Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Dans la ville chinoise de Xi’an, la stratégie zéro Covid jusqu’à l’épuisement

Janvier 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Dans la ville chinoise de Xi’an, la stratégie zéro Covid jusqu’à l’épuisement

Depuis le 22 décembre, un confinement strict est imposé aux 13 millions d’habitants de l’agglomération qui peinent à s’approvisionner en nourriture et dénoncent des mesures inhumaines.

Par Simon Leplâtre(Shanghaï, correspondance)

Publié le 31/12/2021
Ting ne sait toujours pas pourquoi elle grelotte depuis trois jours dans un hôtel de montagne situé à trois heures de son campus. Dans la nuit de mardi 28 à mercredi 29 décembre, les étudiants de l’université aéronautique de Xi’an ont été réveillés par des coups frappés à la porte de leur dortoir : on les envoyait en quarantaine. Etudiante en première année, Ting a préparé quelques affaires. Après trois heures de route, les étudiants ont découvert le paysage du mont Taibai, à l’ouest de Xi’an. Un vaste hôtel, fermé pour l’hiver, a été choisi pour accueillir les 400 étudiants. Dehors, il fait moins 10 degrés. Dans sa chambre, la climatisation ne fonctionne pas. « Pourquoi a-t-on été transférés dans ce lieu isolé ? Est-ce qu’on est cas contacts ? », se demande Ting (le prénom a été changé). Seule dans sa chambre, elle s’est enveloppée dans ses vêtements les plus chauds et la fine couverture du lit. Bientôt, c’est son estomac qui réclame : elle n’a pas été nourrie la première journée. « L’encadrement de l’école ne nous répond pas, seuls nos enseignants nous ont aidés. Mais ils nous ont surtout demandé de supprimer nos publications sur Weibo [équivalent chinois de Twitter] parce que cela nuit à la réputation de l’école », raconte la jeune fille.

Après neuf jours de confinement strict, la population de Xi’an, métropole du centre de la Chine, accuse le coup. Lundi, alors que les cas s’accumulaient, la municipalité a encore renforcé le confinement : les habitants n’ont même plus le droit de sortir de leur résidence pour faire les courses. Après la découverte d’un premier cas du variant Delta, passé par l’aéroport de la ville le 9 décembre, les mesures habituelles de traçage et d’isolement des cas contacts ont échoué : les autorités ont décidé, le 22 décembre, d’imposer un confinement strict aux 13 millions d’habitants de l’agglomération.

Pour la plupart d’entre eux, la seule sortie quotidienne est pour passer un test PCR. La ville a mis en place 12 000 stations de tests et déployé 160 000 employés pour les administrer. D’autres ont été assignés à la désinfection de tous les espaces publics de la ville, une mesure à l’efficacité discutée. A presque un mois des Jeux olympiques d’hiver à Pékin, à partir du 4 février, la Chine redouble d’efforts pour maintenir sa stratégie de tolérance zéro face au Covid-19, quel qu’en soit le coût. Le 24 décembre, 26 responsables de la municipalité de Xi’an ont été sanctionnés pour des manquements au contrôle de l’épidémie et au traçage des cas.

Efficacité discutée
L’interdiction de sortir de chez soi, alors qu’une personne par foyer était autorisée à aller faire les courses, a jeté des milliers de personnes dans la détresse. La mesure n’avait pas été annoncée. Surpris, nombre d’habitants se sont plaints de n’avoir plus rien à manger. Sur Weibo, certains appellent à l’aide, comme cette femme, qui affichait sa confiance totale aux autorités pour gérer le foyer épidémique dans un premier message, le 18 décembre. Avant de déchanter dix jours plus tard : « Est-ce que quelqu’un peut m’aider ? Je suis prête à payer n’importe quel prix pour avoir à manger ! Je perds espoir. » Dans un groupe de conversation de sa résidence, un enseignant a laissé ce message : « Quelqu’un a besoin d’un tuteur ? je donne trois heures de cours contre trois pommes de terre ! » Le hashtag « il est difficile d’acheter à manger à Xi’an » a été vu plus de 300 millions de fois sur Weibo. Plus dramatique, certains racontent s’être vu refuser l’accès à plusieurs hôpitaux, car au moins six établissements n’accueillent plus de patients.

Mercredi, les autorités locales ont reconnu des difficultés. « La faible présence du personnel et des difficultés logistiques et de distribution ont entraîné des perturbations » dans l’approvisionnement de la population, a déclaré Chen Jianfeng, un responsable. « Nous faisons de notre mieux pour aider à résoudre le problème de personnel et nous délivrons des laissez-passer pour les véhicules qui garantissent l’approvisionnement en produits de première nécessité », a-t-il ajouté. Jeudi, le gouvernement central a relativisé : « Dans l’ensemble, l’approvisionnement en produits de première nécessité à Xi’an est suffisant », a assuré le porte-parole du ministère du commerce, Gao Feng, lors d’un point de presse.

Malgré un confinement qui rappelle Wuhan en début de pandémie, Xi’an continue d’enregistrer plus de 150 cas par jour, cette semaine, pour un total de 1 115 cas, le plus élevé depuis mars 2020. Au point que certains remettent en cause la stratégie officielle de tolérance zéro face au virus. Une citation du virologue Zhong Nanshan, devenu le visage de la lutte anti-Covid-19, affirmant que « le coût de la stratégie de tolérance zéro face au virus n’est en fait pas si élevé », a fait réagir sur Weibo : « “Pas élevé” seulement si vous n’êtes pas dans une zone touchée ! », tance un internaute.

La plupart des Chinois soutiennent cette approche qui a permis au pays le plus peuplé du monde de protéger sa population, avec seulement 4 636 morts du Covid-19. Même en supposant que les chiffres officiels sont sous-estimés, la Chine est de fait l’un des pays où le virus a eu le moins d’impact sur la santé de la population. Mais après deux ans de confinements locaux répétés, nombreux sont ceux qui dénoncent la manière : « La stratégie zéro Covid est la bonne, mais il faudrait l’appliquer de manière plus flexible et raisonnable. Les quarantaines longues et imposées sans prévenir sont vraiment difficiles à vivre, physiquement et émotionnellement, pour les citoyens et les personnels de santé. Faites preuve d’humanité ! », supplie un internaute.

Simon Leplâtre(Shanghaï, correspondance)