Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - LIBERTÉS PUBLIQUES. La France sur la voie de l’obligation vaccinale

Décembre 2021, par Info santé sécu social

Jean Castex a annoncé la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal qui ne pourra être valide qu’avec un schéma complet. Mercredi, déjà, Emmanuel Macron avait jugé « tout à fait possible » l’instauration d’une obligation vaccinale en France, malgré les nombreuses questions que poserait une telle mesure.

Jérôme Hourdeaux
17 décembre 2021

L’exécutif a fait un nouveau pas vers l’instauration d’une obligation vaccinale en France après l’annonce faite vendredi 17 décembre, par le premier ministre Jean Castex, de la création d’un « passe vaccinal » en début d’année 2022.

« Désormais, seule la vaccination sera valable dans le passe », a déclaré le chef du gouvernement à l’issue d’un conseil de défense sanitaire. « Un projet de loi sera soumis au Parlement début janvier notamment pour transformer le passe sanitaire en passe vaccinal, et durcir les conditions de contrôle et de sanctions contre les faux passes », a-t-il poursuivi.

« Il n’est pas admissible que le refus de quelques millions de Français de se faire vacciner mette en risque la vie de tout un pays et entame le quotidien d’une immense majorité de Français qui a joué le jeu depuis le début de cette crise », a justifié le chef du gouvernement.

S’il ne s’agit pas à proprement parler d’une obligation vaccinale, la France s’en rapproche de plus en plus avec ce nouveau tour de vis. « Nous assumons faire peser la contrainte sur les non-vaccinés, car les services de soins critiques et de réanimation de nos hôpitaux sont remplis, pour l’essentiel, de personnes non vaccinées », a justifié Jean Castex.

Déjà, lors de son intervention télévisée du mercredi 15 décembre, Emmanuel Macron avait qualifié de « tout à fait possible » l’instauration d’un passe sanitaire. « Cette hypothèse existe bien sûr », avait-il déclaré.

« Vous savez, nous y sommes quasiment à l’obligation vaccinale quand vous avez plus de 90 % de ceux et celles qui doivent se faire vacciner, a encore estimé le président de la République. Nous regarderons avec pragmatisme dans les prochaines semaines. »

Et cette obligation pourrait bien porter non seulement sur un vaccin, mais sur plusieurs, afin de faire face à d’éventuels nouveaux variants. « C’est un peu ce que l’on fait chaque année avec la grippe, justifie-t-il. Chaque année, elle revient avec une forme un peu différente, vous devez vous faire revacciner pour avoir la bonne protection avec la forme de grippe de l’année en cours », a détaillé Emmanuel Macron. « Il est vraisemblable que l’on aille vers cela pour ce virus. »

« L’obligation vaccinale n’est pas le choix que la France a fait, pour diverses raisons », assurait pourtant encore le 1er décembre le ministre de la santé, Olivier Véran. « D’abord, qu’allons-nous dire à une personne âgée, chez elle, qui ne s’est pas fait vacciner ? Est-ce qu’on va mettre un régime d’amendes ?, poursuivait le ministre de la santé. Qui dit obligation dit contrôle et sanction. Donc la faisabilité n’est pas évidente. On sait faire une obligation vaccinale chez les tout-petits, chez les nourrissons puisque vous ne pouvez pas rentrer dans un établissement collectif type crèche ou école si vous n’êtes pas vacciné contre certaines maladies de vaccination obligatoire. Pour les adultes, c’est plus compliqué. »

Du côté de l’opposition également l’idée fait son chemin. Si certains partis, comme La France insoumise, y sont fermement opposés, d’autres semblent hésitants. Au mois d’août dernier, le candidat écologiste Yannick Jadot s’est ainsi dit favorable à la vaccination obligatoire, mais uniquement « en dernier recours ». La candidate Les Républicains, Valérie Pécresse, s’était clairement prononcé en faveur d’une telle mesure au mois de novembre 2020. Mais, au mois d’avril dernier, elle a modéré son propos en expliquant que le vaccin « doit être obligatoirement proposé à tous ».

Sujet sensible
Le Parti socialiste, lui, avait pris position en faveur de l’obligation vaccinale dès l’été dernier, notamment dans une tribune publiée dans Le Journal du dimanche du 6 août et signée par 41 parlementaires. « Je suis profondément socialiste et profondément attachée à ce que chacun puisse trouver sa place dans cette société, affirme la députée de Paris, Lamia El Aaraje. Et vivre les uns avec les autres implique de respecter certaines règles collectives pour protéger les individus et la collectivité. La santé publique permet au collectif de rester en bonne santé. Des épidémies ont été éradiquées grâce aux progrès scientifiques et à des obligations vaccinales. »

Si le gouvernement était jusqu’à présent si réticent à évoquer une possible obligation vaccinale, c’est que le sujet est particulièrement sensible. Même si le passe sanitaire implique déjà une limitation de nombre de nos libertés, imposer un vaccin impliquerait de toucher à des principes fondamentaux liés à l’intimité des individus : l’inviolabilité du corps humain, le consentement à tout traitement ou encore le respect de la vie privée.

Ceux-ci ont été consacrés à plusieurs reprises. Le Code de Nuremberg de 1947, par exemple, a posé le principe du consentement à la participation à des recherches cliniques. Dans notre droit, l’article L1111-4 du Code de la santé publique dispose, depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, qu’« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».

Pourtant, ce droit n’est pas absolu, et il existe déjà, dans notre législation, de nombreuses obligations vaccinales. La première, contre la variole, a été imposée par la loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique. De nos jours, les obligations vaccinales sont prévues par l’article L3111-2 du Code de la santé publique et sont au nombre de 11.

Et elles ont été à plusieurs reprises validées, que ce soit par le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel ou encore par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, elle est déjà imposée aux personnels soignants par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise. Une mesure jugée conforme par la CEDH dans une décision rendue au mois d’août 2021. Et, le 10 décembre dernier, le Conseil d’État a rejeté un recours formé contre l’obligation vaccinale décidée par le gouvernement de la Polynésie française qui doit entrer en vigueur le 23 décembre.

Le principe de l’obligation vaccinale n’est pas en soi liberticide car, quand on vit en société, toutes les libertés sont limitées

Diane Roman, professeure en droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Instaurer une obligation vaccinale pour l’ensemble de la population ne devrait donc poser aucun problème juridique. « Il faudrait une loi car seul le législateur peut imposer une obligation vaccinale », précise Diane Roman, professeure en droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Son collègue Paul Cassia pointe tout de même un problème de calendrier. En raison du début de la période électorale, le Parlement doit cesser de siéger à partir du mois de février 2022. « Il faudrait que le texte soit déposé en urgence », souligne le professeur de droit public.

« Le principe de l’obligation vaccinale n’est pas en soi liberticide car, quand on vit en société, toutes les libertés sont limitées, reprend Diane Roman. Et il existe déjà beaucoup d’obligations en matière de santé publique. Si le Code de la route vous limite à 50 km/h en ville, c’est pour protéger l’ensemble de la population. C’est une règle inhérente à la vie en société. Quand le but est de protéger la population, les services publics, la vie en communauté, ce n’est pas liberticide. »

On peut également s’interroger sur l’opportunité d’imposer une telle mesure alors que les contraintes imposées par le passe sanitaire ont déjà permis d’atteindre un taux de vaccination de la population de 90 %

Un avis que ne partage pas Paul Cassia. « Il y a de grandes différences », estime-t-il. Avec les vaccins actuellement obligatoires, « la vaccination est définitive, ou presque. Il n’y a que quelques rappels ». De plus, ils protègent contre « des maladies souvent mortelles ». Alors que le Covid, est une maladie « beaucoup moins létale et qui ne peut être vaincue par deux ou trois vaccins. Nous ne sommes pas sur la même échelle ».

De plus, alors que les principales obligations vaccinales visent des enfants, celle contre le Covid nécessiterait de l’imposer à l’intégralité de la population adulte. Ce qui constituerait une première. « Ça n’a rien d’exceptionnel, répond Diane Roman. Si on vaccine les nouveau-nés, cela veut dire qu’à terme, on vaccine toute la population. Ça serait innovant en termes de logistique, mais pas de légistique. »

« Ce n’est pas parce que c’est une première qu’il faut la rejeter, affirme de son côté Lamia El Aaraje. Nous sommes dans un monde qui change. Cette menace virale est fondée. Cela faisait des années que nous nous attentions à voir apparaître une épidémie mondiale, de grippe ou de pneumovirus. »

On peut également s’interroger sur l’opportunité d’imposer une telle mesure alors que les contraintes imposées par le passe sanitaire ont déjà permis d’atteindre un taux de vaccination de la population de 90 %. Un chiffre qui, en outre, pointe Paul Cassia, ne prend pas en compte un certain nombre de cas.

« Je ne suis pas vacciné, explique-t-il. Pas du tout parce que je suis contre. Mais j’ai été contaminé l’été dernier et j’ai un certificat de rétablissement qui me sert de passe jusqu’au mois de février. Nous sommes des centaines de milliers dans le même cas. Et nous sommes comptabilisés dans les réfractaires alors que ce n’est pas du tout mon cas. D’une manière générale, je suis pour les vaccins. Je pense que nous sommes en fait beaucoup plus proches des 100 %. »

Nous sommes dans une obligation vaccinale de fait.
Paul Cassia

« Il faut constater que, de fait, nous en sommes arrivés à une obligation vaccinale par la technique du nœud coulant, pointe encore le juriste. Pourtant, le passe sanitaire avait été validé par le Conseil constitutionnel au mois de mai au motif qu’il ne constituait pas une obligation vaccinale, même déguisé. Mais depuis que les tests sanitaires sont devenus payants, nous sommes dans une obligation vaccinale de fait. »

Un constat que partage en partie Diane Roman. « Je suis pour les obligations vaccinales qui ont un objectif de santé publique, explique-t-elle. C’est une mesure de progrès sociale. Je suis en revanche très réticente sur le passe sanitaire. C’est un instrument beaucoup plus spécifique. Il n’est pas vraiment un permis, mais une mesure de police tout à fait inédite qui pose un certain nombre de problèmes, notamment celui du contrôle qui est confié à des acteurs privés. »

« On a mené une politique du bâton avec le passe sanitaire, abonde Lamia El Aaraje. Depuis le déremboursement des tests, il n’était plus qu’une obligation vaccinale déguisée. On prend les Français pour des abrutis. En démocratie, on commence par définir une règle, puis on détermine les sanctions prévues en cas de violation. Aujourd’hui, nous avons les sanctions, toutes les obligations du passe sanitaire, mais sans que la règle, en réalité l’obligation vaccinale, n’ait été édictée. »

Mais, selon Diane Roman, l’obligation vaccinale aurait dû être mise en place « dès le mois de juin, sans avoir recours à un dispositif policier. Car, aujourd’hui, une grande partie de la population est déjà vaccinée. Nous sommes de plus dans un contexte pré-électoral et sanitaire avec de nouveaux variants pour lesquels nous ne connaissons pas exactement l’efficacité du vaccin. La fenêtre est un peu passée ».

Ça aurait été compris par la population, qui n’est pas stupide.
Diane Roman

La juriste se dit par ailleurs « profondément irritée par les déclarations contradictoires du gouvernement depuis deux ans. On peut considérer qu’il s’agit de pragmatisme, mais je pense qu’il s’agit surtout de démagogie, poursuit-elle. La question du vaccin se pose depuis deux ans. Je suis convaincue que ça aurait été compris par la population, qui n’est pas stupide. Et au lieu d’y répondre rationnellement et en expliquant la situation aux Français, on a mis en place un dispositif policier qui, de fait, a rendu le vaccin obligatoire, et qui a en plus décrédibilisé la parole publique. Ils en sont à justifier une obligation vaccinale dont ils nous disaient il y a quelques mois qu’elle serait liberticide. »

Outre les questions de principe et de respect des libertés, se pose également celle de la mise en pratique de l’obligation vaccinale : qui la contrôlera ? Comment ? Et avec quelles sanctions ? « C’est très compliqué, souligne Diane Roman. Le législateur devra décider s’il s’agit d’une contravention ou d’un délit. Mais il est important que la sanction soit proportionnée. C’est une condition posée par la CEDH. »

Sur la forme, les contrôles pourraient être réalisés grâce au passe vaccinal annoncé par Jean Castex, qui pourrait être contrôlé par les forces de l’ordre pour vérifier le statut vaccinal des personnes, et sanctionner les fautifs. On peut également imaginer que les autorités puissent accéder aux données de l’assurance-maladie pour vérifier qui est vacciné et qui ne l’est pas. « Le secret médical peut être levé pour la santé publique, poursuit Diane Roman. Par exemple, il peut être levé dans le cadre d’enquêtes pénales. »

« Je n’ai pas de réponse miracle, reconnaît de son côté Lamia El Aaraje. Sur la forme, je suis attachée au principe de construction de la loi. La réponse de fond devra se faire sur la base des avis d’experts. Il faudrait, je pense, des négociations par branches, dans le monde du travail, avec les médecins de ville, etc. On pourrait imaginer un système de passe vaccination. Il faut quelque chose de cohérent. »

« Aujourd’hui, il est normalement impossible d’inscrire son enfant à l’école ou à des activité extra-scolaires sans que ses vaccins soient à jour, poursuit l’élue socialiste. Bien sûr, il peut y avoir des gens qui font des faux et ça pose la question des contrôles. Mais si mon enfant attrape à l’école une maladie pour laquelle il existe une obligation vaccinale, je porte plainte contre l’école, la commune et l’État. »

« Si on opte pour un passe vaccinal, c’est exactement la même chose que le passe sanitaire, pointe cependant Paul Cassia. Et comment il sera contrôlé ? Pour les nourrissons, il y a le carnet de santé. Mais pour les adultes ? Si on généralise un passe vaccinal, je ne pense pas qu’on y gagne en libertés individuelles. »

Le juriste se dit opposé à la fois au passe sanitaire et à l’obligation vaccinale. « Je les trouve tous les deux attentatoires aux libertés, plaide-t-il. Je suis par principe contre la contrainte et pour l’incitation, la pédagogie. Et qu’on ne dise pas que ça ne marche pas car ça marche dans d’autres pays. Il n’y a pas de raison pour que ça ne soit pas le cas en France. »

« Il y a un an, le 20 décembre 2020, le gouvernement déposait un projet de loi prévoyant une obligation vaccinale, rappelle encore Paul Cassia. Face au tollé que cette idée avait alors provoqué, le texte avait été rapidement retiré. Cela permet de mesurer le chemin parcouru depuis. La police sanitaire est désormais acceptée. Nous avons tous beaucoup changé notre analyse. C’est devenu normal de présenter son passe. Nous sommes en plein dans le fameux effet d’accoutumance. »

Jérôme Hourdeaux

Boîte noire
Les entretiens ont été réalisés jeudi 16 et vendredi 17 décembre, avant l’annonce par Jean Castex de la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal.