards de dollars (près de 15 milliards d’euros) dans la quête de vaccins.

A peine investi, le démocrate met l’accent, outre sur le soutien économique, sur la vaccination. Avec succès : à ce jour, près de 57% des adultes américains ont reçu au moins une dose, 41% sont totalement vaccinés. Et la campagne vaccinale devrait être élargie la semaine prochaine aux plus de 12 ans. Mais en parallèle, les espoirs de solidarité nés de l’élection d’un président plus « mondialiste » sont vite déçus. Biden vaccine lui aussi « America First », refuse pendant deux mois l’envoi de la moindre dose à l’étranger et reste silencieux sur la proposition, lancée en octobre par l’Afrique du Sud et l’Inde et soutenue par une centaine de pays et de nombreuses ONG, de suspendre temporairement la protection des brevets.

Par la voix de sa représentante au commerce, Joe Biden a fini mercredi par tenir parole « pour mettre fin à cette pandémie ». Un revirement tardif pour certains, mais salué néanmoins par une pluie de réactions positives : « historique » pour le patron de l’OMS, « remarquable de leadership » a commenté l’Union africaine. Demandée par la majorité des élus démocrates, cette décision a en revanche suscité un tollé, attendu, chez les républicains, qui brandissent le risque d’un transfert de secrets industriels à des rivaux, Chine en tête, et au sein de l’industrie pharmaceutique, qui craint d’y perdre des plumes. Et pour cause : abreuvé d’argent public pour la recherche, le laboratoire Pfizer s’attend à vendre cette année pour 26 milliards de dollars de son vaccin anti-Covid, sur lequel il réalise entre 25 et 30% de bénéfice. Du jamais vu pour un produit pharmaceutique.

Volte-face vilipendée
L’annonce de Washington va changer la dynamique des négociations à l’Organisation mondiale du commerce, où la décision de lever temporairement les brevets doit être prise à l’unanimité. Dès jeudi matin, Emmanuel Macron, jusqu’ici opposé à cette mesure, s’y est dit « tout à fait favorable » pour « faire de ce vaccin un bien public mondial ». Une volte-face vilipendée par la gauche qui réclame cette suspension depuis des mois. « Papa Biden a parlé. Mini Macron s’aligne », a ironisé Jean-Luc Mélenchon.

En Europe, si officiellement on se réjouit de l’annonce américaine, une rupture dans la position traditionnelle de Washington en matière de protection des brevets, on fait remarquer dans le même temps que cela ne permettra pas « à court terme » aux pays en développement d’avoir accès aux vaccins. « L’UE est prête à examiner toute mesure qui s’attaquerait à la crise de façon efficace et pragmatique. Nous sommes prêts à discuter de la façon dont la proposition américaine peut permettre d’atteindre cet objectif », a ainsi expliqué la présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen. Mais « dans l’immédiat, nous appelons tous les producteurs de vaccins à autoriser l’exportation et à éviter toutes les restrictions susceptibles de perturber les chaînes d’approvisionnement », a-t-elle taclé. De fait, Washington a décrété un embargo sur les composants des vaccins et les doses elles-mêmes, une politique égoïste que l’UE, principal exportateur de vaccins au monde (200 millions de doses exportées vers 90 pays, soit autant que celles fournies à ses propres citoyens), a toujours refusé de mettre en place.

« Ecran de fumée »
C’est peu dire que l’annonce surprise de l’administration Biden fait grincer des dents à Bruxelles : « Ça ressemble à un rideau de fumée. L’Amérique cherche à donner au monde une image de générosité, alors que, tout comme le Royaume-Uni, elle est assise sur ses vaccins. Elle n’exporte du AstraZeneca vers le Mexique et le Canada que parce qu’il n’a toujours pas obtenu le feu vert des autorités américaines », fait remarquer un haut fonctionnaire de la Commission. Et « Washington sait parfaitement que les discussions à l’OMC vont prendre des mois voire des années », poursuit-il. Surtout, connaître la recette ne signifiera pas que tout le monde sera capable de la réaliser et de le réaliser immédiatement : « Sanofi et Pfizer ont conclu en janvier un accord de licence volontaire pour la production de vaccins, et encore, seulement les étapes finales. En dépit de son savoir-faire et de ses capacités de production, les premières doses Sanofi ne seront prêtes qu’en juillet au plus tôt. »

« Croire que les questions de propriétés intellectuelles vont comme par miracle régler les problèmes de production de vaccins, ce serait une sacrée erreur », résume un diplomate européen. Pour autant, on reconnaît à Bruxelles qu’il est nécessaire de réfléchir rapidement à l’avenir : « L’Europe et les Etats-Unis ne peuvent produire seules des doses pour le monde entier chaque année. Il faut donc diversifier la production », souligne-t-on à la Commission. « Et surtout, il faut se poser la question de la répartition de la richesse créée par le vaccin : il ne serait pas normal qu’elle soit réservée aux seuls laboratoires. De ce point de vue, l’annonce de Biden est la bienvenue. »