Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : le dépistage actuel à l’école primaire ne permet pas de casser les chaînes de transmission

Décembre 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : le dépistage actuel à l’école primaire ne permet pas de casser les chaînes de transmission

Une modélisation de l’Inserm révèle l’importance de la circulation du variant Delta à l’école. Si la stratégie de dépistage déployée aujourd’hui ne peut stopper la propagation du virus, un autre protocole serait plus performant. Par ailleurs, la vaccination de la moitié des 5-11 ans ferait chuter de 75 % le nombre d’infections.

Par Florence Rosier

Publié le 09/12/2021

C’est une nouvelle peu réjouissante, doublée d’une piste pour sortir de l’impasse. La stratégie de dépistage du SARS-CoV-2, telle qu’elle est aujourd’hui déployée dans toutes les écoles élémentaires de France ne semble pas en mesure de casser les chaînes de transmission. Avec ce protocole, « le nombre d’enfants détectés positifs reste insuffisant », explique Vittoria Colizza (Inserm, Sorbonne Université, Paris). Telle est une des conclusions de la modélisation qu’elle a coordonnée, publiée jeudi 9 décembre en pré-print.

Depuis le 6 décembre, dès qu’un écolier est détecté positif, chaque élève de la classe doit être testé ; ensuite, seuls les enfants positifs ou qui refusent le test sont tenus de rester chez eux, la classe ne fermant qu’au troisième cas. Le but de ce protocole dit « réactif » est de limiter les fermetures de classe préjudiciables aux élèves.

« Un autre mode de dépistage permettrait, lui, de stopper la circulation du virus au sein des écoles primaires, donc de protéger les enfants et leur entourage vis-à-vis des infections », souligne Vittoria Colizza. Il s’agit du protocole dit « itératif ». En clair, un test est proposé chaque semaine à tous les enfants de la classe, sans attendre que l’un d’entre eux ait été détecté positif. Seuls les écoliers contaminés sont alors renvoyés chez eux. L’atout de ce protocole : chez les moins de 10 ans, les cas asymptomatiques sont très fréquents, justifiant de réitérer les tests chez le plus grand nombre. Un enjeu crucial, alors que le taux d’incidence de l’infection grimpe en flèche chez les 6-10 ans : au 5 décembre, il était de 988 cas pour 100 000 habitants, contre 666 cas une semaine plus tôt et 347 deux semaines auparavant.

Comment les auteurs ont-ils procédé ? Pour développer leur modèle de circulation du virus à l’école, ils se sont fondés sur des données collectées en France, avant la pandémie, dans une école primaire et un établissement du secondaire.

Des groupes d’enfants et d’enseignants ont été équipés de puces à radiofréquence mesurant leurs contacts de proximité au fil de leurs diverses activités (cours, récréations, sports, cantine…). A partir de ces données et des résultats des dépistages pilotes menés dans 683 écoles, lors de la vague Alpha au printemps 2021, les chercheurs ont développé un premier modèle. Un modèle qu’ils ont ensuite corrigé par l’incidence de l’épidémie dans le reste de la population, pour tenir compte des infections introduites à l’école, et par les prévalences mesurées en milieu scolaire.

Travail de modélisation
Avec le variant Alpha, le « taux de reproduction » du virus était de 1,40 en école primaire et de 1,46 dans le secondaire. Autrement dit, un élève contaminé en infectait respectivement 1,4 autre et 1,46 autre en moyenne, durant la troisième vague (mars-avril 2021). Avec le variant Delta, ce taux a bondi. On le savait plus contagieux, mais sa transmission en milieu scolaire n’avait jamais été modélisée. Avec le Delta en effet, le taux de reproduction a grimpé à 1,66 dans les écoles primaires, où les enfants ne sont pas vaccinés. « Il faut s’attendre à une forte propagation du virus dans ces écoles, plus intense que dans la population générale. En témoignent d’ailleurs les taux d’incidence très élevés chez les enfants de cet âge », observe Vittoria Colizza.

Dans les établissements du secondaire, en revanche, le taux de reproduction du Delta est estimé à 0,57, compte tenu de la bonne couverture vaccinale (77 % fin novembre) des élèves français. Mais pour la moyenne des pays européens, ce taux est égal à 1,10 : les adolescents y sont moins vaccinés qu’en France. Par ailleurs, « les capacités de transmission de chaque élève varient fortement selon l’étendue de leurs contacts », note la chercheuse de l’Inserm.

Ce travail de modélisation a aussi permis de comparer l’impact de différents modes de dépistage en primaire. Le protocole réactif, tout d’abord : en dépistant tous les élèves d’une classe dès le lendemain de la détection d’un cas, puis de nouveau trois jours plus tard, on éviterait moins de 10 % des cas. « L’impact serait donc assez limité sur la circulation du virus », commente Vittoria Colizza. Le protocole itératif, maintenant. En dépistant une fois par semaine, chaque semaine, les trois quarts des élèves d’une même classe – sans attendre la détection d’un premier cas – on éviterait un tiers des cas. Et en les dépistant deux fois par semaine, on éviterait plus de la moitié des cas.

Qu’en est-il des jours de classe perdus que ces dépistages permettent d’éviter ? Paradoxalement, les deux protocoles aboutissent au même résultat : l’un comme l’autre « sauvent » jusqu’à 80 % des jours d’école perdus, en comparaison du protocole en vigueur à la rentrée – dès le premier cas, toute la classe était fermée. « Si les deux protocoles préservent le même nombre de jours d’école, la raison en diffère complètement. Pour le protocole réactif, c’est parce qu’il ne détecte pas suffisamment de cas, en laissant des infections non détectées qui peuvent ensuite contribuer à la propagation. Le protocole itératif, lui, freine cette propagation », relève Vittoria Colizza.

« La vaccination des 5-11 ans, un élément protecteur »
Quelle serait la faisabilité d’un tel dépistage systématique et répété ? Pour en avoir une idée, l’éducation nationale a lancé, en toute discrétion, une expérimentation le 22 novembre, dans un petit nombre d’écoles primaires de Nouvelle-Aquitaine, d’Auvergne-Rhône-Alpes et d’Ile-de-France. S’il est trop tôt pour en mesurer l’impact, on sait qu’en Autriche et dans certains cantons de Suisse, par exemple, ce type de dépistage est un succès.

Le retour d’expérience des cinq semaines de mise en œuvre du dépistage réactif en maternelle et à l’école primaire, lui, n’a pas encore été rendu public. Mais Le Monde a pu consulter les résultats de cette expérimentation, menée dans dix départements – deux semaines avant les vacances de Toussaint, puis trois semaines après. Après détection d’un cas, le protocole a été déployé dans 79 % et 39 % des classes, respectivement, durant la première et la seconde période. Une baisse qui « témoigne des difficultés rencontrées par les acteurs de terrain pour mettre en place le protocole quand le nombre de classes concernées augmente, en relation avec l’augmentation importante de l’incidence dans la population générale », analyse Santé publique France (SpF).

L’adhésion des familles a été forte, de 75 % et 82 % des élèves respectivement. Si le protocole a évité la fermeture de 58 % et 28 % des classes, respectivement, des cas et des clusters ont été détectés sept jours après les premiers tests.

La dernière leçon à retenir de la modélisation de l’Inserm concerne un sujet très débattu, la vaccination des 5-11 ans. Si l’on parvenait à vacciner 20 % des enfants de cette tranche d’âge, suggère cette modélisation, on réduirait de 38 % le nombre de cas. Et en vaccinant la moitié des enfants, on ferait chuter de 75 % le nombre d’infections. Selon cette modélisation, par conséquent, « la vaccination des 5-11 ans sera un élément protecteur collectif pour la population scolaire, indique Vittoria Colizza. Par rapport aux enjeux actuellement pris en compte dans l’évaluation de l’intérêt de la vaccination des enfants scolarisés en primaire, notre étude apporte une perspective supplémentaire en montrant qu’elle réduit la circulation du virus à l’école et permet de garder les classes les plus ouvertes possibles. Elle apporte donc un bénéfice collectif direct aux enfants, au-delà de les protéger du risque d’infection [malgré la probabilité très faible, quoique non nulle, de faire une forme grave à cet âge] et du risque de Covid long. » Telle pourrait donc être, d’ici à quelque temps, la seconde voie de sortie de cette crise sanitaire qui menace les apprentissages.