Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Covid : l’enjeu crucial de convaincre ceux qui hésitent à se faire vacciner

Juillet 2021, par infosecusanté

Mediapart : Covid : l’enjeu crucial de convaincre ceux qui hésitent à se faire vacciner

10 JUILLET 2021

PAR ROZENN LE SAINT

Faciliter l’accès à la vaccination des hésitants : est-ce vraiment la priorité du gouvernement ? Pour relancer la campagne, il compte en réalité surtout sur le passe sanitaire, la bonne volonté des acteurs locaux et des médecins généralistes, pourtant mal approvisionnés en vaccins à ARN messager. Explications.

Chaque jour, 100 000 doses de vaccin pourraient être injectées en France et ne le sont pas… faute de candidats. Fini, pour l’heure, le temps de la pénurie. Les doses sont là, le variant Delta aussi, mais 20 % des Français hésitent encore à recevoir une injection anti-Covid-19, selon l’enquête Covireivac coordonnée par l’Inserm.

Un nouveau conseil de défense est prévu lundi 12 juillet. Au menu : la vaccination obligatoire pour les soignants et l’extension possible du passe sanitaire pour l’accès à certains commerces ou restaurants, dans le but d’encourager, voire de contraindre les Français à passer le cap de la vaccination.

Car le rythme des piqûres a commencé à ralentir à la mi-juin. 52 % de la population française a au moins reçu une dose, mais les scientifiques s’accordent sur un nécessaire dépassement d’un taux de vaccination de 80 % pour atteindre une immunité collective qui limiterait significativement la circulation du virus.

Or, même chez les Français de plus de 80 ans, les plus à risque de développer une forme grave de Covid-19, tout juste 80 % sont vaccinés, justement, alors qu’ils y ont accès depuis six mois, contre 100 % des Espagnols les plus âgés.

Pourtant, « les adultes non vaccinés contribuent de façon importante à la pression sur l’hôpital. Dans notre scénario de référence, les personnes non vaccinées de plus de 60 ans représentent 3 % de la population mais 35 % des hospitalisations », estime l’Institut Pasteur dans sa dernière modélisation du 29 juin.

Or c’est bien la saturation des établissements prenant en charge les patients sévères qui pousse l’exécutif à prendre des mesures de restriction des libertés. Convaincre les hésitants les plus âgés ou présentant des risques de développer des formes graves de Covid-19 devient plus qu’urgent dans l’optique de limiter les conséquences d’une possible quatrième vague.

Le gouvernement vise l’objectif de 85 % de vaccinés chez les Français présentant des signes de comorbidité d’ici à la fin août. Au 26 juin, seuls 74 % d’entre eux avaient reçu une première dose de vaccin. Comment expliquer ce réservoir d’hésitants parmi les plus vulnérables face au virus ?

Le gouvernement a seulement ouvert la vaccination à l’ensemble des majeurs souffrant d’obésité le 1er mai et il tarde encore à mettre les moyens pour aller chercher ceux qui ne se sont pas précipités sur les premiers créneaux. Un Français obèse sur trois n’est pas encore vacciné.

Il est essentiel d’« aller vers » ces patients les plus vulnérables, parfois mal informés, isolés et sans possibilité de se déplacer, et même « d’aller vite vers eux », estime Philippe Amouyel, professeur en santé publique au CHU de Lille.

Les tout prochains jours sont décisifs car ceux qui se laisseront convaincre prochainement accèderont au statut vaccinal complet entre début septembre et début octobre, assez tard dans la course contre le variant Delta, venu d’Inde, davantage contagieux, et qui devrait être largement majoritaire sur le territoire d’ici là.

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Tant que la proportion de non-vaccinés est importante, le virus va continuer à circuler, ce qui favorise l’émergence de nouveaux variants. À l’avenir, va-t-il s’adapter et développer des mutations encore plus à craindre, davantage contagieuses ou qui favoriseraient la survenue de cas sévères même chez les jeunes ? Ou encore qui échapperaient au vaccin ?

« Après le variant Delta, il y en aura d’autres, l’alphabet grec ne suffira pas. Pour l’heure, le Sars-CoV-2 a un répertoire assez limité de mutations, ce qui est rassurant car les vaccins élaborés sur la base de la souche originelle restent efficaces face aux variants préoccupants », rappelle Jean-Michel Pawlotsky, virologue et chef du pôle biologie de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil.

L’exécutif martèle aussi que le vaccin est la meilleure arme face au virus et ses variants. Surtout, il mise sur la peur. Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, a multiplié les apparitions ces derniers jours pour indiquer que « le risque d’une quatrième vague rapide est là ». Le ministère de la santé s’est d’ailleurs félicité d’un « frémissement », avec une augmentation de 40 % des réservations de créneaux sur Doctolib le lundi 5 juillet.

Est-ce la bonne méthode ? « La récente communication alarmiste a pu inciter les gens à se faire vacciner mais on a pris du retard dans la campagne de vaccination quand Emmanuel Macron a multiplié les messages trop optimistes. Les hésitants vaccinaux sont perdus dans l’alternance de la teneur des messages de l’exécutif », commente Jeremy Ward, sociologue et un des auteurs de l’enquête Covireivac.

Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’École des hautes études en santé publique, considère quant à lui que « l’appel à la peur est une stratégie classique qui peut provoquer des effets à court terme. En revanche, elle peut aussi alimenter la défiance car elle fait appel à des émotions négatives. Et si les mises en garde ne se confirment pas dans les faits, les personnes ont l’impression de se faire instrumentaliser ».

Les médecins généralistes peuvent enfin injecter des sérums à ARN messager

Pourquoi la campagne de vaccination piétine-t-elle ? Le gouvernement a longtemps persisté à pousser à tout prix les doses de vaccins AstraZeneca et Johnson & Johnson, pourtant boudés par les Français. Cette semaine, les 700 000 doses d’AstraZeneca prévues pour la France sont intégralement attribuées à Covax, le dispositif de dons aux pays les moins développés.

Pour ne pas accumuler les stocks, la France a également décidé de suspendre les livraisons de Johnson & Johnson et d’allouer ses doses à d’autres États membres de l’Union européenne.

Longtemps, les médecins généralistes n’ont pas eu le choix : ils étaient seulement autorisés à vacciner les plus âgés avec ces deux vaccins impopulaires. Ils peuvent enfin injecter des sérums à ARN messager, les plus performants, notamment face aux variants, comme Moderna ou Pfizer-BioNTech. L’information s’est cependant perdue en route et l’approvisionnement dans les cabinets demeure complexe.

Depuis la fin mai, les médecins de ville sont autorisés à vacciner tous les Français majeurs au Moderna. Toutefois, les problèmes de livraison et liés au conditionnement en dix doses à utiliser dans les six heures suivant l’ouverture compliquent leur tâche.

Ce n’est pas dans les lieux de vaccination de masse que l’on convainc les hésitants.
Jacques Battistoni, généraliste et président de MG France
« Nous demandons des flacons unidoses mais le ministère de la santé nous répond que les fabricants ne veulent pas changer le conditionnement. Si on veut aller plus loin, il faut être en capacité de vacciner au fil de l’eau les patients encore non vaccinés. Là, il nous faut en regrouper dix le même jour. Au bout d’une semaine ou deux, on y arrive, mais chaque jour compte face au variant Delta. En plus, il arrive parfois que, finalement, nous ne soyons pas livrés et que nous devions tout annuler ! », déplore Jacques Battistoni, président du syndicat MG France.

Interrogé à ce sujet par Mediapart, le ministère de la santé répond que « des travaux sont effectivement en cours pour faciliter la vaccination en ARN messager par les effecteurs [ceux qui effectuent, dans le jargon médical – ndlr] de ville. Ces travaux pourraient aboutir non pas sur la mise à disposition de flacons unidoses mais de seringues préremplies ».

Officieusement, les médecins généralistes peuvent vacciner à présent tous les Français de plus de 12 ans au Pfizer-BioNTech, le plus distribué et populaire des vaccins disponibles en France. À condition qu’ils parviennent à s’approvisionner auprès des centres de vaccination. Une officialisation de la pratique est attendue d’ici à la fin de la semaine, selon le ministère de la santé.

« Il s’agit d’un circuit dérogatoire. Nous ne pourrons pas commander nous-mêmes des vaccins Pfizer-BioNTech avant l’automne, regrette Jacques Battistoni. Or ce n’est pas dans les lieux de vaccination de masse que l’on convainc les hésitants, où se rendent ceux qui sont déjà décidés. »

Passer d’une approche de campagne de masse à celle d’une campagne de proximité.
Jocelyn Raude, psychologue social expert en hésitation vaccinale
L’épidémiologiste Philippe Amouyel plaide aussi pour faciliter la vaccination en cabinet. « Les indécis n’ont pas confiance en les vaccins. Les plus fragiles d’entre eux, notamment âgés, craignent d’être fatigués après les injections, ils attendent parfois que le virus disparaisse… Ils ont besoin d’échanger avec une personne de confiance pour qu’elle les rassure », affirme-t-il.

La majorité des hésitants ne sont pas des antivax convaincus qui ne changeraient pas d’avis. Ils sont simplement méfiants. « Ceux qui n’ont pas l’intention de se faire vacciner mais n’en rejettent pas absolument l’idée préfèreraient se faire vacciner chez leur médecin, loin devant toutes les autres possibilités », notent aussi les auteurs de l’enquête Covireivac.

« Les agences qui contrôlent la qualité des médicaments ont été ébranlées par les scandales sanitaires, les gouvernements par l’affaire des masques, Big Pharma renvoie à un imaginaire négatif… Les médecins sont les derniers acteurs de confiance. Il faut s’appuyer sur eux en passant d’une approche de campagne de masse à celle d’une campagne de proximité », estime Jocelyn Raude, psychologue social expert en hésitation vaccinale.

Les médecins traitants qui en font la demande auprès de l’assurance-maladie pourront recevoir la liste de leurs patients non vaccinés par messagerie sécurisée pour qu’ils puissent les contacter à partir de la mi-juillet a priori, après examen par le Conseil d’État, selon le ministère de la santé. Il indique aussi que ce partage de fichiers serait « une première en France ».

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a émis un avis favorable à cette diffusion le 1er juillet, même si elle « met en garde contre le risque de sollicitations excessives des personnes, à partir de ces données de santé confidentielles ». Elle demande donc que l’assurance-maladie vise, elle, prioritairement les personnes qui n’ont pas de médecin traitant, pour éviter les doublons d’appel à la vaccination.

Le 5 juillet, il est devenu possible de réserver des créneaux pour la première et la deuxième dose dans des lieux différents

L’exécutif a perdu des hésitants sur le bord de la route des vacances en tardant à anticiper l’organisation des prises de rendez-vous estivaux. Les Français qui souhaitent avant tout souffler cet été après une année encore noircie par la pandémie, sans adapter leurs dates de séjour à l’intervalle des doses, ont pu reporter leur passage à l’acte.

Interrogé depuis le 4 mai chaque semaine lors des points presse hebdomadaires au sujet des aménagements à prévoir pour organiser un été vaccino-compatible, le ministère de la santé est longtemps resté flou.

Deux mois plus tard, le 5 juillet, il est enfin devenu possible de réserver des créneaux pour la première et la deuxième dose dans des lieux différents. Le ministère de la santé a aussi fini par autoriser que la deuxième dose de Moderna ou de Pfizer-BioNTech soit injectée dans un laps de temps large compris entre trois et sept semaines après la première injection, afin de rendre le système moins rigide pendant l’été.

Le temps des interminables veilles sur Doctolib pour tenter de réserver un créneau de vaccination, avec la surprise le jour J d’une date imposée pour la deuxième dose, est donc révolu. Mais l’acte de prise de rendez-vous, notamment en ligne, constitue déjà en soi un frein à la vaccination.

Le département de Seine-Saint-Denis, dont la population est beaucoup moins vaccinée que la moyenne, en a rapidement pris conscience.

Il a alors lancé des opérations via son « vaccibus », ou encore dans les centres commerciaux, sans rendez-vous. Le week-end du 12 juin, 500 personnes ont été vaccinées lors de l’opération à Rosny 2. Toutes les doses prévues ont ainsi été écoulées. Sauf que c’est le département qui doit se débrouiller pour trouver comment financer ces actions.

Interrogé par Mediapart sur l’existence ou non d’un budget dédié à l’« aller vers » dans cette campagne de vaccination, le ministère de la santé admet qu’« il n’existe pas d’estimation consolidée des dépenses engagées par les agences régionales de santé à ce titre ».

« À noter que d’autres acteurs peuvent engager des démarches d’“aller vers” sans financement dédié, c’est en particulier le cas des acteurs publics dans le cadre de leurs missions, notamment les caisses primaires d’assurance-maladie et certaines collectivités locales », reconnaît la Direction générale de la santé.

« Pour tenter de convaincre les hésitants, il est pourtant urgent de mettre en place une politique de santé publique d’ampleur d’“aller vers”, mais avec de réels moyens financiers dédiés, en multipliant les vaccibus par exemple », soutient Jeremy Ward, chargé de recherche à l’Inserm, spécialiste des controverses vaccinales.

D’autant que « les jeunes sont encore plus sensibles à la réduction des étapes du parcours de vaccination du fait qu’ils se sentent moins concernés par la survenue de formes graves de Covid-19 », explique ce coauteur de l’enquête Covireivac qui montre que seuls 60 % des 25-34 ans ont l’intention de se faire vacciner.

L’initiative séquano-dionysienne a essaimé dans les plus grands centres commerciaux franciliens notamment, tels que le Forum des Halles à Paris, Westfield Les 4 Temps, So Ouest ou le Qwartz dans les Hauts-de-Seine.

Partout en France, les agences régionales de santé et les collectivités locales développent des opérations de facilitation à la vaccination, comme au festival d’Avignon, au Printemps de Bourges ou encore sur les aires d’autoroute du chemin des vacances.

Ces initiatives locales d’« aller vers » semblent fonctionner. Dans les Landes, la démarche a été renforcée quand le variant Delta a pris d’assaut le département, au point d’y devenir majoritaire rapidement. Des bus de la vaccination circulent aux abords des centres commerciaux pour aller chercher ceux qui hésitent encore et la moitié des centres de vaccination sont accessibles sans prise de rendez-vous. Le taux de vaccination y est à présent parmi les plus élevés de France.