Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Covid-19 en Martinique : débordé, le CHU redoute le pic de la quatrième vague

Août 2021, par Info santé sécu social

SANTÉ REPORTAGE

18 AOÛT 2021 PAR YASMINE SELLAMI

Depuis trois semaines, la Martinique fait face à une quatrième vague de Covid-19 particulièrement meurtrière. À l’hôpital Pierre Zobda-Quitman à Fort-de-France, tous les lits de réanimation sont occupés alors que le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint.

Reportage.

Fort-de-France (Martinique).- Trois corbillards sont stationnés à l’entrée de la morgue de l’hôpital Pierre Zobda-Quitman à Fort-de-France, chef-lieu de la Martinique. Sous un soleil brûlant, les employés des pompes funèbres vont et viennent pour régler des questions administratives et récupérer les corps des défunts, dont le nombre augmente chaque jour. Et dont les noms rallongent chaque matin les avis d’obsèques diffusés sur la radio locale, qui s’étalent désormais sur une heure de temps.

Depuis trois semaines, la grande île fait face à une quatrième vague de Covid-19 particulièrement virulente. La population, dont moins de 20% a reçu ses deux doses de vaccin, est de nouveau strictement confinée, comme lors de la première vague. Mais la mesure tarde à porter ses fruits. Le dernier bilan hebdomadaire, publié mardi 17 août par l’agence régionale de santé, fait état de plus de 4 000 nouveaux patients positifs au virus. Et présente un taux d’incidence de 1 147 pour 100 000 habitants. Les médecins estiment que le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint. Le variant Delta, très contagieux, vient à peine de prendre le dessus.

Les contaminations flambent, les décès suivent, la morgue déborde. Dominique Arade-Chenor, responsable depuis 2018 de cette unité de conservation des corps, raconte n’avoir jamais été confronté à une situation d’une telle ampleur. « En temps normal, on ne dépasse pas les 90 à 100 morts par mois. Là, on a eu 190 morts à l’hôpital alors que le mois n’est même pas fini ! Et 80% d’entre eux sont morts du Covid », précise le dirigeant, derrière son masque FFP2.

Dos à lui, deux hommes, combinaisons, masques et gants de protection, s’activent. Ils déplacent des cercueils entre la chambre froide et l’extérieur. Des corps inanimés seront transportés dans la journée. De quoi libérer un peu d’espace, dans cette zone qui reçoit en moyenne vingt morts par jour alors qu’elle n’est aménagée que pour vingt-cinq places au total.

« On a beaucoup d’arrivées mais les départs ne se font qu’au bout de vingt à quarante-huit heures, voire plus. Sans parler du problème des autopsies. Les corps atteints du Covid-19, même sans vie, restent contaminants, on est obligés d’attendre dix jours avant de pouvoir y toucher, mais on n’a pas de place pour les garder aussi longtemps », regrette Dominique Arade-Chenor, dont la fatigue se lit sur le visage.

Avant, les pompes funèbres prenaient le relais, mais aujourd’hui, elles aussi sont saturées. Alors face à cette surcharge, le personnel s’arrange comme il peut. À savoir, en laissant les corps inertes dans des endroits où la température basse permet de les préserver dans un bon état. Et en incitant les proches à les récupérer rapidement. « On a fait en sorte qu’au-delà de trois jours à la morgue, les gens doivent payer 180 euros par jour supplémentaire. »

Des patients sur des lits de camps militaires

L’index qui défile sur l’écran de son smartphone, Dominique Arade-Chenor montre les images du nouvel équipement qui lui sera livré ce soir depuis l’hexagone : une morgue mobile lui sera envoyée par l’armée française. Et lui permettra d’avoir douze places réfrigérées supplémentaires. « C’est une bonne chose, mais ça reste tout de même insuffisant », constate celui qui a du mal à réaliser qu’il doit avoir recours à des équipements militaires.

Et il n’est pas le seul à avoir ce sentiment au sein du personnel du centre hospitalo-universitaire de Martinique (CHUM). Quelques mètres plus loin, du côté des urgences, les soignants ont dû utiliser des lits de camps militaires face à l’afflux massif de nouveaux patients positifs au coronavirus. Quinze personnes étaient installées dessus. Une scène qui a marqué le docteur Yannick Brouste, chef du service des urgences. « C’est inhumain de devoir laisser les malades au sol comme cela. Je n’ai vécu ça que lors du tremblement de terre à Haïti. Faire ça pour le Covid, c’est difficile, mais on n’a plus le choix. Il n’y a plus de place. Désormais, c’est de la médecine de guerre », s’attriste le médecin.

Le service enregistre entre quarante et cinquante nouvelles hospitalisations liées au Covid par jour. Le tableau des admissions affiche complet. Et pourtant, en cette matinée d’août, la liste risque encore se rallonger. Les trois chapiteaux aménagés à l’entrée pour tester et trier les malades ne désemplissent pas. Les camions de pompiers, le Samu et les voitures des particuliers arrivent à la chaîne. Avec, à leurs bords, des personnes, souvent dans un état déjà avancé de la maladie.

Axel Andolfo est urgentiste à Médecins sans frontières (MSF) à Lille. Il n’a pas hésité à s’inscrire pour la réserve sanitaire, et vit ses premiers instants en renfort au CHUM. Sous les chapiteaux, il teste, mesure la tension artérielle et la saturation en oxygène, avant d’orienter les patients. Ceux atteints du Covid et en manque d’oxygène, seront admis aux urgences.

Mais impossible de les accueillir tous. Les couloirs sont déjà remplis de lits de malades en attente de chambres. Et un record a été atteint la veille, le lundi 16 août : 186 passages aux urgences pour un service avec une capacité de 100 par jour. « On a manqué de brancards, de prises pour l’oxygène et de place », énumère le chef de service. Avant d’évoquer la délicate question du « choix » des patients, non sans émotion. « Étant donné que nous sommes en médecine de catastrophe, on applique des principes moraux différents de ce qu’on fait en temps normal. On est obligés d’arbitrer, voir qui a le plus de chance de survivre, pour déterminer qui peut être interné... »

Face à un tel afflux, le corps médical est débordé. Un médecin qui préfère rester anonyme sort, essoufflé, « pour respirer un peu ». « Je ne veux pas que mon nom soit dans la presse. Les personnes opposées à la vaccination nous menacent, on n’ose même plus dire qu’on est médecins. » Il fait des allers-retours rapides en bas de son unité pour décompresser. « On n’est pas assez » lance-t-il à son collègue, pendant sa pause cigarette. Mais pas le temps de bavarder, le répit est de courte durée. Le spécialiste remonte assister les patients.

La virulence de cette vague surprend tout le monde. Y compris le corps médical. « Pendant les précédentes vagues, on a été confinés en même temps que la métropole, avant que ça n’arrive chez nous. Donc on y a échappé. C’était assez faible. Mais ce que l’on vit aujourd’hui, on n’a jamais vu ça ! », s’exclame le docteur Yannick Brouste. « Chaque jour, on a l’impression de toucher le fond, chaque jour, on creuse encore... »

Le désespoir dans les paroles du chef de service se comprend une fois passée la porte du service de médecine polyvalente, transformé en unité Covid. Toutes les chambres sont occupées. Sur les portes, de petites fenêtres vitrées laissent apercevoir les malades. À moitié nus, habillés de couches gériatriques, ils ne sont plus qu’un corps flasque qui lutte tant bien que mal pour rester parmi les vivants.

« Étant donné que la réanimation est saturée, c’est nous qui récupérons des formes déjà graves, qui en temps normal n’auraient pas été dans ce service. Il y a certains patients, nous savons qu’ils ne survivront pas plus de deux jours. C’est terrible », regrette Audrey Lagier, infirmière.

Derrière les petites fenêtres qui donnent sur les lits des malades, les âges se confondent. Liste de patients entre les mains, Pierrette Liard Bonnet, cadre de santé, indique que la majorité a moins de 55 ans, et la plus jeune 19 ans. Elle a été transférée en réanimation.

Dans cette unité, « 100% des lits sont occupés, et quand ça se libère, ce n’est pas pour longtemps », raconte le chef de service, Cyrille Chabartier, qui appréhende le moment où la vague atteindra son pic. « On est déjà submergés et dépendants des renforts nationaux. On n’a jamais ouvert autant de lits. Je ne sais pas comment on va faire », confie-t-il dans un rire nerveux.

Derrière lui, les alarmes sonnent en permanence au niveau du poste de soins, où deux écrans affichent les suivis de chaque personne hospitalisée en réanimation. Les tonalités alertent sur l’état de santé des malades. Infirmiers, médecins, et aides soignants fourmillent dans le hall et dans les chambres pour réguler les besoins des patients, reliés à la vie via de nombreuses machines. Et positionnés sur le ventre, « pour décomprimer les poumons et aider à la respiration », explique le médecin.

Pour soulager les hôpitaux martiniquais, et permettre plus d’entrées en réanimation, des évacuations vers la métropole sont organisées. Trois nouveaux patients ont été envoyés mardi matin dans des établissements parisiens. Et six autres samedi dernier. « Mais encore faudrait-il que les malades soient en capacité de voyager dans un avion... Ils sont très peu vu leur état », commente le chef de service des urgences. Pour l’heure, les places libérées sont surtout liées aux décès...