La Sécurité sociale

Alternatives Economiques : Grande Sécu : trois leçons d’une drôle de proposition

Novembre 2021, par infosecusanté

Alternatives Economiques : Grande Sécu : trois leçons d’une drôle de proposition

Christian Chavagneux

Le 26/11/2021

Le projet de grande Sécu sera-t-il enterré avant même d’avoir vu le jour ? Les fuites, dans Les Echos, des conclusions du rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) semblent avoir coupé l’herbe sous le pied du ministre de la Santé, pourtant prêt à modifier les modes de remboursement de nos dépenses de santé.

Olivier Véran plaidait encore il y a peu pour la mise en œuvre d’une grande Sécu, intégrant en partie au régime public de la Sécurité sociale ce qui est aujourd’hui du ressort des mutuelles, instituts de prévoyance et assureurs privés.

Désormais beaucoup plus prudent face aux difficultés de réalisation d’une telle entreprise, il aurait, si l’on en croit les révélations du Point, reculé devant l’obstacle. Reste que cette proposition, qui n’a peut-être pas dit son dernier mot, nous permet de tirer trois leçons pour l’avenir.

La concurrence fait monter les prix
La motivation principale de cette proposition, qui n’est pas nouvelle, est de diminuer les frais de gestion du système. Pesant 7 % des dépenses (4,7 % en Allemagne), ils sont élevés, car chaque dossier doit être traité deux fois : d’abord par la Sécu, puis par les organismes complémentaires. L’AP-HP dit employer 1 500 personnes rien que pour gérer ces dossiers ! Les complémentaires dépensent 8 milliards d’euros pour assurer 12 % des remboursements, la Sécu 7 milliards pour 80 % !

Le constat est indéniable. Mais quelle en est la cause ? La concurrence. Les gouvernements successifs ont étendu l’obligation de détenir une assurance santé complémentaire, mais ont réclamé la concurrence des offres. Le résultat s’est soldé par une bataille pour acquérir les clients, les coûts de marketing représentent 40 % des frais de gestion.

De plus, quand les assureurs s’y sont mis, ils ont établi leurs cotisations en fonction de l’âge et sans tenir compte des revenus. Les jeunes, plus souvent bien portants, et les riches ont alors quitté les mutuelles qui se sont retrouvées avec les assurés les plus coûteux.

Pour rester rentables et respecter les contraintes prudentielles, elles ont dû abandonner l’esprit mutualiste et faire également contribuer en fonction de l’âge. Les prix ont grimpé et les publics les moins fortunés ont été mis de côté. Si 4 % de la population seulement n’est pas couverte par une complémentaire, cela monte à plus de 10 % pour les 10 % les plus pauvres, 13 % pour les chômeurs.

Bref, l’idée de bâtir une grande Sécu est le résultat de frais de gestion et de prix d’assurance devenus coûteux du fait de la concurrence.

Une étatisation ?
A gauche, un tel projet a plutôt tendance à séduire : moins de frais de gestion et une couverture universelle vont dans le bon sens.

A droite, on hurle à l’étatisation du système. Comme si on allait passer d’un monde de liberté totale de choix à une prise en main publique. Cela ne correspond pourtant pas à la réalité. Si concurrence il y a bien sur les prix, elle est encadrée. La couverture complémentaire est obligatoire pour les salariés du privé, les remboursements se font dans le cadre d’un panier de soins, le 100 % santé définit le type d’actes qui peut être intégralement remboursé, une complémentaire de solidarité pour les personnes en dessous et juste au-dessus du seuil de pauvreté a été mise en place, des règles prudentielles strictes veillent au grain, etc.

Nous sommes dans un domaine qui doit être régulé, car il existe une très forte asymétrie d’information entre les clients et les organismes complémentaires sur la portée réelle de ce qui est remboursé ou pas. Pour quiconque s’y est essayé, la comparaison des différents contrats est un casse-tête !

Il faut enfin rappeler que les dépassements d’honoraires, les chambres individuelles, l’optique, les soins dentaires, l’audio prothèse resteraient à la charge des organismes complémentaires.

Rembourser quoi ?
C’est là que se situe le cœur du sujet : avec la grande Sécu, tout le monde serait couvert, mais pour quel panier de soins ? Les maladies et les médicaments changent : comment fait-on évoluer le système pour déterminer ce que l’on rembourse ou pas ?

Surtout, les revenus des professionnels de santé constituent les deux tiers des dépenses. La question de fond est donc bien celle-là : quel est le « bon » niveau de revenus de nos médecins ? Pourquoi un dermato gagne-t-il 20 % de plus qu’un pédiatre et un ophtalmo 2,5 fois plus ? Certains dépassements d’honoraires peuvent être justifiés, d’autres sont le résultat de rentes, comment faire le tri ?

Une grande Sécu ne revient pas à simplement chercher à éliminer des frais de gestion. Sa mise en œuvre réclame de mettre autour de la table les personnes concernées pour entretenir un débat démocratique sur nos choix de santé, plutôt que d’effectuer un choix technocratique.