Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Huff-post - Pass sanitaire : Pourquoi mépriser les antivaccins n’est pas une solution

Août 2021, par Info santé sécu social

Assimiler les personnes hésitantes à se faire vacciner contre le Covid-19 à des complotistes ou des personnes irrationnelles ne mène pas à des débats constructifs.

Par Marine Le Breton
14/08/2021

VACCINATION - Alors que près de 200 manifestations contre le pass sanitaire ont été organisées partout en France, ce 14 août pour le 5e samedi de suite, les critiques à l’encontre des personnes refusant ou hésitant encore à se faire vacciner ne cessent de se faire entendre. D’un côté, ils sont considérés comme des antivax complotistes, de l’autre, ils sont jugés irrationnels et mal informés sur le sujet.

De fait, le mépris à l’encontre de cette partie de la population est une posture dans laquelle il est facile de se glisser. Pourtant, loin d’être la solution, cette opposition est même contre-productive dans les débats autour de la vaccination.

“Une véritable guerre d’opinion”

“On assimile d’abord la méfiance envers les vaccins contre le coronavirus à de l’antivaccination, puis l’antivaccination à du complotisme. Ces deux mouvements permettent de rattacher une opinion spécifique (sur l’efficacité, la sûreté et la nécessité d’un vaccin contre le Covid-19) à un camp beaucoup plus vaste au sein d’une véritable guerre d’opinion”, explique Thomas Bonnin, chercheur en philosophie de la médecine, dans un article intitulé “Il est stérile de rattacher l’hésitation vaccinale au complotisme.

“D’un côté, les défenseurs des sciences, de la raison et de l’objectivité, attachés aux idéaux des Lumières, au progressisme et à la démocratie. De l’autre, les complotistes, masses biberonnées aux fake news et abreuvées des flots putrides et populistes des réseaux sociaux”, poursuit-il. “La vaccination fait aujourd’hui l’objet d’un consensus scientifique, d’une autorisation officielle et d’une injonction morale. Elle est martelée comme la seule solution de sortie de crise face à cette pandémie. Les antivaccins sont donc présentés comme des opposants, à la fois, à la raison scientifique et à la santé publique”.

Hésitation vaccinale ou antivaccins ?
Dans un article du Guardian, l’essayiste Dan Brooks donne l’exemple d’un tweet d’une journaliste sportive américaine, disant que la population se ferait vacciner si, sans vaccin, elle ne pouvait plus se rendre à des matches de football américain. “De tels propos jouent sur l’association entre le sud des États-Unis et un certain type de personnes : culturellement conservatrice, souvent sous-éduquée, plus intéressées par le sport que par la pandémie dans les journaux. Cette personne est devenue un bouc émissaire familier pendant la pandémie de coronavirus”, écrit Dan Brooks.

Dans les faits, c’est plus complexe. Ceux qu’on appelle communément les “antivax” représentent en fait des populations assez disparates. Selon une étude de la fondation Jean Jaurès publiée en décembre 2020, les personnes refusant de se faire vacciner sont surtout des jeunes, plutôt des femmes, et également plus susceptibles d’être des électeurs de partis dits populistes.

“Plus on est bas dans la hiérarchie sociale, plus on est réticent à la vaccination en général et contre le vaccin Covid-19 en particulier”, notent de leur côté les auteurs d’une enquête de l’Inserm et du CNRS réalisée auprès de 86.000 personnes. 17% des ouvriers déclarent ainsi qu’ils ne se feront certainement pas vacciner contre le Covid, contre 8% seulement des cadres supérieurs.

L’instauration du pass sanitaire vient compliquer encore un peu plus la donne. “Ces manifestations défont l’idée selon laquelle c’est une histoire d’être pro ou antivaccin. C’est aussi une question de contexte, dans lequel les gens perçoivent les mesures comme une atteinte à leurs libertés”, précise Thomas Bonnin, contacté par Le HuffPost.

Hésitations rationnelles
Considérer que celles et ceux qui refusent le vaccin font forcément preuve de défaillance de la rationalité est une erreur. Parmi eux, nombreux sont ceux qui expriment une défiance envers la politique. “Certes, le produit injecté en lui-même fait partie des raisons profondes pour lesquelles les antivaccins se font entendre en France, mais il faut aussi considérer la manière dont les mesures politiques ont été amenées, de manière assez autoritaire, parfois un peu brutale et culpabilisante. Cela n’a pas créé les conditions pour que les individus hésitants ou ayant des craintes soient à l’aise avec le vaccin”, note le spécialiste de philosophie des sciences.

S’ajoutent à ceux-ci tous ceux qui, loin d’être des antivaccins profondément convaincus, ont tout simplement des craintes, sans être complètement fermés à la vaccination en général.

“Les hésitations des personnes non vaccinées sont en partie rationnelles. L’annonce du pass sanitaire a polarisé encore plus les deux camps, d’un côté les ‘bons’ qui se vaccinent, de l’autre les ‘mauvais’ qui ne se vaccinent pas. Le fait que les gens hésitent n’est pas forcément un signe de défaillance de la rationalité”, note auprès du HuffPost Samuel Lepine, maître de conférences en philosophie morale et politique à l’université Clermont Auvergne.

Par ailleurs, les personnes vaccinées sont-elles de facto plus rationnelles que les autres ? “Avec la pression de ne plus avoir de vie sociale ou de perdre son emploi, combien sont allés se faire vacciner de manière superficielle, sans être plus renseignés ou conscients que les autres ?”, s’interroge et fait remarquer Thomas Bonnin. “La plupart des dits antivaccins sont informés, voire surinformés, en tout cas plus que l’on pourrait le croire, ils se sont bâti une opinion. La rationalité n’est pas forcément d’un côté plutôt que de l’autre”, ajoute-t-il.

Mieux vaut comprendre
Face à ceux qui ne sont pas vraiment des antivaccins mais des hésitants, et ceux qui sont plus renseignés que l’on pourrait le croire, adopter une position de mépris ne mène à rien. “De un, les antivaccins sont une minorité dans les opinions. De deux, on ne cherche pas à les comprendre, on les rabat tous sous le même terme d’antivax ou de complotiste. En plus, les injonctions morales sont encore plus importantes qu’avant, on leur dit qu’ils ne contribuent pas à l’effort collectif, qu’ils font n’importe quoi. On prend ses distances de cette population en les disant un peu irrationnels ou biberonnés aux fake news”, avance Thomas Bonnin.

“Pour résumer, nous avons donc beaucoup à perdre en assimilant l’hésitation vaccinale au complotisme. Il s’agit avant tout d’une affirmation de supériorité morale et de mépris envers les ‘antivaccins’, qui évite la remise en question de ceux qui formulent ces accusations, tout en cachant derrière un terme simpliste et péjoratif une variété d’attitudes. Ensuite, cela masque la cause principale de cette hésitation, qui est une crise de confiance dans les institutions politiques et médiatiques qui s’étend vers les acteurs scientifiques”, écrit-il encore dans son article.

Dès lors, il faudrait cesser de caricaturer ces personnes-là. “On surreprésente les versions polarisées et caricaturées, on comprend mal leur position. Il faut une écoute, il faut aussi au niveau des institutions de la transparence, de la pédagogie, de l’humilité, pour rétablir la confiance”.