Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : « La gestion de l’épidémie n’est pas qu’une affaire de santé publique mais revêt une dimension économique et politique »

Septembre 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : « La gestion de l’épidémie n’est pas qu’une affaire de santé publique mais revêt une dimension économique et politique »

TRIBUNE

Carine Milcent

27/09/2021

Economiste

Il y a encore peu, deux stratégies pour lutter contre la pandémie étaient envisagées : zéro Covid ou bien « vivre avec ». La situation est devenue plus complexe avec le variant Delta, plus contagieux. Une couverture vaccinale, la plus large possible, est actuellement la solution privilégiée.

Des différences persistent néanmoins. Elles peuvent être regardées à partir de deux dimensions : la capacité d’isolement des populations et la capacité d’obtention de vaccins. Le croisement de ces deux dimensions permet de mieux comprendre les choix politiques opérés.

La première dimension est le choix d’isolement qui dépend de la capacité à mettre en place une telle politique ; certains pays y arrivent grâce à leur géographie, comme la Nouvelle-Zélande ou Singapour ; d’autres, comme la Corée du Nord et la Chine, emploient la manière forte des régimes autoritaires.

Une question de résilience
Quel que soit le levier principal, ces pays ont en partage une faible densité de population ou une grande acceptation des décisions de confinement local ou général. Celà implique une résilience forte des populations et une confiance pleine dans les politiques prises et/ou une acceptation complète.

Dans ce cas, les pays peuvent mener une politique de contrôle sanitaire très stricte. Les arrivées et les départs sont sous contrôle serré. A la moindre alerte, des mesures drastiques sont mises en place pour éviter l’étendue de la contagion. Les zones concernées sont tout de suite isolées du reste du territoire. Pour ces pays, la politique d’éradication du virus a prévalu jusqu’à maintenant.

Toutefois, les interactions sociales et les échanges de pensées avec l’extérieur se font presque exclusivement à distance. D’autres pays ont une faible capacité d’isolement et l’idée du « vivre avec le virus » est celle qui a prévalu. Il s’agit de pays dont les frontières sont définies comme poreuses, géographiquement mais aussi par construction politique.

La France est par définition un pays ouvert
Les pays membres de l’Union Européenne, (UE) dont la France, en font partie. Une fermeture des frontières n’est alors ni réaliste ni économiquement souhaitable. La France est par définition un pays ouvert. Une fermeture poserait la question des frontaliers, des touristes. Et surtout, cela demanderait une infrastructure que nous n’avons plus depuis longtemps et dont la mise en place est difficilement imaginable à court terme.

La faible capacité d’isolement concerne également des pays dont l’économie est presque exclusivement tournée vers le tourisme. Ces Etats font face à un arbitrage entre les effets délétères de l’absence d’entrée de richesse par l’absence de touristes, et le contrôle de l’expansion du virus Covid-19 sur leur territoire.

La deuxième dimension est le choix de la couverture vaccinale en fonction de la capacité d’obtention du vaccin. Des pays comme la Chine ou la Russie ont développé leur propre vaccin à travers des industries pharmaceutiques privées en lien avec l’Etat. Ces pays sont en mesure de mettre en place une couverture vaccinale basée sur un brevet local et une production locale.

Le coût du vaccin
Ils sont donc moins soumis aux aléas de disponibilité des stocks de vaccins et l’Etat a un plus grand contrôle sur le prix d’achat. Ils ont également la possibilité de mener une diplomatie sanitaire bilatérale par la distribution de stocks de vaccins nationaux. Ces vaccins véhiculent une protection contre le virus Covid-19 et propagent, à travers la preuve de leur succès, la réussite de régimes politiques autoritaires.

D’autres pays, comme les Etats-Unis, ont également assisté au succès de leurs industries pharmaceutiques mais avec un lien plus ténu entre le laboratoire et l’Etat. Si le pays s’enorgueillit de ce succès, les retombées internes sur le plan sanitaire sont plus complexes. Ils (???elles ???) n’ont pas les mêmes leviers sur les possibilités de négociation du prix, et les retombées en termes de diplomatie sanitaire sont plus floues.

D’autres pays riches dépendent de l’extérieur pour l’approvisionnement en vaccin. Dans l’arbitrage entre la lutte rapide contre le virus Covid-19 et le ralentissement de l’économie, certains pays ont fait le pari d’achat précoce de vaccins pour une large couverture, le plus rapidement possible.

La complexité des décisions politiques
Israël est un bon exemple : les dépenses publiques pour l’achat des vaccins à un prix élevé ont été estimées comme compensées par une activité économique plus faiblement affectée par la crise sanitaire. A l’inverse, les pays pauvres traversent cette crise sanitaire sans capacité de couvrir leur population par la vaccination.

Le croisement de ces deux dimensions de choix explique la complexité des décisions politiques. Ajoutons qu’outre la Chine, les pays qui ont opté pour l’isolement sont ceux qui jusqu’alors avaient un taux de vaccination faible. Les pays trop pauvres pour se lancer dans la course à l’achat de vaccins assistent à la diffusion du virus, d’autant plus s’ils sont dépendants souvent de l’activité touristique.

Non seulement ils sont dans l’incapacité de proposer suffisamment de vaccins à leur population et font face à une flambée des cas de contamination, mais ils se trouvent également gravement touchés par les effets indirects de la crise sanitaire sur le plan économique. C’est pour eux la double peine. La polémique autour de la levée des brevets les concerne en premier lieu.

Pour une plus grande distribution du vaccin dans le monde
La France, comme d’autres pays européens, a décidé une couverture vaccinale maximale alors que la situation ne permet pas un isolement de ses habitants. Dit autrement, le pays n’est pas hermétique aux allées et venues de personnes vivant en deçà et au-delà de ses frontières.

Ainsi, il y a une interdépendance entre la situation sanitaire de ces pays et la propagation du virus à travers le monde. Il devient donc nécessaire d’adjoindre à cette politique intérieure une action de multilatéralisme pour une plus grande distribution du vaccin à l’ensemble de la planète.

La gestion de l’épidémie n’est pas qu’une affaire de santé publique mais revêt aussi une dimension économique et politique. Aujourd’hui, l’objectif commun des pays riches est une sécurité sanitaire, tandis que les pays pauvres en subissent les effets. Toutefois, la situation épidémique sur ces populations faiblement vaccinées a des répercussions sur l’ensemble de la planète et, en première ligne, sur les pays qui ne peuvent pas s’isoler. On assiste à une optimisation nationale de la sécurité sanitaire aux dépens d’une optimisation globale.

Carine Milcent est chercheuse au CNRS, spécialiste des systèmes de santé. Elle est également professeure associée à l’Ecole d’économie de Paris (PSE) et vice-présidente du conseil scientifique de l’Agence technique de l’information médicale (ATIH).