Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - L’Assemblée vote le passe vaccinal, ni dans les temps ni dans l’union

Janvier 2022, par Info santé sécu social

Jeudi, à l’aube, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi instaurant le passe vaccinal. Au terme d’une journée et d’une nuit d’échanges pollués par la sortie d’Emmanuel Macron sur les non-vaccinés, une partie de la droite LR et des élus socialistes ont joint leurs voix à celles de la majorité. Débattu au Sénat la semaine prochaine, le texte ne devrait pas pouvoir entrer en vigueur au 15 janvier, comme le souhaitait le gouvernement.

Mathilde Goanec et Ilyes Ramdani
6 janvier 2022

Trois jours, deux nuits, une crise politique et quelques centaines d’amendements discutés. En dépit d’un parcours législatif tortueux, la loi instaurant le passe vaccinal a été adoptée, jeudi 6 janvier, par l’Assemblée nationale à 214 voix contre 93. Après le « coup du rideau » de lundi qui a empêché l’adoption express souhaitée par le gouvernement, puis l’impossible séance de mardi minée par les propos d’Emmanuel Macron, les députés ont laborieusement repris mercredi le fil d’un texte dont ils ont fini par venir à bout à 5 h 30 du matin.

Laborieusement, car la crise politique générée la veille par la sortie du chef de l’État a continué à hanter le travail parlementaire. « Les déclarations du président de la République ont absolument disqualifié le passe vaccinal », a résumé Pascal Brindeau en clôture des débats. Dès l’ouverture de la séance, à 15 heures, les oppositions n’avaient à la bouche qu’une exigence, déjà exprimée la veille sans être satisfaite : à défaut de pouvoir convoquer le président de la République (la Constitution l’interdit), que le premier ministre vienne s’expliquer devant la représentation nationale.

« Pour que le débat continue, il faut qu’on soit en mesure de savoir quels sont les objectifs recherchés par le gouvernement », a plaidé André Chassaigne, le président du groupe communiste. Son homologue socialiste, Valérie Rabault, a réclamé des « excuses » face au « mépris » affiché par Emmanuel Macron. Présent pour tenter d’éteindre l’incendie, le ministre des relations avec le Parlement, Marc Fesneau, a proposé aux députés un marché : Jean Castex rejoindrait bien le Palais Bourbon sitôt après la séance de questions au gouvernement au Sénat mais l’Assemblée accepterait de reprendre, en attendant, l’examen des amendements.

Là, les stratégies des groupes d’opposition ont divergé. La droite et les socialistes se sont déclarés favorables à la poursuite des débats. « Nous voulons une assemblée du respect et de la responsabilité, nous voulons aller jusqu’au bout de ce texte », a expliqué Damien Abad, le président du groupe LR. « On dissocie la phrase de Macron et la loi, on ne veut pas bordéliser le débat », expliquait-on sur les bancs du parti de droite. Une volonté impulsée en coulisses par Valérie Pécresse, désireuse que son camp affiche une image de responsabilité sur le sujet.

"Monsieur le premier ministre, excusez-vous de ces propos indignes !"

Mathilde Panot, présidente du groupe insoumis
À gauche, La France insoumise avait un discours autrement offensif. « Nous ne sommes pas d’accord pour reprendre un texte comme si rien ne s’était passé, a justifié Mathilde Panot, la présidente du groupe. Nous vous demandons de suspendre les travaux jusqu’à ce que le premier ministre arrive. » Face au refus du gouvernement et de la présidente de séance, Annie Genevard (LR), les élus LFI ont multiplié les rappels au règlement et provoqué deux interruptions de séance, soutenus par leurs voisins communistes.

Rien ne s’est donc passé, ou presque, jusqu’à l’arrivée de Jean Castex, peu après 16 h 30. Dans une atmosphère électrique, les questions ont fusé. « Oui ou non, prenez-vous vos distances avec les déclarations du président de la République ? Oui ou non, useriez-vous des mêmes mots ? », a demandé Damien Abad. « Est-ce que vous regrettez ces propos ? », a suivi Valérie Rabault. Jean-Christophe Lagarde, le président de l’UDI, a enfoncé le clou : « Pouvez-vous encore respecter les Français ou considérez-vous que le chef de l’État a raison de vouloir en emmerder un certain nombre ? » Mathilde Panot (LFI) a été encore plus expéditive : « Monsieur le premier ministre, excusez-vous de ces propos indignes ! »

Au micro, le premier ministre a passé l’essentiel de son temps de parole à esquiver ces questions avant de revenir, du bout des lèvres, sur la sortie d’Emmanuel Macron : « Oui, il y a une difficulté avec ceux de nos concitoyens qui ne sont pas vaccinés. Ce n’est insulter personne, c’est la réalité qu’a voulu rappeler le président de la République ! Ai-je besoin de vous rappeler ce que disent les soignants ? » Une réponse sifflée par les oppositions – « On attendait des excuses, on a eu un alibi », a commenté le député (LR) Julien Aubert –, à l’issue de laquelle le locataire de Matignon a quitté l’hémicycle.

Après cela, les députés ont repris le cours d’un texte aussi court par sa taille (il ne compte que dix articles) qu’important par son enjeu. Dans un hémicycle garni où l’on comptait plusieurs candidats à l’élection présidentielle (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan) et des chefs de parti, comme Stanislas Guérini (LREM) et Christian Jacob (LR), nombreux ont été les sujets de divergences et de joutes parfois électriques.

Ainsi du contrôle – de la « concordance », préfère Olivier Véran – de l’identité. Le texte autorise désormais, en cas de doute sérieux, toutes celles et ceux qui auront à contrôler le nouveau passe vaccinal à vérifier l’identité de son propriétaire. « Société d’auto-contrôle », « règne de l’arbitraire », « facteur de tension et d’escalade »… Le débat était déjà vif en commission parlementaire, il a largement échauffé les esprits, vers une heure du matin, dans l’hémicycle. « Votre truc ne fonctionnera pas, a prédit Mathilde Panot. Aucun restaurateur n’aura envie de faire passer les menottes à son client ! »

Le ministre de la santé s’est voulu rassurant : « Le buraliste contrôle la personne qui achète des cigarettes en lui demandant sa pièce d’identité pour savoir si elle est majeure, de nombreux services publics ou privés peuvent aussi vérifier si les uns et les autres peuvent bénéficier d’un tarif réduit. Ne faisons pas de cette mesure un ghost plan. »

Un statut particulier pour les « repentis »
Mais au micro, les députés de droite ont succédé à leurs collègues de gauche pour dénoncer un « hybride, un droit de police administrative donné à des citoyens, un précédent dangereux », certains se plaignant aussi qu’on offre aux citoyens un pouvoir qu’on rechigne à offrir aux policiers municipaux. Le ministre a fini par perdre ses nerfs : « Quand vous allez rentrer dans vos circonscriptions, l’hôtesse dans l’avion va faire une concordance d’identité, je vous conseille de lui dire qu’elle se prête à la grande société esclavagiste à la sauce Orwell et d’observer sa réaction ! »

Muet durant la majeure partie des échanges, le Parti socialiste s’est réveillé alors que les députés discutaient de la possibilité d’une forme de repentance pour les fraudeurs de passe sanitaire. Ils auront la possibilité, s’ils justifient d’un engagement dans le parcours vaccinal, d’éviter les poursuites en s’auto-dénonçant. « Cela va favoriser le sentiment d’impunité, en donnant aux antivaccins le pouvoir d’échapper à la sanction, craint Cécile Untermaier, députée socialiste de Saône-et-Loire. J’y vois une incitation à la fraude plutôt qu’une incitation à la vaccination. » Soutenu par la majorité et une partie de l’opposition, l’amendement gouvernemental a néanmoins été adopté.

Tout au long des débats, les allusions se sont faites récurrentes aux propos d’Emmanuel Macron. Le député insoumis de La Réunion, Jean-Hugues Ratenon, a par exemple lancé à Olivier Véran : « Vous avez décidé, sur ordre du président de la République, d’emmerder les Outre-mer. En effet, les personnes originaires d’Outre-mer qui ne sont pas vaccinées ne peuvent s’y rendre que pour un motif impérieux. […] Être originaire des Outre-mer et vouloir revenir sur sa terre natale pour se ressourcer, n’est-ce pas un motif impérieux, monsieur le ministre ? »

La question ultra-marine a été au centre d’échanges tendus, à plusieurs moments de la nuit. Le député communiste de la Martinique, Jean-Philippe Nilor, a lancé au ministre son « indignation » face à ses « contre-vérités » : « La crise n’est pas une crise de non-vaccinés, comme vous le dites, mais une crise de personnes non-soignées. […] Voilà le scandale dans nos territoires ! »

L’examen de la loi « renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire » a aussi été le théâtre de nouvelles controverses sur la politique vaccinale du gouvernement. À Jean-Luc Mélenchon qui évoquait les « trous dans la raquette » du vaccin et son inefficacité relative, Olivier Véran a longuement répondu : « Avez-vous une idée de ce qui se passerait avec 300 000 contaminations par jour si notre population n’était pas l’une des plus vaccinées au monde ? Le vaccin a d’ores et déjà sauvé des centaines de milliers de vies dans notre pays et il continue de le faire. »

Mais les députés de l’opposition ont souhaité tout au long de la soirée faire entendre leur musique, quitte à se faire, à droite notamment, les chantres de l’incitatif, après avoir prôné dans les premiers temps de l’épidémie des mesures parfois très coercitives. « Nous ne pensons pas que, derrière chaque personne non vaccinée, il y a toujours un antivax qui voudrait la mort de ses concitoyens, il y a des gens qui sont loin de la médecine, loin de la société, a plaidé Philippe Gosselin (LR). Nous voulons leur permettre de monter dans le wagon de queue, pour rentrer dans le circuit. Ça s’appelle la bienveillance, la main tendue et l’esprit de concorde. »

Seule concession à l’opposition : pas de passe vaccinal pour les 12-15 ans
La droite LR a vertement critiqué un autre ajout fait au texte par le gouvernement : celui des amendes à l’égard des entreprises qui n’appliqueraient pas le télétravail (jusqu’à 1 000 euros par salarié). « Arrêtez d’emmerder les entreprises ! », a lancé Damien Abad en filant la métaphore du moment, dénonçant le « climat de suspicion » que l’exécutif souhaitait faire planer sur les entreprises.

L’échange, comme tant d’autres, raconte l’échec du gouvernement à fédérer autour de lui une majorité consensuelle – en début de semaine, pourtant, LR et PS s’étaient déclarés prêts à voter la loi. Entre-temps, les déclarations présidentielles, les velléités de passage en force de la Macronie et l’incapacité à associer l’opposition (dont un seul amendement a été adopté sur plusieurs centaines déposés) sont passées par là. Le passage de 12 à 16 ans de l’âge minimal d’applicabilité du passe vaccinal, seule concession accordée par LREM, n’aura pas suffi à entretenir l’esprit de concorde.

Au moment de voter l’intégralité du texte, vers 5 h 30 du matin, les élus socialistes et Les Républicains ont finalement étalé au grand jour leurs divisions sur le sujet. Au PS, seuls 7 députés sur 20 présents ont approuvé la mesure. Chez LR, le groupe s’est scindé en trois : 28 pour, 24 contre et 22 abstentions. Une forme de camouflet pour Valérie Pécresse, qui s’était personnellement engagée à obtenir une position favorable du groupe.

Le projet de loi gouvernemental va désormais poursuivre son cheminement parlementaire au Sénat, qui a décidé mercredi de repousser son examen à la semaine prochaine. Selon Public Sénat, la chambre haute est convenue avec le gouvernement d’une inscription à l’ordre du jour mardi 11 janvier, avec l’espoir d’une adoption le lendemain. Il restera alors à la commission mixte paritaire d’adopter une mouture définitive du texte, avant une probable saisine du Conseil constitutionnel par l’opposition. L’hypothèse d’une entrée en vigueur le 15 janvier paraît, en l’état, hautement improbable.

Mathilde Goanec et Ilyes Ramdani