Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 en Afrique : « A cause du manque d’accès aux vaccins, c’est terminé, nous ne sommes plus une exception »

Juillet 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 en Afrique : « A cause du manque d’accès aux vaccins, c’est terminé, nous ne sommes plus une exception »

La diffusion du variant Delta modifie la dynamique de la pandémie. Plusieurs pays sont entrés dans un scénario « indien », selon John Nkengasong, directeur du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies.

Propos recueillis par Laurence Caramel

Publié le 08/07/2021

Avec 5,7 millions de cas déclarés et moins de 150 000 décès, l’Afrique apparaissait jusqu’à présent comme la région du monde la plus épargnée par la pandémie de Covid-19. La diffusion du variant Delta, identifié dans au moins quinze pays, change la donne alors que le continent fait face à une troisième vague dans un contexte de pénurie de vaccins.

A la tête du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique), John Nkengasong fait part de la grande déception des Africains à l’égard de l’initiative de solidarité internationale Covax.

Jusqu’à présent, l’Afrique semblait relativement épargnée par le Covid-19. La diffusion du variant Delta est-elle en train de changer la donne ?

John Nkengasong En l’espace de quatre semaines, la situation est devenue très alarmante sur le continent. Au moins vingt-trois pays affrontent une troisième vague. eLe nombre des contaminations dépasse le pic de la précédente vague. Il n’est pas exagéré de dire que plusieurs pays traversent aujourd’hui la situation qu’a dû affronter l’Inde, avec des hôpitaux saturés, un manque d’oxygène pour prendre en charge les malades. En Zambie, en Ouganda, faute de places, les patients doivent être traités à l’extérieur des structures de santé.

Depuis dix-huit mois, l’Afrique avait montré sa capacité à repousser l’épidémie. Mais à cause du manque d’accès aux vaccins, c’est terminé. Nous ne sommes plus une exception. Le nombre de cas augmente, il y a des morts partout.

La situation reste très différente selon les régions du continent avec une forte concentration des cas en Afrique du Sud et en Afrique du Nord. Comment s’explique cette hétérogénéité ?
L’Afrique est un continent de cinquante-cinq pays [selon l’Union africaine qui reconnaît le Sahara occidental] avec des niveaux de développement, des infrastructures sanitaires et des systèmes de surveillance très différents. Cette diversité de situation n’est donc pas surprenante.

Ceci étant, le rebond de l’épidémie en Afrique du Sud et dans les pays voisins coïncide avec l’hiver austral. Le froid conduit les populations à vivre davantage à l’intérieur des maisons où les risques de contaminations sont plus importants. Les pays qui déclarent le plus de cas sont aussi ceux qui ont la plus grande capacité de tests. Comme je le répète souvent : quand on teste, on trouve.

Globalement, les chiffres minimisent la réalité et cela est confirmé par les études de séroprévalence qui ont été menées. Celles-ci montrent des taux de séroprévalence beaucoup plus élevés qu’on ne pourrait s’y attendre au regard du nombre de cas déclarés. Nous devons également reconnaître qu’il y a des choses que nous ne savons pas expliquer. Pourquoi l’épidémie, dans certains pays, n’a pas pris une tournure plus grave reste un mystère.

Etes-vous surpris par la soudaine dégradation de la situation ?
La situation que nous vivons aujourd’hui était prévisible. Le 8 mai, nous avons réuni en urgence tous les ministres de la santé pour avertir le continent qu’une évolution à l’indienne ne devait pas être exclue. Nous avons lancé une stratégie ciblée sur le renforcement des mesures de prévention, sur la surveillance des variants et sur la consolidation des dispositifs de traitement. Hélas, cela n’a pas suffi.

Seulement 1 % de la population africaine a été vaccinée. Est-ce avant tout le résultat de l’échec de l’initiative Covax ?
Covax nous avait assuré qu’il nous fournirait les quantités nécessaires pour vacciner au moins 20 % de notre population. Mais nous n’avons pas de vaccins. Depuis plusieurs mois, nous ne recevons aucune dose. L’intention était bonne, elle exprimait la volonté d’une solidarité globale.

Mais les résultats ne sont pas là et la déception est grande. Nos populations nous regardent, elles nous posent des questions sur l’arrivée des vaccins, les ministres de la santé nous interpellent et nous ne savons pas quoi leur répondre. Nous avons cessé d’attendre des livraisons du Serum Institute of India [fabriquant du vaccin AstraZeneca sous le nom de Covishield] pour cette année. Cela est inutile.

Nous devons prendre notre destinée en main et nos espoirs sont maintenant tournés vers les 400 millions de doses que nous-mêmes, en tant qu’Africains, avons sécurisées avec le laboratoire Johnson & Johnson.

Quand serez-vous livrés ?
Nous devons recevoir 5 millions de vaccins début août puis 10 millions en septembre et davantage ensuite. D’ici là, nous attendons 5 millions de doses provenant du don américain à Covax. Il faut aller plus loin. Puisque Covax a échoué à organiser un mécanisme de juste répartition, il faut que les pays développés qui ont amassé des millions de doses fassent des efforts pour redistribuer rapidement.

Compte tenu de la pénurie de vaccins sur le continent, faut-il attribuer en priorité les futures livraisons aux pays les plus touchés ?
Je ne crois pas. Les campagnes de vaccination doivent être menées partout pour créer une barrière de circulation au virus. Il y a peu de doute sur le fait que les pays aujourd’hui épargnés par la troisième vague seront à un moment rattrapés. Heureusement, la ligne de crédit ouverte par la Banque mondiale a permis à tous les gouvernements qui le souhaitaient d’obtenir des prêts pour acheter des vaccins. Si nous voulons gagner la bataille contre le Covid-19, nous devons vacciner entre 25 % et 30 % de notre population d’ici à la fin de l’année [soit 350 millions de personnes environ].

Quels sont les risques si vous n’y parvenez pas ?
Chaque jour qui passe sans vaccination accroît les risques que le SARS-CoV-2 devienne endémique sur le continent. Les variants déjà identifiés se propagent et d’autres émergent. La diffusion du virus est jusqu’à présent restée concentrée dans les grandes villes, mais nous observons sa progression vers les zones rurales, où il sera plus difficile de vacciner. Le retour à une vie normale sera plus long. Je ne veux pas que l’Afrique devienne le continent du Covid-19 quand les autres en seront débarrassés.

Vous avez déclaré que la réticence aux vaccins en Afrique n’était pas un problème. Pourtant, de nombreux ministres de la santé font état de leurs difficultés à mobiliser les populations…
En 2020, nous avons fait une étude qui montre que le taux d’acceptabilité des vaccins varie entre 60 % et 95 % en Afrique. Les médias se sont focalisés sur certains pays où il y a en effet des problèmes d’acceptation et en ont fait une généralité. Cela n’est pas correct. Au Rwanda, au Togo, au Ghana, au Nigeria…, les vaccins ont été rapidement utilisés et ces pays attendent avec impatience de nouvelles livraisons pour poursuivre leur campagne.

Au total, sur les quelque 70 millions de doses reçues par l’Afrique, plus de 75 % ont été administrées. Le vrai problème est le manque de prédictibilité ; nous ne pouvons pas nous mobiliser pour lancer une campagne à l’échelle du continent si les vaccins ne sont pas là.

Le passeport sanitaire mis en place par l’Union européenne ne reconnaît pas le vaccin AstraZeneca fabriqué en Inde et majoritairement distribué par Covax en Afrique. L’OMS et votre organisation ont protesté contre cette décision. Allez-vous obtenir gain de cause ?
Cette décision est étonnante. Le Covishield est le vaccin que la plupart des pays en Afrique ont obtenu via Covax et grâce à des financements européens. Et, aujourd’hui, nous entendons qu’il n’est pas homologué pour entrer en Europe. C’est regrettable. Cela ajoute des doutes sur les programmes de vaccination. Les Africains, qui suivent de près tout ce qui se passe en Europe, ne comprennent pas cette restriction. J’espère que nous trouverons une solution dans les prochains jours.

Le CDC Afrique a envoyé des experts aux Seychelles pour comprendre pourquoi le pays fait face à une résurgence de l’épidémie, alors que près de 70 % de la population a été vaccinée. Quels en sont les résultats ?
Les vaccins ne protègent pas contre l’infection mais contre les formes graves de la maladie et c’est ce que nous avons constaté aux Seychelles. Près de 90 % des formes sévères touchent les personnes qui n’ont pas été vaccinées.

Cette pandémie à travers laquelle se manifestent de profondes inégalités entre les régions du monde laissera-t-elle des traces dans la relation entre l’Afrique et l’Europe ?
La situation que nous vivons abîme la confiance commune. Elle crée une rupture qui n’est pas bonne pour l’avenir, car cette pandémie n’est certainement pas la dernière et il nous faudra encore affronter ensemble d’autres virus.

L’histoire de notre continent est faite de précédents comme celui du VIH. Les traitements contre le VIH étaient disponibles en 1996 mais, en raison de leur coût, nous avons dû attendre dix ans pour y avoir accès. Au cours de cette période, au moins 10 millions d’Africains sont morts. Cela n’a pas contribué à créer ce lien de confiance qui est si important pour résoudre les problèmes mondiaux. Je crains que nous soyons malheureusement en train de répéter la même histoire.

Laurence Caramel