Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Face au variant Delta, la France n’a pas assez vacciné les plus fragiles

Juillet 2021, par Info santé sécu social

29 JUILLET 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

La vaccination progresse, mais reste insuffisante chez les plus âgés et les plus fragiles. Déjà, les malades reviennent à l’hôpital. La Martinique, très peu vaccinée, est contrainte de se reconfiner. Seuls les pays qui visent une vaccination complète de la population ont maîtrisé le variant.

Après l’Inde et l’Europe, le variant Delta, plus contagieux, frappe désormais l’Afrique. Mais le monde est devenu plus inégal encore : les pays les mieux vaccinés s’en sortent sans trop de dommages, quand les pays les plus pauvres, qui ne bénéficient pas encore du vaccin, renouent avec les scènes de panique et de désespoir à l’hôpital qui conduisent toutes les sociétés au confinement.

En France, le retour des malades du Covid à l’hôpital

En France, l’épidémie est toujours en forte progression : le bulletin hebdomadaire de Santé publique France relève une augmentation de 100 % dans toutes les classes d’âge. Le virus, désormais à 90 % du variant Delta, est porté par la vie festive : le nombre de cas positifs associés à la fréquentation d’un restaurant est en hausse de 91 %. Pour la fréquentation d’un lieu culturel, la hausse est de 165 %, pour celle d’un bar, de 192 %.

Les bords de mer sont les plus touchés, à l’exception de la Bretagne : la façade atlantique, des Pyrénées-Atlantiques à la Charente-Maritime, tous les départements bordés par la Méditerranée, ainsi que l’Ariège, la Haute-Garonne et les Alpes-de-Haute-Provence. La Haute-Corse est en tête en métropole, avec 722 cas pour 100 000 habitants, talonnée par les Pyrénées-Orientales. Lyon et Paris ont franchi le seuil des 250 cas pour 100 000 habitants.

À la Martinique, où 19 % de la population seulement est vaccinée (60 % en moyenne en France), l’incidence frôle les 1 000 cas pour 100 000 habitants. Les hôpitaux sont submergés. Le préfet vient de décider le reconfinement de l’île.

En France, grâce à la vaccination, la vague d’hospitalisations est retardée, mais elle est en train de se former : ces sept derniers jours, 2 511 personnes ont été hospitalisées pour un Covid grave, 403 en réanimation. La hausse est très forte, + 100 % par rapport à la semaine dernière.

« On voit les malades du Covid revenir, alors qu’ils avaient quasiment disparu. C’est en train de remonter très vite, raconte le professeur Nicolas Bruder, chef du service de réanimation de l’hôpital de la Timone, à Marseille. On a déjà 50 patients en hospitalisation conventionnelle, les services sont sous tension. En réanimation, on commence à être sollicités, alors qu’on n’a déjà plus aucune place. »

Ces nouveaux malades arrivent au pire moment, après une troisième vague éreintante. « On ne peut annuler les vacances des soignants. On a eu des démissions d’infirmières, qui sont parties travailler ailleurs. Les jeunes diplômés ne sont pas encore arrivés. Cela va être très difficile d’ouvrir de nouveaux lits », prévient le professeur Bruder.


Nous avons admis 700 malades du Covid en réanimation, deux étaient vaccinés, avec une seule injection.
Professeur Bruder, réanimateur à l’hôpital de la Timone à Marseille


À ceux qui doutent de l’efficacité des vaccins, il « dit et redit : nous n’avons que des non-vaccinés. Depuis le début de l’épidémie, nous avons admis 700 malades du Covid en réanimation, deux étaient vaccinés, mais avec une seule injection. Ils ont été admis dans la semaine suivant leur vaccination ».

Dans sa réanimation aujourd’hui, il voit « des malades souvent entre 40 et 60 ans » : « Certains n’ont aucune pathologie, ils sont parfois en surpoids, mais ce n’est pas systématique. On a actuellement un patient de 40 ans, qui n’avait aucun facteur de risque, sous oxygénation par membrane extracorporelle [une assistance à la fois cardiaque et respiratoire utilisée en dernier recours – ndlr], il risque de mourir. Notre plus jeune patient avait 18 ans. Tous disent regretter de ne pas s’être fait vacciner. »

Les récentes décisions du gouvernement sont aux yeux du médecin « plus que bienvenues, parce qu’elles sont très incitatives à la vaccination. Sinon, la situation serait catastrophique ». Il estime que la vaccination obligatoire à l’hôpital « se passe bien » : « Il n’y a pas de remous. 100 % de nos médecins sont vaccinés, 80 % de nos infirmières, on va vers les 100 %. Les aides-soignantes y viennent aussi. La plupart des hospitaliers non vaccinés étaient en réalité attentistes, il y en a très peu qui sont activement contre ce vaccin. »

La vaccination progresse vite, mais pas assez chez les plus fragiles
Avec 4,7 millions d’injections la semaine dernière, la France est en train de rattraper son retard sur ses voisins européens. 60 % des Français ont reçu au moins une dose, 50 % sont complètement vaccinés. Le ministère de la santé affirme être confiant dans sa capacité de vacciner 50 millions de Français d’ici à la fin du mois d’août. Les Agences régionales de santé déploient des opérations d’« aller-vers » dans des villes ou des zones rurales peu vaccinées.

Seulement, 15 % des 70 ans et plus, 18 % des 80 ans et plus, et 25 % de personnes porteuses d’autres maladies ne sont toujours pas vaccinés en France. Et le discours d’Emmanuel Macron les a peu convaincus. Leur taux de vaccination n’a que peu augmenté en une semaine.

Ce retard dans la vaccination des plus fragiles est une spécificité française. Il existe de nombreux exemples de pays européens qui sont parvenus à vacciner l’ensemble de leur population âgée, comme l’Italie, l’Espagne et la Belgique (lire notre article ici). C’est aussi le cas du Royaume-Uni, de l’Irlande ou du Danemark (lire notre reportage). Éclatent ainsi au grand jour la faiblesse de la santé publique en France, une défiance chronique envers les autorités et une réticence aux vaccins d’une partie de la population.

Cette couverture incomplète des plus fragiles est une épée de Damoclès pour la France. « Plus les personnes à risque ne seront pas vaccinées, plus l’impact hospitalier de cette quatrième vague sera important, prévient l’épidémiologiste Mircea Sofonea, enseignant à l’université de Montpellier. Les régions qui ont été moins frappées par les précédentes vagues sont aussi plus vulnérables, car leur immunité naturelle est moins grande. Les régions Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur sont à surveiller de près dans les prochaines semaines. »

Les pays européens les mieux vaccinés reprennent le contrôle de l’épidémie
Petite lueur d’espoir : au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, la vague de variant Delta reflue déjà nettement, sans que ces pays aient été contraints à de nouvelles mesures drastiques. L’Espagne ou le Portugal semblent aussi avoir atteint un pic.

Ces quatre pays sont bien mieux vaccinés que la France, surtout dans les catégories les plus âgées. Ont-ils atteint un niveau de vaccination suffisant pour éteindre le variant Delta ? Les épidémiologistes évoquent pourtant une couverture vaccinale de 80 % minimum pour éteindre l’épidémie de variant Delta, or tous ces pays en sont encore loin.

« L’analyse doit être multifactorielle, selon l’épidémiologiste Mircea Sofonea. Le variant Delta n’est pas moins contagieux que ce que l’on pensait. À l’effet de la vaccination s’ajoute l’immunité naturelle acquise lors des précédentes vagues, par exemple au Royaume-Uni. Les restrictions jouent aussi pour atténuer la contagion : le port du masque en intérieur, et en extérieur dans les départements les plus touchés, la fermeture des bars et des restaurants à 23 heures, le dépistage-traçage-isolement des cas positifs. Quand l’incidence augmente beaucoup, il y a beaucoup de personnes isolées, comme au Royaume-Uni ces dernières semaines, où l’incitation à l’isolement est forte. Tous ces éléments contribuent aussi à maîtriser l’épidémie. »

L’Écosse a plus rapidement trouvé la recette face au variant Delta. Le pays, qui a sa propre politique de santé, l’a fait refluer dès le 1er juillet, trois semaines avant le reste du Royaume-Uni. À partir de l’âge de 60 ans, 100 % des Écossais sont vaccinés.

L’Écosse de la première ministre Nicola Sturgeon a maintenu certains gestes barrières, à la différence de l’Angleterre de Boris Johnson. Dans les pubs et les restaurants, une distance sociale de 1 mètre persiste tant que les plus de 40 ans ne seront pas tous vaccinés, les masques restent aussi obligatoires à l’intérieur, les événements de plus de 2 000 personnes sont toujours interdits et les discothèques fermées. La levée de toutes les restrictions est conditionnée à l’avancée de la campagne vaccinale, qui vise à protéger toute la population, sans aucune exception.

La France a pris un tout autre chemin, celui du passe sanitaire, qui complique la vie des non-vaccinés, fracturant la France entre vaccinés et récalcitrants, bons et mauvais citoyens.