Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Tribune : « La solution de ne pas admettre en réanimation les personnes ayant fait le choix de ne pas se vacciner n’est pas envisageable »

Janvier 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Tribune : « La solution de ne pas admettre en réanimation les personnes ayant fait le choix de ne pas se vacciner n’est pas envisageable »

TRIBUNE

Avoir refusé la vaccination contre le Covid-19 ne signifie pas nécessairement être un antivax, souligne un collectif de médecins. Mais la lassitude s’installant, les soignants pourraient avoir du mal à saisir la complexité.

Publié le 21 décembre 2021 à 01h36 -

Est-il juste de laisser une patiente atteinte d’une infection digestive aux urgences sur un brancard pendant dix heures, car le service des maladies infectieuses est rempli par des patients atteints du Covid-19 ? Est-il juste de refuser un patient en décompensation cardiaque, stagnant à domicile, pris en charge tant bien que mal par les médecins en dehors de l’hôpital, en attendant de trouver enfin un service avec un lit disponible pour l’accueillir ? Est-il juste de ne pas réaliser une transplantation hépatique, car la réanimation accueillant habituellement ces patients a été transformée en unité Covid-19 ?

Ces questionnements sont de plus en plus présents dans l’esprit des médecins. La justice est certes complexe, mais elle relève d’une perception quasi instinctive – le sentiment d’injustice ou de justice s’impose à nous. Cette période est marquée par un sentiment d’injustice croissant.

Le réanimateur partage dans la suite de son courriel ses inquiétudes : « J’ai par ailleurs aussi des craintes que, faute de reconnaissance de cette problématique, certains d’entre nous (dans la communauté des réanimateurs) puissent un jour être malveillants à l’égard des non-vaccinés parce que le choix qu’on leur demanderait de faire entre tel ou tel patient ne serait plus à leur portée… C’est complexe, mais cela mérite un débat ouvert à mon sens et le gouvernement ne peut pas ne pas en avoir conscience. »

Clivage sociétal
Le Covid-19 a en effet une autre particularité sans précédent qui crée un clivage sociétal sur une question de santé. Le débat sur la vaccination est teinté d’affects importants, le choix vaccinal devient un choix éthique puisqu’il inscrit la personne dans son lien avec les autres. Il est intéressant de voir comment de grands thèmes éthiques comme la liberté, la responsabilité ou encore la justice ont été et sont toujours mobilisés dans les discussions, faisant naître l’idée de deux camps irréconciliables. Si ce recours à l’argumentaire éthique était sans doute nécessaire, peut-être a-t-il eu pour effet de crisper les positions de chacun.

Les vaccinés ressentent de l’injustice, voire de la colère, car ils considèrent les non-vaccinés en partie responsables des restrictions de liberté, des difficultés de certains à travailler, de la gêne au quotidien. Le médecin, pour sa part, reste avant tout un citoyen (vacciné), frappé par un épuisement au travail, dans un système de santé qu’il voit s’effondrer. Une pathologie impliquant autant les sentiments des médecins est inhabituelle et déconcertante. Insidieusement, se pose une question du côté des professionnels de santé : est-ce que le statut vaccinal doit être pris en compte dans la priorisation ?

La mission d’un médecin n’est pas de juger, mais de soigner. « Je respecterai, est-il affirmé dans le serment d’Hippocrate, toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination, selon leur état ou leurs convictions. »

Aussi le corps médical ne peut-il toutefois ignorer le caractère complexe et très hétérogène des populations refusant encore la vaccination. Certes, on ne peut nier l’existence de groupes minoritaires mais très actifs de personnes s’égarant dans une interprétation saugrenue et dangereuse des données de la science. Mais ce sont aussi le manque d’accès à une information juste et bien formulée ou plus probablement encore des représentations liées à des expériences personnelles ou familiales qui nourrissent ce refus. Avoir refusé la vaccination ne signifie pas nécessairement être un antivax. Tout cela est bien plus complexe ; mais la lassitude s’installant, les soignants pourraient avoir du mal à se saisir de cette complexité.

Problème de la priorisation
Surmonter ce sentiment premier face à des comportements qui questionnent les médecins est un impératif éthique. Mais, dans ce contexte inédit, devant des choix tragiques, où le problème de la priorisation se pose, les médecins réanimateurs se trouvent à devoir prendre des décisions impossibles, alors que le questionnement déborde le seul cadre médical.

Nous souhaitions attirer l’attention sur ce sentiment spontané, grandissant chez les acteurs de santé, totalement inédit. Ce texte n’est pas une inquisition visant à culpabiliser les non-vaccinés : il est question ici de rapporter une réalité dérangeante et qui ne peut être ignorée. Le manque de moyens donnés à l’hôpital public est la conséquence de décisions socio-économiques depuis de nombreuses années maintenant et si l’afflux de malades est une cause majeure des problématiques de priorisation, ce sont aussi nos diminutions capacitaires qui les imposent.

Nous accueillons tous les jours des patients arrivant dans un état de détresse, regrettant amèrement leur décision inconsciente de ne pas se faire vacciner. La solution de ne pas admettre en réanimation les personnes ayant fait le choix de ne pas se vacciner n’est pas envisageable. Pour autant, nous tenons à rappeler des faits, qui ne sont le reflet d’aucun jugement moral : ne pas se faire vacciner, c’est risquer sa vie, risquer celle des autres, notamment les patients avec des défenses immunitaires faibles chez qui la vaccination est peu efficace, qui ne peuvent compter que sur les autres, mais aussi empêcher certaines personnes plus fragiles d’accéder à la réanimation, retarder la prise en charge d’autres malades atteints de pathologies chroniques : c’est tout simplement accepter l’idée que notre choix impose aussi de priver les autres de soins.

Premiers signataires : Mathieu Acquier, médecin réanimateur, médecine intensive réanimation, Bordeaux ; Véronique Averous, médecin de soins palliatifs, comité d’éthique, Bordeaux ; Alexandre Boyer, médecin réanimateur, médecine intensive réanimation, Bordeaux ; Didier Gruson-Vescovali, médecin réanimateur, médecine intensive réanimation, Bordeaux ; Thibaud Haaser, médecin oncologue radiothérapeute, Comité d’éthique, Bordeaux ; Aurélie Martin, médecin réanimateur, réanimation polyvalente, Libourne ; Olivier Mollier, médecin neurochirurgien, Comité d’éthique, Bordeaux ; Jérôme Pillot, médecin réanimateur, réanimation polyvalente, Bayonne ; Antoine Romen, médecin réanimateur, réanimation polyvalente, Pau ; Arnaud Sément, médecin réanimateur, réanimation polyvalente, Mont-de-Marsan.