Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Passe sanitaire : la France, exception en Europe ?

Août 2021, par Info santé sécu social

DOSSIER. PASSE SANITAIRE ET RESTRICTIONS DES LIBERTÉS

12 AOÛT 2021 PAR ISMAËL BINE ET LUDOVIC LAMANT

Si la plupart des États européens ont étendu le rôle du passe sanitaire, la France est l’un des plus radicaux en la matière. Tour d’horizon en Allemagne, en Espagne et en Italie.

Dans la gestion de la crise sanitaire, c’est un motif de satisfaction, au moins pour la Commission européenne : elle est parvenue à faire entrer en vigueur, au 1er juillet comme elle s’y était engagée, le « certificat vert numérique ». Le sésame devait servir, en théorie, à restaurer la libre circulation des citoyens européens à travers le continent, considérée comme l’un des piliers indéfectibles de l’Union.

Mais le scénario que certains eurodéputés avaient redouté, à haute voix, lors des débats au Parlement européen au printemps, s’est vite concrétisé : en l’espace de quelques semaines, les gouvernements nationaux se sont emparés de ce certificat d’un nouveau genre pour en faire un objet au rôle bien plus étendu, à l’heure du Covid, aussi indispensable pour la vie quotidienne, que controversé.

Nécessaire pour aller à l’hôtel au Portugal, se rendre à un concert en Allemagne, visiter un musée en Autriche, boire un café en terrasse en France, aller à la piscine en Italie, ne serait-ce qu’entrer sur le territoire à Malte. Plus de 300 millions de passeports ont déjà été émis, depuis début juillet.

Chaque capitale est souveraine pour fixer les contours exacts de « son » passe sanitaire. Où se situe la France sur la carte d’Europe, elle qui vient d’étendre l’utilisation du passe sanitaire, avec l’aval du Conseil constitutionnel ? Tentative de comparaison avec les situations en Italie, Espagne et Allemagne.

Italie : pas de passe pour les terrasses, des manifestations limitées
Le pays possède son propre passe sanitaire baptisé « green pass » (« Certificato verde digitale »). Il est obligatoire pour les plus de 12 ans depuis le 6 août, trois jours plus tôt qu’en France, pour se rendre au cinéma, au musée, dans une salle de sport, dans une piscine ou à tout grand événement.

Au restaurant, les patrons l’exigent seulement pour les salles fermées. Contrairement à la France, il est possible de profiter des terrasses - et même d’être accoudé au bar - sans avoir besoin du précieux sésame. Un professionnel n’appliquant pas le dispositif s’expose à des amendes pouvant aller jusqu’à 1 000 euros.

À l’instar de la France, « ce sont les employés ou les patrons qui doivent contrôler le “green pass” mais ils ne pourront pas demander aux clients leur carte d’identité », a expliqué la ministre de l’intérieur Luciana Lamorgese. Une nouvelle extension du passe sanitaire est prévue dès le 1er septembre. Les personnels des établissements scolaires et des universités devront le posséder à la rentrée.

Après cinq jours d’absence et tant qu’ils ne seront pas en règle, les enseignants se verront suspendus de leur fonction et privés de salaire. Une annonce qui ne rassure pas les professeurs encore peu nombreux à être vaccinés dans certaines régions. En Sicile, seuls 4 enseignants sur 10 sont vaccinés.

Le « green pass » sera également exigé dans les transports pour les vols intérieurs, les trains longue distance et certains ferries. Un passe est valide en Italie lorsqu’une personne a reçu au moins une dose de vaccin (en France, il est effectif une semaine après la deuxième injection), qu’elle s’est rétablie après avoir été malade du Covid-19 au cours des six derniers mois, ou qu’elle a été testée négative au cours des dernières 48 heures (contre 72 heures en France). Au 25 juillet, 55,8 % de la population en âge d’être vaccinée avait complété son cycle vaccinal et 69,9 % effectué au moins la première dose.

Comme en France, le passe sanitaire a suscité des réactions diverses. Samedi, 24 juillet, ils étaient environ 3 000 à protester dans les rues de Rome contre le passe sanitaire, assimilant l’exercice du pouvoir de Mario Draghi, le chef de l’exécutif italien, à une dictature sanitaire.

D’autres manifestations ont eu lieu les 31 juillet et le 7 août, mais la colère semble plus mesurée que dans l’Hexagone. Milan a rassemblé 9 000 personnes, Turin 5 000, Naples et Gênes quelques centaines. « Ce ne sont pas des no-vax. Ils s’opposent aux restrictions pour défendre leur liberté de choix et ce n’est certainement pas moi qui les ghettoïserai, a commenté Matteo Salvini, le chef de la Ligue (extrême droite, qui soutient le gouvernement au Congrès). Comme eux, je ne veux pas vivre dans une nouvelle Union soviétique. »

Le premier ministre Mario Draghi a réagi à ces protestations, expliquant que la mise en place du « green pass » est la condition indispensable pour « retrouver une vie normale ». L’Italie est le deuxième pays le plus endeuillé d’Europe avec 128 000 morts.

La péninsule a été le premier pays européen à obliger les médecins et le personnel soignant des secteurs public et privé à se faire vacciner, dès le 1er avril. Les non-vaccinés sont interdits de travailler en contact avec les patients. Un groupe de 300 soignants de Lombardie (la région de la ville de Milan, dans le nord de l’Italie) sont allés en justice pour tenter de faire annuler cette obligation.

Allemagne : un passe un peu plus lâche qu’en France
Un peu plus de 55 % des Allemands ont reçu les deux doses de vaccin (45,8 millions de personnes), et plus de 62 % deux doses. Les chiffres restent encore éloignés de l’objectif fixé mardi par Angela Merkel, d’un taux « très supérieur à 70 %, et jusqu’à 80 % ». Pour y parvenir, les Länder allemands ont bien étendu, là aussi, le rôle du passe sanitaire, mais de manière plus modeste qu’en France - et ce, même si la chancelière n’utilise pas expressément le terme de « passe ».

Depuis le 12 août, l’accès aux cinémas, musées, salles de sport et salles intérieures des restaurants, mais aussi aux hôpitaux et aux maisons de retraite, est conditionné à la présentation d’un test négatif, d’un schéma vaccinal complet, ou de la preuve d’une guérison récente du Covid. Mais seulement dans certaines métropoles du pays. Comme le précise Le Monde, ces règles ne s’appliquent que dans les lieux où le seuil des 35 nouveaux cas pour 100 000 habitants a été franchi, soit une cinquantaine d’arrondissements sanitaires, sur 401 dans tout le pays.

Les commerces et les transports ne sont pas concernés. Il n’y a pas non plus d’obligation vaccinale pour le personnel soignant (même si le débat fait rage). En raison du fédéralisme allemand, certaines régions peuvent toutefois décider, à la carte, d’étendre un peu plus le rôle du passe sanitaire. Alors que la France a annoncé la fin de la gratuité des tests PCR pour octobre, l’Allemagne a décidé cette semaine la fin de la gratuité des tests antigéniques à partir du 11 octobre - sauf pour les enfants et les adolescents, ainsi que les personnes qui ne peuvent pas être vaccinées pour des raisons médicales, qui continueront de profiter de tests gratuits (les tests PCR, eux , ne sont pris en charge que sur ordonnance ou en cas de test antigénique positif).

La gestion de la crise sanitaire en Allemagne se déroule en pleine campagne électorale, à l’approche des législatives du 26 septembre. Armin Laschet, le candidat de la CDU-CSU favori à la succession de Merkel, a été critiqué pour avoir changé de discours à plusieurs reprises sur le sujet du passe sanitaire. Du côté des manifestations, le souffle du mouvement Querdenker (« ceux qui pensent différemment ») semblait perdre de la vigueur début août, avec un rassemblement de quelques milliers de personnes dans la capitale (lire cette enquête de la TAZ sur « la fin du mouvement »). Le quotidien populaire Bild, l’un des relais de la contestation, titrait toutefois mercredi, au lendemain des nouvelles annonces fédérales : « Au secours, les règles d’horreur se durcissent ! »

Espagne : championne de la vaccination, la justice bloque l’extension du passe pour les bars

Le tribunal supérieur de justice de Galice, l’une des 17 communautés autonomes d’Espagne, dans le nord-ouest du pays, a annulé l’obligation de présenter un passe sanitaire pour entrer à l’intérieur des hôtels, bars et discothèques. C’était la seule région d’Espagne à encore exiger ce passe sanitaire, après les refus, début août, des autorités judiciaires de valider des dispositifs similaires en Andalousie, en Cantabrie (nord de l’Espagne) et aux Canaries.

Italie, Espagne, Belgique : ces pays qui ont vacciné 100 % (ou presque) de leurs octogénaires

PAR IRENE CASADO, CÉCILE DEBARGE ET CÉDRIC VALLET

Les juges andalous avaient estimé, le 6 août, que cette mesure malmenait le droit à la vie privée et à la non-discrimination. Ils s’inquiétaient aussi du fait que les critères de pertinence comme de nécessité n’étaient, à leurs yeux, pas remplis. La Navarre, elle, a renoué avec le couvre-feu nocturne, au moins jusqu’au 19 août, dans les localités les plus touchées par une reprise de l’épidémie. Les régions d’Espagne détiennent l’essentiel des compétences sanitaires, à l’échelle du pays.

Le pays a, semble-t-il, moins besoin que ses voisins européens d’inciter à la vaccination. L’Espagne caracole en tête des classements à l’échelle de l’UE, avec 61,3 % de sa population vaccinée avec deux doses - un chiffre supérieur, également, à celui du Royaume-Uni (58,5 %). Quelque 71,6 % des Espagnols ont déjà reçu une dose. Mediapart avait expliqué ici comment le pays était parvenu à faire vacciner 100 % des personnes de plus de 80 ans, alors que les Espagnols affichent l’un des taux de confiance les plus élevés au monde envers les vaccins.

Dans ce contexte, le débat sur l’obligation de la vaccination semble moins urgent. Mais cela n’empêche pas le gouvernement basque (nationalistes de droite) d’intégrer, dans sa future loi contre les pandémies, un article qui ouvre la porte à une vaccination obligatoire des Basques.