Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Le gouvernement est tenté par l’obligation vaccinale

Juillet 2021, par infosecusanté

Mediapart : Le gouvernement est tenté par l’obligation vaccinale

10 JUILLET 2021

PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Alors qu’Emmanuel Macron doit prendre la parole, lundi 12 juillet, le gouvernement envisage l’obligation vaccinale, en commençant par les soignants. Mais ceux-ci s’affichent divisés sur le sujet : entre devoir déontologique et crainte de la stigmatisation.

Quelle sera la responsabilité des personnes non vaccinées dans la suite de l’épidémie ? Comment cohabiter entre vaccinés et non-vaccinés, protéger les plus fragiles, éviter de remettre sous tension un hôpital lessivé, s’éviter collectivement de nouvelles mesures de restriction des libertés ? Les professionnels de santé sont les premiers propulsés dans l’épineux débat sur l’obligation vaccinale, qui entrelace libertés individuelles et responsabilité collective. Il va très vite s’élargir au reste de la population.

La Haute Autorité de santé a été très claire, vendredi 9 juillet, recommandant d’envisager « sans délai l’obligation vaccinale de l’ensemble des professionnels en contact avec des personnes vulnérables », et dans le même temps « d’entamer dès à présent la réflexion sur une extension plus importante de cette obligation vaccinale en population générale ».

Le premier ministre Jean Castex a dégainé le premier. Le 1er juillet, il a écrit aux parlementaires pour les informer de la situation sanitaire, menacée par le variant, et leur a proposé trois « réflexions » : la première est « l’obligation vaccinale » des soignants, qu’il juge « globalement insuffisante » ; la deuxième est l’extension du passe sanitaire ; la troisième, « l’obligation d’isolement assortie de sanctions » pour les cas positifs et contacts. Une fois encore, la concertation est de façade. Ces « réflexions », certaines potentiellement attentatoires aux libertés, seront arbitrées et présentées aux Français par Emmanuel Macron, lundi 12 juillet au soir.

Dans quelle mesure les professionnels de santé résistent-ils à la vaccination ? Les chiffres sont partiels. La vaccination n’étant pas obligatoire, les employeurs n’en sont pas informés. Il n’existe pas de croisement de données permettant de suivre en temps réel leur vaccination. Santé publique France suit donc une cohorte de 122 000 professionnels travaillant en Ehpad et de 300 000 libéraux, identifiés par l’assurance-maladie. Santé publique France juge ces données « fiables » : au 6 juillet, 60,5 % des personnels en Ehpad et 80,5 % des libéraux avaient reçu au moins une dose.

Pour les établissements de santé, les données remontent au 31 mai, quand 181 établissements ont participé à un questionnaire : 63,5 % de leurs personnels avaient alors reçu au moins une dose de vaccins.

Les chiffres de vaccination sont très inférieurs à l’objectif de 80 %, taux minium pour espérer une protection collective suffisante face au variant Delta

Quel que soit leur niveau de fiabilité, les chiffres restent bien inférieurs à l’objectif de 80 % de personnes vaccinées, taux minium pour espérer une protection collective suffisante pour freiner la progression du variant Delta. Seuls les libéraux sont dans les clous.

Dans le détail, apparaît une fracture entre les professions de santé. L’Assistance publique-Hôpitaux (AP-HP) de Paris estimait que 92 % des médecins, 55 % des personnels soignants non médicaux et 66 % des personnels administratifs et techniques étaient vaccinés.

Depuis le mois de juin, la vaccination a beaucoup ralenti dans les hôpitaux, leurs centres de vaccination tournent au ralenti ou ont fermé. « Actuellement, une cinquantaine de personnels se fait vacciner chaque jour à l’AP-HP. Cela signifie que pour couvrir toute l’AP-HP, il faudra près deux ans », a écrit le directeur général Martin Hirsch à ses agents.

Un plafond de verre semble avoir été atteint, il s’est dessiné dès le début de l’année. Les chiffres de vaccination sont presque identiques aux intentions mesurées, entre le 18 décembre 2020 et le 1er février 2021 par un questionnaire renseigné par 10 000 professionnels de santé. L’étude, réalisée par le Groupe d’étude sur le risque d’exposition au sang (Geres), montre une progression nette des intentions dans le temps début 2020, qui semble depuis figée. « On peut en effet formuler l’hypothèse que la situation n’a pas beaucoup varié », reconnaît Judith Mueller, épidémiologiste à l’École des hautes études en santé publique, qui a coordonné l’étude.

La vaccination s’intègre dans le lien avec l’employeur : certains refusent d’obéir.
Le questionnaire du Geres sonde les raisons des intentions ou des refus. « Les soignants doivent être convaincus que le bénéfice est plus grand que le risque, explique Judith Mueller. Mais la perception du risque dépend des individus. Certains soignants sous-estiment les bénéfices des vaccins : ils raisonnent d’un point de vue individuel, s’estiment peu à risque face au Covid, n’envisagent pas les conséquences pour leurs proches, leurs patients. L’opinion de l’entourage familial compte aussi beaucoup. Mais surtout, la vaccination s’intègre dans le lien avec l’employeur : certains refusent d’obéir ».

« Au début de la crise, on a laissé les soignants se contaminer, certains en ont tiré une véritable haine », confirme la médecin hépatologue Anne Gervais, membre du Collectif inter-hôpitaux (CIH). « Mais ce n’est pas une excuse, tempère-t-elle. Tous les soignants doivent être vaccinés, comme un ministre ne peut pas frauder. Il y a un devoir d’exemplarité. » Elle ne s’exprime pas au nom du Collectif inter-hôpitaux, car celui-ci est divisé sur le sujet. « D’autres sont plus attachés à la liberté individuelle. Je considère qu’elle s’efface devant le bénéfice collectif. »

Sophie Crozier, elle aussi membre du CIH, est de son côté contre l’obligation : « Le sujet est complexe, il ne doit pas nous diviser. Au fond, on est tous d’accord : la vaccination est essentielle, c’est une obligation morale pour les soignants. On est juste en désaccord sur la méthode. Est-ce que l’obligation va permettre de prévenir la 4e vague ou va faire fuir les soignants de l’hôpital ? L’idée se propage que les soignants mettent en jeu la vie des autres. Est-ce une manière pour le gouvernement de se dédouaner, de détourner le regard de l’état de l’hôpital ? Pour prendre en charge les urgences neurovasculaires à l’AP-HP cet été, sur 18 lits, nous n’en aurons plus que 8 ! »

« La situation des effectifs est catastrophique, Véran devrait aussi se concentrer là-dessus, renchérit l’infirmière de l’hôpital de Saint-Denis Yasmina Kettal, syndicaliste Sud. Pour moi, la balance bénéfice-risque est clairement en faveur de la vaccination. Face à la pandémie, il faut jouer collectif, mais ce n’est pas une valeur évidente dans cette société. À l’hôpital, le collectif a été cassé. Je vois des gens qui se désintéressent du métier, des patients. »

La situation pourrait se tendre entre soignants et patients

« Mais je comprends aussi que des familles soient heurtées », souligne aussi l’infirmière. La situation pourrait en effet se tendre entre soignants et patients. L’épidémiologiste Dominique Costagliola confie une expérience personnelle, « un petit accrochage avec un service hospitalier, qui exigeait d[’elle] un test PCR alors qu[’elle est] vaccinée » : « Je leur ai demandé s’ils pouvaient me prouver qu’ils étaient, eux, bien vaccinés. Je ne vais pas à l’hôpital par choix. Les soignants ne peuvent pas exposer des personnes fragiles. Il y a déjà des vaccins obligatoires, je ne vois pas le problème. »

Le professeur d’éthique médicale Emmanuel Hirsch, qui a recueilli les paroles des familles endeuillées, insiste sur « leur détresse quand le proche a été contaminé à l’hôpital. Elles ont le sentiment que les soignants n’ont pas respecté leur obligation déontologique de protection des malades. Aujourd’hui, dans les Ehpad, des familles n’ont toujours pas le droit d’embrasser leurs proches, sont limitées dans leurs visites, même si elles sont vaccinées. Elles interrogent le personnel non vacciné, ont un sentiment d’imposture ».

Mais pour le professeur d’éthique, « on ne peut pas ainsi mettre en cause le sens des responsabilités de ces personnes, même si elles ne sont pas vaccinées, parce qu’au plus fort de la crise, elles ont assumé une fonction de démocratie essentielle ».

Emmanuel Hirsch voit dans cette nouvelle péripétie la marque d’une « gouvernance solitaire, précaire, au jour le jour » : « Il y a quelques jours, le gouvernement nous incitait à partir en vacances. Aujourd’hui, il adopte une communication de crise. La société est déboussolée, fragilisée, elle admet des limites aux libertés individuelles au nom d’un intérêt supérieur, sans qu’il y ait eu de débat public. Quelle est notre stratégie pour vivre au long cours avec le virus ? On a besoin d’une approche démocratique de la pandémie. »

« Il devrait y avoir un débat de société, renchérit Yasmina Kettal. Au contraire, on a le sentiment que les gens ne sont pas libres d’exprimer leurs doutes, parce qu’ils sont tout de suite taxés d’antivax. Sur les réseaux sociaux, il y a des propos très violents tenus par certains médecins contre les paramédicaux. »

La communication du gouvernement s’est résumée à des discours euphorisants sur la vie retrouvée, les « effets désirables » de la vaccination. « Où sont les vidéos qui expliquent le fonctionnement des vaccins, les bénéfices et les risques ?, s’interroge Yasmina Kettal. À l’hôpital, on devrait être inondés d’informations. »

Au milieu de l’été, face au variant Delta, le temps de la pédagogie est peut-être passé.