Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Troisième dose : tout pour les vaccinés

Août 2021, par infosecusanté

Mediapart : Troisième dose : tout pour les vaccinés

11 AOÛT 2021

PAR ROZENN LE SAINT

Le président presse l’ouverture de la campagne de rappel à la mi-septembre pour les populations à risque, axant de nouveau sa communication sur celles et ceux qui ont déjà fait le choix du vaccin. Quitte à oublier un Français de plus de 80 ans sur cinq qui n’a pas encore reçu de première dose du tout.

Àl’issue du conseil sanitaire du 11 août, aucun mea culpa de l’exécutif sur le manque d’actions pour aller chercher les plus fragiles encore non vaccinés. À l’inverse, la situation jugée « dramatique » aux Antilles par Emmanuel Macron est brandie en contre-exemple.

« S’il fallait faire la démonstration que la vaccination est le moyen le plus efficace de répondre à ce variant Delta, malheureusement, nos Antilles en délivrent une démonstration cruelle. En effet, sur ces territoires, la vaccination est encore à un niveau très bas, à un tiers du niveau de la France hexagonale », a indiqué le chef de l’État, sans remise en question de la campagne vaccinale dans les départements d’outre-mer.

Il a aussi fait savoir que les personnes les plus à risque de développer une forme grave de Covid-19 pourront recevoir une troisième dose de vaccin dès la mi-septembre. Emmanuel Macron avait déjà annoncé pour la première fois l’ouverture d’une campagne de rappel à la rentrée lors de son discours du 12 juillet, à la hâte, en même temps que l’extension du passe sanitaire, comme pour insister sur un point : les déjà convaincus, celles et ceux qui ont eu accès à la vaccination le plus tôt seront protégés, et tant pis pour les autres.

« Il s’agissait d’une allocution politique davantage que de santé publique. Emmanuel Macron s’est mis du côté de ceux qui se sont fait vacciner en leur disant que s’ils ont peur que leur protection vaccinale s’affaiblisse, on leur proposera une troisième dose. On insiste encore plus sur la dichotomie entre vaccinés et non vaccinés », regrette Jean-Daniel Lelièvre, expert en immunologie auprès de la Haute Autorité de santé (HAS).

Celle-ci devrait rendre un nouvel avis fin août sur la nécessité ou non d’une dose de rappel au sein de la population générale et lister les populations jugées les plus à risque, qui pourront prendre rendez-vous pour une troisième dose à partir de la fin du mois, comme l’a déjà annoncé l’exécutif ce 11 août.

Or la nécessité d’une dose de rappel est pour l’heure surtout théorique, si ce n’est pour les personnes immunodéprimées, pour lesquelles les vaccins, et pas seulement ceux contre le Covid-19, fonctionnent moins bien et moins longtemps du fait de leur système de défense immunitaire affaibli. L’injection d’une troisième dose est d’ailleurs possible pour elles depuis avril : au 3 août, 84 000 personnes immunodéprimées avaient reçu une dose de rappel.

Il n’y a pas d’urgence à organiser l’administration d’une troisième dose de vaccin.
Jean-Daniel Lelièvre, expert en immunologie auprès de la Haute Autorité de santé
Dans son avis du 15 juillet, la HAS s’est montrée très prudente quant à l’intérêt d’une éventuelle troisième dose expliquant qu’« il n’y a pas lieu pour le moment de proposer une dose de rappel en population générale, et qu’il faut suivre l’efficacité des vaccins dans le temps y compris sur les éventuels nouveaux variants qui pourraient apparaître ».

Les instances sanitaires suisses expliquent aussi ne pas pouvoir se prononcer sur la nécessité des vaccinations de rappel par manque de données. Elles estiment que « les personnes entièrement vaccinées avec un vaccin à ARNm sont protégées pendant 12 mois au moins contre les formes bénignes (sauf les personnes dont le système immunitaire est affaibli) et que la protection contre les formes graves est significativement supérieure à 12 mois », rappelle la HAS.

« Il faut évaluer quels sont les risques de recontamination des personnes au schéma vaccinal complet, si avec le temps, les gens hospitalisés sont ceux qui ont été vaccinés depuis longtemps. Les premières observations nous laissent à penser qu’il y a une protection au long cours. Il n’y a pas d’urgence à organiser l’administration d’une troisième dose de vaccin », assure Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d’immunologie clinique et maladies infectieuses au CHU Henri-Mondor de Créteil.

Même écho outre-Manche, du côté d’Andrew Pollard, qui préside le comité mixte sur la vaccination. Cité dans The Guardian, il dénonce l’empressement à proposer un rappel. « Même si les niveaux d’anticorps induits par le vaccin diminuaient, notre système immunitaire se souviendrait probablement de la vaccination pendant des décennies et offrirait un degré de protection en cas d’exposition au virus », a-t-il déclaré.

La France se précipite sur la voie d’une campagne de rappel déjà empruntée par la Grande-Bretagne, l’Allemagne et Israël. Néanmoins, la HAS souligne qu’en réalité, « peu de pays ont formulé des recommandations concernant la pertinence éventuelle d’un rappel chez les personnes ayant eu une primovaccination complète contre la Covid-19 ».

Ni les États-Unis ni l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’en voient l’intérêt pour l’heure. L’OMS a rappelé que la priorité était l’accès équitable aux vaccins dans le monde entier pour éviter l’apparition de nouveaux variants.

Le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, lui, avait déjà préconisé une dose de rappel pour les Français les plus âgés et les personnes à très haut risque face au Covid-19, début juillet. Le Conseil scientifique aussi, même s’il reconnaissait : « Les données scientifiques appuyant cette proposition sont encore limitées. » Parmi les multiples organes scientifiques qui conseillent l’exécutif, il a choisi de suivre ceux-ci.

Les PDG des laboratoires Pfizer-BioNTech et de Moderna avaient également évoqué dès le printemps la nécessité d’une troisième injection ; les mêmes qui ont récemment enregistré des chiffres d’affaires records et augmenté les prix des vaccins achetés par la Commission européenne, selon le Financial Times, justement en vue d’éventuelles doses de rappel.

La HAS, elle, insiste sur un point, en vain : « La priorité pour les prochaines semaines est de tout mettre en œuvre afin d’augmenter la couverture vaccinale au niveau national comme international, en particulier la classe d’âge des plus de 80 ans pour laquelle la couverture vaccinale complète est encore insuffisante. »

La courbe de la vaccination des Français, certes, continue à monter. Mais une autre, celle des plus de 80 ans, stagne de façon très préoccupante. Depuis près d’un mois, elle est même au point mort. Ce sont pourtant les plus vulnérables face au Covid-19, donc les plus susceptibles de déferler dans les hôpitaux et d’alimenter la quatrième vague.

82 % seulement des plus de 80 ans ont reçu une première injection, quand le Danemark, l’Irlande, la Norvège, le Portugal et l’Espagne ont vacciné 100 % de leurs plus âgés depuis des semaines, comme alertait également le Conseil scientifique dans son avis du 6 juillet.

Il y a plus de deux mois, les experts de Santé publique France avaient déjà pointé eux aussi « la faible progression chez les personnes les plus âgées » qui « invite au renforcement des actions pour aller vers ces personnes, notamment au travers de la vaccination à domicile ». À l’époque, près de 80 % de la population de plus de 80 ans avait reçu une première injection.

Interrogé par Mediapart début juillet sur l’existence ou non d’un budget dédié à l’« aller vers » dans cette campagne de vaccination, le ministère de la santé admettait : « Il n’existe pas d’estimation consolidée des dépenses engagées par les agences régionales de santé à ce titre. »

Pour expliquer qu’un ancien sur cinq ne soit toujours pas protégé face au Sars-CoV-2, il évoque toujours à présent des « difficultés liées à la fracture numérique, une vaccination moins facile à mettre en place à domicile qu’en centre, ce qui nécessite davantage d’ingénierie et de travail en finesse des professionnels de santé ».

Plus largement, une personne présentant des signes de comorbidité sur quatre n’a toujours pas reçu de première dose, soit autant qu’au 26 juin. Le gouvernement s’est fixé l’objectif d’avoir vacciné 85 % de cette population d’ici à la fin août. En deux semaines, il semble difficilement atteignable sans efforts supplémentaires.

« Il est choquant que le gouvernement ne mette pas de moyens pour aller chercher les plus vulnérables avec des vaccins très performants pour limiter les formes graves. C’est la priorité. La sortie de crise, c’est le désencombrement des urgences », assure Jérémy Ward, sociologue spécialiste des controverses vaccinales.

« Doctolib et les vaccinodromes, c’est bien pour les gens qui ont déjà l’habitude d’aller chercher ce à quoi ils ont droit, pas pour ceux qu’il faut aller chercher. On laisse la contrainte tout faire », regrette le chargé de recherche à l’Inserm qui pilote l’enquête Covireivac sur les Français et la vaccination. Il estime à environ 5 % seulement les plus de 80 ans réellement réfractaires à la vaccination.