Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Passe sanitaire, Covid : les résurgences d’un antisémitisme virulent

Août 2021, par Info santé sécu social

Des étoiles jaunes arborées dans les cortèges à la dénonciation d’un « paSS nazitaire », en passant par les pancartes « Qui ? » : la mobilisation contre le passe sanitaire donne lieu à de multiples expressions d’un antisémitisme virulent, ancré dans l’idéologie de l’extrême droite française. Dans les soutiens des Patriotes ou au RN, certains ont tombé les masques.

« Quel nom ? Je ne connais pas cette personne. » Florian Philippot l’assure : il n’a aucun contact avec Alain Mondino, un de ses plus actifs soutiens sur les réseaux sociaux. Débarqué de la campagne du Rassemblement national (RN), où il était candidat aux élections municipales à Villepinte (93), pour avoir partagé des dizaines et des dizaines de contenus antisémites, comme l’avait révélé Mediapart, Alain Mondino mène désormais campagne pour le leader des Patriotes. Il relaie chacune de ses prises de parole et appelle à venir manifester à ses côtés chaque samedi depuis janvier.

Au début de la pandémie, ce militant partageait des vidéos expliquant que le Covid avait été inventé par les « américano-sionistes » pour étrangler financièrement la Chine, et ce alors que « le New Jew World Order » ne parvenait plus à imposer ses « mystifications holocaustiques ».

Ce militant d’extrême droite n’a aujourd’hui rien renié de ses obsessions. Il partage ainsi des vidéos du site « Le réveil des moutons » qui donne la parole à Hervé Ryssen, condamné à de multiples reprises pour antisémitisme. Son texte est accompagné d’une photo de pancarte de manifestation montrant Jacques Attali en parrain, tirant les ficelles de cette crise sanitaire, dans la grande tradition antisémite, dont l’économiste proche d’Emmanuel Macron fait souvent les frais.

Désavoué par le RN, Alain Mondino continue aussi de diffuser tous les « sketchs » de Dieudonné, condamné lui aussi à de multiples reprises pour ses propos antisémites.

Son idole était d’ailleurs présente dans le cortège organisé par Florian Philippot le 14 août, où il a été accueilli par des acclamations et des « Dieudo président ».

« Ce sont des manifestations ouvertes… Mais Dieudonné n’a pas défilé à mes côtés et on ne lui a pas donné la parole », rétorque Florian Philippot. « Il n’est pas impossible que certaines personnalités viennent se faire un coup de pub », précise l’ancien dirigeant du FN.

« Évidemment, l’antisémitisme n’a rien à faire dans notre mobilisation et si nous en trouvions des signes, la personne serait écartée, mais honnêtement depuis que je manifeste, je n’ai rien vu de tel, explique Florian Philippot. Attention à ne pas tomber dans la communication grossière du gouvernement. C’est terriblement minoritaire et marginal et aux antipodes de ce mouvement qui se bat pour les libertés publiques », se défend le leader des Patriotes qui manifeste tous les samedis depuis le mois de janvier contre la « Coronafolie ».

La mobilisation contre le passe sanitaire a pourtant été l’occasion pour toute une frange de l’extrême droite, et parfois bien au-delà, d’exprimer un antisémitisme plus ou moins explicite. Des étoiles jaunes arborées dans les cortèges, dressant un parallèle entre les juifs sous l’occupation et ceux qui refuseraient de se faire vacciner, la dénonciation d’un « paSS nazitaire », aux pancartes « Qui ? » devenu un signe de ralliement antisémite, les marques ont été nombreuses, sans avoir toutes la même valeur.

« Arborer ces étoiles jaunes revient à minimiser et banaliser le génocide des juifs », souligne Jonas Pardo, cofondateur du RAAR, le Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes, « et c’est encore autre chose que de brandir ce “qui ?” en laissant entendre que les juifs seraient derrière la pandémie ».

L’expression « Qui ? » s’est répandue parmi les covido-sceptiques après une intervention du général en retraite Dominique Delawarde, sur CNews. Alors qu’on l’interrogeait sur l’identité de ceux qui contrôlent « la meute médiatique », il avait répondu d’un sibyllin : « C’est la communauté que vous connaissez bien. » Ce signataire de la tribune des généraux appelant à un putsch pour sauver la France de son « délitement », publiée dans Valeurs actuelles en avril dernier, a depuis fait des émules.

La militante d’extrême droite Cassandre Fristot qui a brandi la pancarte arborant un grand « Qui » suivi d’une liste de noms à consonance juive – et dont la photo a été beaucoup relayée – sera jugée pour « provocation publique à la haine raciale » le 8 septembre, a indiqué le parquet de Metz.

Au RN, resté très en retrait sur ces mobilisations tout en dénonçant le passe sanitaire, on raille volontiers le fait que Florian Philippot récupère les personnalités écartées du parti pour leurs positions trop extrémistes. Pourtant, comme l’a constaté Mediapart, un antisémitisme débridé s’est également exprimé dans ses rangs à l’occasion des mobilisations de cet été.

Candidat aux élections régionales et départementales sur la liste d’Andréa Kotarac, Sami Hamadouche a commencé à faire le ménage dans ses tweets. On ne trouve plus trace du commentaire où il disqualifiait en tant que « juif » un médecin intervenant sur le Covid, tout juste a-t-il conservé ses laborieuses explications devant des commentaires indignés.

Mediapart a pu sauvegarder les captures d’écran où l’ex-candidat s’interroge gravement : « Macron est un pantin dirigé par… QUI ? ». « Et je vous demande QUI est responsable de la limitation de la liberté d’expression et de nos droits individuels ? #QUI », écrit-il encore le 11 août, tout en insinuation. Dans un autre message, il explique également que « les juifs sont intouchable [sic] » puis, prenant manifestement ses aises avec le mot d’ordre de « dédiabolisation », affirme : « Rétablissons le national socialisme, privilège au peuple avant les étrangers ». Ni Sami Hamadouche ni Andréa Kotarac n’ont donné suite à nos demandes d’entretien.

Également candidate sur la liste de Kotarac, Juliette Planche avait déjà été écartée de la campagne après notre article relatant les très nombreux messages antisémites de son compte Twitter, plusieurs insistant sur une prétendue implication des juifs dans la pandémie. La tête de liste du RN nous avait assuré que ces propos étaient contraires à ses « valeurs » et qu’il engageait une procédure interne contre sa colistière.

Le compte de Sami Hamadouche, pourtant suivi par de nombreuses personnalités du RN, n’a jusqu’ici provoqué aucun émoi.

Cassandre Fristot, qui a brandi la fameuse pancarte « Qui », n’est pas non plus une inconnue du RN. Elle a été candidate en Moselle du parti de Marine Le Pen aux législatives de 2012. Elle a également travaillé quelques mois auprès de Louis Aliot.

Aux Patriotes comme au RN, difficile d’affirmer qu’on n’a pas vu venir ces manifestations d’antisémitisme tant elles sont présentes depuis l’apparition du Covid sur les réseaux sociaux.

« Même s’ils restent effectivement très minoritaires dans les mobilisations, les discours antisémites ont gagné en viralité avec la pandémie, comme toutes les théories complotistes », atteste le chercheur Tristan Mendès France qui mène ce travail de veille pour Conspiracy Watch.

Clément, membre du collectif L’Extracteur, qui traque la désinformation médicale sur Internet, a ainsi vu s’imposer les schèmes antisémites sur les sites covido-sceptiques, notamment parmi les influenceurs en matière de médecine alternative. « En travaillant sur ces réseaux depuis un an et demi, c’est une petite musique qu’on a peu à peu vue s’installer », raconte-t-il.

« Il y a beaucoup de ponts qui se sont faits depuis le début de la pandémie. Cela amène des gens qui s’interrogent sur le Covid et suivent une personnalité comme l’anesthésiste Louis Fouché, proche de Didier Raoult, par exemple, de vidéo en vidéo, vers ces contenus complotistes antisémites », détaille-t-il.

Pour lui, il est frappant de constater que « ces discours ont essaimé au-delà des rentiers habituels de l’antisémitisme que sont Soral ou Dieudonné, par exemple. Lorsqu’on entend Philippe de Villiers mobiliser le Great reset, évoquer le rôle de Klaus Schwab [président du forum économique mondial – ndlr] avec toujours ce même schéma d’un petit groupe caché qui tire les ficelles, on voit bien comment tout cela se diffuse. La stratégie de l’extrême droite a toujours consisté à avancer à couvert sur le sujet. Certains peuvent ainsi passer à côté d’une pancarte “génocide des Goyim” sans en comprendre la signification », précise ce membre de L’Extracteur.

Les catholiques intégristes de Civitas viennent de lancer un appel à utiliser le mot d’ordre « Qui ? » dans les prochaines manifestations, forts de la difficulté à incriminer juridiquement ce « pronom interrogatif ». « Qui pourra interdire au peuple français de se demander qui bénéficie des ventes mondiales des vaccins expérimentaux ? Qui a conçu le Great reset ? Qui parmi les dirigeants politiques a trahi le peuple français ? Ce sont des questions légitimes », lance le président de Civitas, Alain Escada, dans sa dernière vidéo.

Au lendemain de l’approbation du passe sanitaire par le Conseil constitutionnel, il avait lourdement insisté sur le rôle de son président, Laurent Fabius, cible récurrente des antisémites en France. « Qui imaginait réellement le Conseil constitutionnel présidé par Laurent Fabius désavouant le gouvernement de Macron au service de Big Pharma, du forum économique de Davos, du Great reset ? », s’interrogeait-il.

Pour Jonas Pardo, cofondateur du RAAR, il est donc important de savoir identifier cet antisémitisme qui s’exprime parfois de façon cryptée. « On est souvent à l’intersection de plusieurs théories du complot avec une mobilisation des tropes antisémites du Moyen Ȃge : le peuple décide qui veut exterminer les gentils, l’utilisation rituelle du sang des enfants, les empoisonneurs de puits. Il y a par exemple ce dessin d’Agnès Buzyn qui a beaucoup tourné et que l’on voit mettre du poison dans un puits. Elle a un nez proéminent », explique-t-il.

« Il y a bien sûr des slogans qui ne trompent pas, qui sont des références historiques claires : celui du juif empoisonneur, du juif dans la finance qui tire les ficelles… Mais il y a aussi des slogans plus flous, plus ambigus. La critique du “Big Pharma”, qui peut être mobilisée à gauche, comme une entité floue et indéfinie, est en soi problématique. Idem lorsqu’on brandit la souveraineté du peuple français face aux “élites mondialisées”. On sait que derrière la matrice est l’antisémitisme. D’ailleurs, combattre cet ennemi aussi flou et indéfini ne va pas se faire par une voie démocratique », analyse-t-il.

Parler d’« apartheid » peut également renvoyer, selon lui, au fantasme d’une minorité ethnique dominant un pays, comme en Afrique du Sud, ce qui réactive, là encore, de très anciens mythes de l’antisémitisme européen.

Les manifestations d’antisémitisme sont donc loin d’avoir éclos avec les cortèges contre le passe sanitaire. Elles sont présentes chez une partie des covido-sceptiques depuis le début de la pandémie.

Le documentaire Hold up, qui a connu à l’automne dernier un succès retentissant, multipliait déjà les allusions antisémites plus ou moins voilées en laissant entendre qu’un petit groupe avait organisé la crise sanitaire et en insistant encore une fois sur le rôle, par exemple, de David Rockefeller ou de Jacques Attali... Depuis les « personnalités » qui y étaient à l’honneur comme la blogueuse Ema Krusi, le gourou Jean-Jacques Crèvecœur ou l’ancien médecin Christian Tal Schaller, ont tombé le masque.

Comme l’a épinglé le collectif L’Extracteur dans une longue vidéo sur l’antisémitisme chez les covido-sceptiques, cette nébuleuse tient depuis des mois des propos de plus en plus explicites.

Dans l’émission « L’info en questions » du 6 mai, qui avait ardemment fait la promotion de Hold up après avoir organisé une levée de fonds pour financer le film, on peut ainsi entendre Jean-Jacques Crèvecœur faire la lecture du classique de la littérature complotiste Des pions sur l’échiquier de William Guy Carr. « Un très petit groupe de banquiers riches, influents et internationaux, ne rendant aucun compte à quelque pays que ce soit mais mêlé à toutes les affaires de la planète avait organisé depuis 1773 la Franc-maçonnerie du Grand Orient […]. Leur plan à longue échéance était destiné à obtenir le contrôle total de la richesse des ressources naturelles et de l’intégralité du potentiel humain. La plupart sinon la totalité des banquiers internationaux étaient d’ascendance juive », lance-t-il.

Dans la même émission, on peut également voir la youtubeuse Marie-Lyne Vuattoux s’interroger sur la création d’un « génome muté qui cause un vieillissement accéléré et qui a été découvert par… le professeur Nicolas Lévy », avant de poursuivre en citant un rapport scientifique sur la génomique. « Il faut savoir que dans ce rapport il y a beaucoup d’homonymes, on a l’impression qu’ils travaillent en famille », s’amuse-t-elle avant d’égrener une liste de noms juifs provoquant les rires de l’assistance : Chloé F, Jean-Jacques Crèvecœur et Christian Tal Schaller, des figures bien connues de la nébuleuse complotiste, dont les vidéos ont souvent cumulé des centaines de milliers de « vues ». « Moussa Darmanin, Moussa cela veut dire Moïse » et « Emmanuel [Macron] cela veut dire Dieu avec nous », conclut enfin la blogueuse, très inspirée.

Christian Tal Schaller renvoie aussi sur son blog à cet article du site Dissitence.tv intitulé « Covid 19-Vaccin talmudique de dépopulation mondiale ». On y entend le « témoignage » d’un « juif anonyme » expliquer que « les gens qui sont derrière tout ça [la pandémie – ndlr], ce sont les juifs. Je ne sais pas si vous avez lu le Talmud ? [...] Ces gens-là ils ont pour objectif de réduire la population en esclavage… Donc vous n’aurez pas d’autre solution que d’utiliser la violence. Je dirais même l’ultra-violence », conclut-il.

Mises sous les feux des projecteurs par le documentaire Hold up, soutenu à l’époque par des personnalités aussi diverses que Sophie Marceau ou l’influenceuse Kim Glow, ces personnalités, désormais bannies de Facebook et Youtube, sont contraintes de s’exprimer via des canaux plus confidentiels comme la chaîne Odyssée.

Qu’elles se rassurent, à voir aujourd’hui certaines pancartes dans les mobilisations de cet été : leur discours est bel et bien passé.