Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Attendre les vaccins français : pourquoi c’est une fausse bonne idée

Décembre 2021, par Info santé sécu social

Plus d’un an après les premiers vaccins contre le Covid-19, ceux des firmes françaises devraient arriver sur le marché début 2022. Pas sûr que leur composition convainque les plus réfractaires à recevoir leur première injection.

Rozenn Le Saint
9 décembre 2021

Cinquième vague et zéro piqûre. Un peu moins de 6 millions de Français éligibles à la vaccination n’ont toujours pas reçu d’injection contre le Covid-19 (moins de 10 %). Dès l’été 2021, dans les cortèges anti-passe sanitaire, et encore aujourd’hui, des irréductibles affirment « attendre le vaccin de Sanofi ». Une confiance affichée envers le fleuron pharmaceutique tricolore qui repose surtout sur la crainte de la plateforme utilisée par Pfizer-BioNTech et Moderna, l’ARN messager, davantage novatrice.

Mais celui de Sanofi se fait toujours attendre. En décembre 2020, le laboratoire avait évoqué une erreur de dosage et la nécessité de recommencer de zéro sa dernière phase d’expérimentation… « Les premières doses devraient être livrées en janvier 2022 », indique aujourd’hui le ministère de la santé. Un autre vaccin français à technologie conventionnelle pourrait être autorisé début 2022 : celui de la start-up Valneva, basée à Saint-Herblain (Loire-Atlantique).

Cependant, la composition de ces deux produits n’est sûrement pas de nature à rassurer les plus méfiants envers la vaccination et à les convaincre de franchir le pas contre le Covid-19.

Pour mémoire, le patron de Sanofi s’était avancé, au printemps 2020, en promettant aux États-Unis les premières doses sortant des usines américaines. Ce coup de bluff visait à faire pression sur l’Europe, qui avait signé un contrat d’achat anticipé de flacons dès septembre 2020 – flacons qu’elle a fini par ne plus attendre pour assurer les premières injections. Un an plus tard, en septembre 2021, Sanofi annonçait abandonner l’un de ses projets de vaccin contre le Covid-19, à ARN messager, trop à la traîne par rapport à ses concurrents.

En revanche, la firme poursuit celui basé sur la protéine virale, une technologie classique utilisée pour son vaccin contre la grippe saisonnière, notamment. De quoi rassurer les plus réfractaires aux vaccins Covid-19 qui auraient été inventés « trop vite » ?

Pour doper l’efficacité des vaccins traditionnels, un adjuvant est ajouté. Or leur composition fait souvent débat. Quand le laboratoire s’est lancé dans cette course mondiale aux vaccins, Sanofi s’est allié avec son concurrent GSK, chargé de la production de l’adjuvant. Si, dans ses communiqués, GSK reste vague sur sa composition, interrogé par Mediapart, son service de presse répond qu’il s’agit de l’AS03, à base de squalène, c’est-à-dire le même que celui utilisé dans son vaccin Pandémrix contre la grippe H1N1.

Or il avait un temps été accusé d’avoir provoqué des effets indésirables graves comme la narcolepsie avant que des études scientifiques récentes semblent le dédouaner (ici et là). L’hypothèse la plus probable sur l’origine du grave effet secondaire repose sur un problème de production.

« Je constate surtout que Sanofi n’a pas choisi d’adjuvant à base d’aluminium qui soulève des problèmes de biopersistance, souligne Romain Gherardi, spécialiste des maladies neuromusculaires et auteur de Toxic Story. Deux ou trois vérités embarrassantes sur les adjuvants des vaccins (Actes Sud, 2016). Dans les études approfondies que j’ai menées, il y a davantage d’éléments qui montrent que l’hydroxyde d’aluminium pourrait provoquer des effets indésirables graves comme des maladies auto-immunes telles que la myofasciite à macrophages, que l’inverse. Il fait partie d’une ancienne génération d’adjuvant qu’il faut changer. »

Valneva a choisi pour son vaccin un adjuvant polémique, l’aluminium.

Beaucoup de vaccins comme celui contre l’hépatite B, la méningite ou le tétanos par exemple, contiennent de l’hydroxyde d’aluminium. Valneva a fait le choix de cet adjuvant polémique. Pour quelle raison ? L’entreprise nantaise n’a pas répondu aux questions de Mediapart.

« Avant la pandémie, les adjuvants étaient déjà questionnés et les sels d’aluminium, déjà craints. Si l’on peut se passer des adjuvants, c’est mieux, mais ils permettent de stimuler la réponse immunitaire et de la prolonger. Il faut l’expliquer, informer les gens clairement », estime Bruno Canard, virologue et directeur de recherche au CNRS (Aix-Marseille).

Pour que la balance penche en faveur de la vaccination chez les plus récalcitrants, voire les procrastinateurs, il faut aussi que les bénéfices attendus soient à la hauteur. Pour constituer son dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché, Sanofi a réalisé ses essais cliniques de phase 3, toujours en cours, en comparant l’efficacité de son produit sur un groupe de volontaires l’ayant reçu, et un autre à qui l’on a administré un placebo.

Un choix étonnant puisque, contrairement aux premiers vaccins, l’expérimentation s’est déroulée à partir de mai 2021, à retardement, alors que des vaccins efficaces contre le Covid-19 étaient déjà sur le marché. Cela crée donc une perte de chances d’éviter de contracter la maladie pour le groupe de participants ayant reçu une piqûre sans vaccin.

Des expérimentations en comparaison avec le seul produit AstraZeneca.

Un essai comparatif entre l’efficacité du produit de Sanofi et ceux déjà commercialisés aurait été plus logique… Mais sûrement moins flatteur pour le vaccin du laboratoire français, compte tenu des forts taux d’efficacité affichés contre la survenue de formes graves de Covid-19 par les producteurs de vaccins à ARN messager Pfizer-BioNTech et Moderna en primo-injection.

La start-up Valneva a quant à elle opté pour des expérimentations en comparaison avec le produit AstraZeneca, moins performant notamment face aux variants. Dans un premier temps, elle se concentre sur la première piqûre plutôt que sur celle de rappel. Le 10 novembre, Valneva a signé avec la Commission européenne un contrat d’achat d’environ 27 millions de doses pour 2022, qui pourraient être livrées à partir d’avril. Elle espère déposer sa demande d’autorisation de mise sur le marché d’ici à la fin de l’année.

Les résultats d’efficacité des essais de Sanofi, eux, toujours pas publiés, sont-ils suffisamment encourageants pour soutenir la primo-vaccination ? Le vaccin a été fabriqué à partir de la souche originelle du Sars-CoV-2 alors qu’entre-temps, le variant Delta a pris le dessus en Europe. Or Sanofi ne l’a pas adapté en fonction pour l’administration d’une première dose. La firme teste simplement une dose de rappel avec une version adaptée au variant Bêta, resté minoritaire.

Le laboratoire prépare les esprits avant d’annoncer ses résultats : « Notre étude de phase 3 se réalise dans un contexte différent des premières études d’efficacité d’autres vaccins. Les variants en circulation sont plus nombreux. Cette étude donnera donc des résultats différents et face à des variants multiples. »

L’entreprise hexagonale ne mise plus tellement sur la primo-vaccination mais surtout sur la dose de rappel. Il s’agit du « besoin exprimé aujourd’hui par nos partenaires, les autorités de santé publique, précise Sanofi. Les commandes que nous avons des autorités sanitaires pour l’Europe sont de 75 millions de doses de rappel ». Le contrat de pré-achat permettait pourtant de se faire livrer jusqu’à 300 millions de doses…

L’administration d’une troisième dose d’un vaccin différent pourrait présenter des avantages en termes d’efficacité et de sécurité, mais aussi en termes de coût et d’acceptabilité

L’Inserm

La performance du vaccin de Sanofi à elle seule est moins visible quand on recherche la protection globale après une primo-vaccination par d’autres produits a priori davantage efficaces. Il pourrait néanmoins s’avérer pertinent, mais en rappel donc.

L’Agence européenne des médicaments pousse à la vaccination avec des technologies vaccinales différentes dans le but d’élargir l’arsenal face au virus et d’améliorer ainsi l’immunité. Elle appuie ses recommandations sur l’observation des performances croisées avec des vaccins à ARN messager et à adénovirus comme ceux d’AstraZeneca et de Johnson&Johnson, une plateforme encore différente.

Sanofi a lancé une étude afin « d’étudier la possibilité qu’aurait un vaccin à protéine recombinante adjuvantée de fournir une forte réponse immunitaire lors de vaccinations de rappel, quelle que soit la plateforme utilisée en primo-vaccination ».

L’Inserm a également commencé un essai académique le 8 décembre, Coviboost, pour étudier, d’une part, la réponse immunitaire d’une troisième dose avec un vaccin à ARN messager (comme les autorités sanitaires françaises le recommandent), et, d’autre part, avec le produit de Sanofi.

« L’administration d’une troisième dose d’un vaccin différent pourrait présenter des avantages en termes d’efficacité et de sécurité, mais aussi en termes de coût et d’acceptabilité », précise l’Inserm.

Alors que le prix de la dose de vaccin Sanofi est estimé à environ 8 euros, celui des produits de Pfizer-BioNTech et de Moderna oscillerait autour de 20 euros… Par ailleurs, pour les personnes ayant développé des effets indésirables graves à la suite d’une primo-injection avec un vaccin à ARN messager, le produit français pourrait constituer une solution pour leur rappel.

Sanofi indique qu’il déposera une demande d’autorisation de mise sur le marché pour une primo-vaccination et une autre pour une vaccination de rappel en même temps. Le ministère de la santé espère un feu vert « d’ici à la fin 2021 ». Enfin.

Rozenn Le Saint