Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Face au « raz-de-marée » Omicron, l’exécutif bat le rappel dans la confusion

Décembre 2021, par Info santé sécu social

Transformation du passe sanitaire en passe vaccinal, mesures antifraude, télétravail « obligatoire » mais pas vraiment : pour faire face à la sixième vague de Covid, la commission des lois de l’Assemblée nationale a examiné mercredi le projet gouvernemental censé entrer en vigueur au 15 janvier.

Cécile Hautefeuille et Camille Polloni
30 décembre 2021 à 15h35

C’est le douzième texte consacré à la gestion de la crise du Covid-19 depuis mars 2020. Et il intervient au beau milieu d’un « raz-de-marée », selon l’expression du ministre de la santé Olivier Véran, venu défendre mercredi le projet de loi « renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire » devant la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Cent mille cas de Covid ont été détectés en France le jour de Noël et 208 000 le mercredi 29 décembre.

Lors de son audition, le ministre de la santé s’est inquiété des conséquences de l’arrivée du variant Omicron : deux Français diagnostiqués positifs chaque seconde, plus d’un million de Français simultanément contaminés, 10 % de la population « cas contact ». De quoi laisser craindre un raz-de-marée dans les hôpitaux.

D’un ton solennel, Olivier Véran s’est directement adressé aux 8,5 % de Français éligibles qui n’ont reçu aucune dose de vaccin : « Il y a vraiment peu de chances que vous puissiez passer cette fois-ci entre les gouttes. Maintenant, il faut vous faire vacciner parce que sinon, on ne va pas s’en sortir. »

Le texte gouvernemental examiné mercredi assume de mettre la pression aux derniers non-vaccinés, qui représenteraient en ce moment 70 % des patients Covid dans les hôpitaux parisiens, sans pour autant instaurer une franche obligation vaccinale. Le passe sanitaire en vigueur depuis le 9 juin, qui conditionne aujourd’hui l’accès aux activités de loisirs, restaurants, bars, salons professionnels et transports interrégionaux, doit se transformer en passe vaccinal à partir du 15 janvier. Les personnes ayant contracté le Covid récemment, à ce titre considérées comme immunisées, pourraient présenter un certificat de rétablissement.

Comme son prédécesseur, le passe vaccinal s’imposerait à toutes les personnes âgées d’au moins 12 ans, sauf pour accéder à l’hôpital. En commission, certains députés (LFI, LR, MoDem) ont fait part de leur « inquiétude » sur l’obligation d’un tel justificatif pour les mineurs, sans emporter le morceau. Ils les ont cependant exemptés de passe pour les sorties scolaires.

Pour Jean-Pierre Pont, le député LREM rapporteur du texte, « le passe sanitaire a fait ses preuves » en permettant de filtrer l’accès à de nombreux lieux et de « générer un élan décisif en faveur de la vaccination » depuis l’été. Comme l’a rappelé Olivier Véran, l’idée d’imposer le passe vaccinal en entreprise est toutefois écartée à ce stade en raison du « consensus des partenaires sociaux pour s’y opposer ».

Jusqu’à tard dans la nuit, les députés se sont livrés à une discussion désordonnée et parfois passionnée, mêlant leur interprétation plus ou moins maîtrisée de données scientifiques, le bon sens populaire dont ils se réclament, et les reproches accumulés contre la gestion chaotique de la crise sanitaire depuis mars 2020. « Les données changent en permanence, le gouvernement s’y adapte avec nous », a justifié Laurence Vichnievsky (MoDem).

Le groupe La France insoumise, favorable à la vaccination mais opposé au principe du « passe », considéré comme un outil « sécuritaire » sans « efficacité sanitaire », s’est montré particulièrement virulent. À de nombreuses reprises, Ugo Bernalicis, Danièle Obono et Mathilde Panot sont montés au créneau pour défendre d’autres mesures, comme la levée des brevets sur les vaccins, l’installation de purificateurs d’air dans tous les établissements recevant du public ou le port généralisé de masques FFP2 dans les lieux à risque.

Des convergences se sont parfois produites avec les députés LR. Eux aussi ont souligné certains paradoxes, comme le choix d’écarter la présentation d’un test négatif au profit d’un justificatif vaccinal, au moment où le variant Omicron – qui circule activement parmi les personnes vaccinées – prend le dessus. « Vous supprimez les tests, seule preuve de la non-contagiosité d’une personne », s’est ainsi étonné Olivier Marleix.

Face à un rapporteur inconsistant qui s’est donné pour unique mission de sauver chaque paragraphe du texte, la foire d’empoigne s’est nourrie des annonces ministérielles récentes, qui ne figurent pas toutes dans le texte, comme l’intention de réduire la période d’isolement pour les cas contacts (l’isolement lui-même n’étant en réalité qu’une recommandation) ou de rendre le télétravail « obligatoire ». Le député LR Ian Boucard a ainsi raillé la « mise en scène » d’une « tension dramatique », dissimulant mal « de nouvelles mesures inadaptées à la situation, voire ridicules », comme l’interdiction de manger dans les trains.

Outre la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal, le projet de loi prévoit de renforcer la lutte contre la fraude aux « faux passes », qu’Olivier Véran a qualifié « d’irresponsable et dangereuse », puisqu’elle met en danger leurs détenteurs comme ceux qui les côtoient, et risque d’égarer le personnel soignant.

L’échelle des sanctions possibles est revue à la hausse. En cas d’utilisation du QR code de quelqu’un d’autre, l’amende passerait de 135 à 1 000 euros. S’il s’agit d’un « vrai-faux passe » (par exemple un certificat établi sans vaccination réelle), les acheteurs, vendeurs, utilisateurs et créateurs de ces faux risqueront toujours cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende.

« Il n’est pas acceptable que la majorité de la population fasse des efforts pendant que d’autres se jouent de l’intérêt général et de la santé publique », a résumé Alexandra Louis (Agir ensemble). En ce qui concerne les « repentis » du faux passe sanitaire, Olivier Véran a promis qu’un amendement gouvernemental serait déposé en séance pour leur permettre de se faire vacciner sans être poursuivis.

C’est aux forces de l’ordre de contrôler l’identité des citoyens.
Ian Boucard, député LR

Une sévérité accrue devrait également s’appliquer aux gestionnaires d’établissement soumis au passe sanitaire, pour qu’ils effectuent réellement les contrôles requis. Aujourd’hui, ils ne peuvent être poursuivis qu’au quatrième manquement, risquant alors un an de prison et 45 000 euros d’amende. Le texte vise à les sanctionner dès le premier, par une amende de 1 000 euros.

Ces professionnels se voient confier une nouvelle mission, celle de vérifier l’identité de leurs clients en cas de doute sur la véracité d’un passe. « Il ne s’agit pas de confier aux professionnels les prérogatives des forces de l’ordre », a soutenu Jean-Pierre Pont, face à des députés qui l’accusaient d’organiser « la surveillance d’une partie de la société sur l’autre ». De fait, la notion de « doute » sur l’identité du détenteur du passe présenté, initialement prévue, a été retirée du texte à l’issue du travail en commission.

Le rapporteur a souligné que sur le plan juridique, il ne s’agit pas d’un contrôle d’identité, mais d’une « vérification de concordance documentaire », comme cela existe déjà pour payer par chèque, embarquer à bord d’un avion ou empêcher la vente d’alcool et de tabac aux mineurs. La démonstration n’a pas convaincu le député LR Ian Boucard, pour qui « c’est aux forces de l’ordre de contrôler l’identité des citoyens ». « Les restaurateurs ne sont pas formés pour le faire », renchérit Cécile Untermaier (PS), pour qui « les litiges potentiels requièrent une formation ».

Certaines questions des parlementaires sont restées sans réponse à l’issue des débats. Pourquoi les données publiques sur le Covid ne permettent-elles plus de suivre la propagation du variant Omicron ? Le Conseil constitutionnel va-t-il valider la possibilité, pour les organisateurs de meetings politiques, d’imposer le passe sanitaire à l’entrée ? Dans quelles situations le « superpasse » (un test négatif venant s’ajouter au certificat de vaccination) pourrait-il être utilisé ?

La discussion en séance publique, la semaine prochaine, s’annonce tout aussi animée. Elle devra notamment trancher sur la question des sanctions pouvant s’appliquer aux entreprises refusant de mettre en place le télétravail. En la matière, les choses se précisent et il n’est pas certain que la fermeté affichée soit réellement suivie d’effet.

À l’issue du conseil de défense du 27 décembre, Jean Castex avait insisté sur caractère « obligatoire » du recours à trois jours de télétravail par semaine « dans toutes les entreprises et pour tous les salariés pour lesquels c’est possible ». Et avait même recommandé d’aller jusqu’à quatre jours.

Le gouvernement a déployé son premier outil, ce jeudi 30 décembre, en publiant un nouvelle version du protocole national sanitaire, applicable aux entreprises à compter de la rentrée.

C’est une usine à gaz !
Ilias Sabri, inspecteur du travail

« Dans les circonstances actuelles de circulation élevée du virus et de l’apparition du variant Omicron, les employeurs fixent à compter du 3 janvier et pour une durée de trois semaines, un nombre minimal de trois jours de télétravail par semaine, pour les postes qui le permettent, indique le texte mis à jour. Lorsque l’organisation du travail et la situation des salariés le permettent, ce nombre peut être porté à quatre jours par semaine. »

Dans la version provisoire, transmise la veille aux partenaires sociaux, il n’était même plus question d’appliquer la règle à l’ensemble de l’effectif d’une entreprise mais de fixer « un nombre minimal de trois jours en moyenne, calculé sur l’effectif concerné ». Cette souplesse, plutôt surprenante, a finalement été corrigée.

La règle, édictée par le premier ministre, est donc maintenue. Mais il faut le rappeler : ce protocole sanitaire en entreprise a seulement valeur de recommandation, comme tranché en octobre 2020 par le Conseil d’État.

La ministre du travail Élisabeth Borne a en revanche confirmé sur LCI que le gouvernement allait introduire un amendement, dans le projet de loi, prévoyant la possibilité pour l’inspection du travail de prononcer des sanctions « pouvant aller jusqu’à 1 000 euros par salarié dont la situation n’est pas conforme, dans la limite de 50 000 euros ». Lors des concertations avec les partenaires sociaux, mardi 28 décembre, une amende de 2 000 euros avait été évoquée, selon Les Échos, citant un participant à la réunion.

« Je le redis, c’est une mesure qui s’adresse aux entreprises qui ne respectent pas du tout les règles, indique jeudi Élisabeth Borne. Il y a certains cas où il n’y a pas de respect des distances, il n’y a pas de port du masque, il n’y a pas de prise en compte des règles qu’on demande en termes de télétravail. Donc ce sont ces entreprises qu’on pourrait qualifier de récalcitrantes que nous voulons cibler et pas l’écrasante majorité qui joue le jeu. »

Elle ajoute que ces entreprises « profitent de la longueur de la procédure de sanction pour ne pas respecter les règles » et que l’amendement introduira « un système plus rapide et plus dissuasif en permettant à l’inspection du travail de pouvoir prononcer des sanctions sans attendre la procédure judiciaire ».

« Tout cela me laisse dubitatif !, commente Ilias Sabri, inspecteur du travail et membre du bureau national de la CGT-TEFP, premier syndicat des agents de l’inspection du travail. Une procédure administrative est également très longue. Il peut se passer plusieurs mois avant qu’une amende ne soit réellement versée. Il y a des étapes à respecter : le contrôle, le rapport remis à la direction régionale puis la procédure contradictoire. C’est une usine à gaz ! En termes de mesure d’urgence, on a vu mieux. »

Ilias Sabri rappelle également que les effectifs de l’inspection du travail fondent d’année en année. « Notre ministère est celui qui a fait le plus d’efforts de réduction du nombre de fonctionnaires, ironise-t-il. On est un peu moins de 1 700 inspecteurs pour 26 millions de salariés concernés par le champ “hygiène et sécurité”. Quant aux directeurs régionaux, ils ne sont que treize. »

Enfin, à propos de la sanction souhaitée, 1 000 euros d’amende, Ilias Sabri la juge « peu dissuasive » et souligne qu’il s’agira sans doute (selon l’amendement) d’un « montant maximum fixé » que « la plupart des entreprises seront capables de sortir ».

Son syndicat plaide, de longue date (voir cette tribune, publiée dans Libération) pour des mesures plus coercitives. « En cas de danger grave et imminent, il existe une possibilité de retirer le salarié, sans perte de salaire, précise Ilias Sabri. Cela s’appelle un arrêt d’activité, en attendant que l’employeur prenne des mesures immédiates. Si l’on souhaite vraiment parer à l’urgence, c’est plutôt vers ce genre d’outil qu’il faudrait se diriger. » Et il conclut : « Dans ce cas de figure, si l’employeur ne respecte pas la règle, l’amende est de 10 000 euros. Vous la voyez, la différence ? »

Cécile Hautefeuille et Camille Polloni