Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : nous ne sommes pas tous égaux devant l’accès à la vaccination »

Janvier 2022, par Info santé sécu social

Le titre exact de Libération est "Tous les français ne sont pas égaux devant l’accès à la vaccination" .


Passant au crible plus de 180 critères socio-économiques et géographiques, la spécialiste en biologie évolutive Florence Débarre a participé à une enquête sur les disparités de couverture vaccinale dans le pays. Elle souligne notamment l’importance du taux de chômage et du surpeuplement des logements.

par Anaïs Moran
publié le 6 janvier 2022

Un président de la République qui « emmerde » les Français non vaccinés jusqu’à les exclure de leur titre de « citoyen ». Un pass vaccinal adopté ce jeudi matin par l’Assemblée nationale pour « continuer de les emmerder jusqu’au bout », selon le vœu du chef d’Etat. Ils sont 5 millions à ne pas avoir commencé leur parcours vaccinal contre le Covid-19. Soit 8,2% des personnes éligibles de plus de 12 ans, précisément, à n’avoir reçu aucune dose. Mais qui se cache réellement derrière ces chiffres, une fois les punchlines présidentielles mises de côté ?

Coïncidence du calendrier, quatre chercheuses et un chercheur ont prépublié lundi les résultats de leur enquête sur les disparités de couverture vaccinale. En passant au peigne fin 181 critères socio-économiques et géographiques, leur travail révèle que « les localités les plus pauvres sont aussi les moins vaccinées », mettant en évidence deux variables clés que sont le taux de chômage et le surpeuplement d’un logement. « Nos résultats basés sur des ensembles de données nationaux exhaustifs indiquent que les zones les plus défavorisées ont plus de dix fois plus de risques de faire partie des territoires où la vaccination est la plus faible », écrivent dans leur article le data-scientist Emmanuel Lecoeur (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), la géographe spécialisée en santé publique Lucie Guimier (Institut français de géopolitique), la sociologue Marie Jauffret-Roustide (Inserm), la médecin épidémiologiste Anne-Sophie Jannot (AP-HP, Université de Paris) et la spécialiste en biologie évolutive Florence Débarre (CNRS). Cette dernière détaille pour Libération les conclusions de leur étude, qui pointe « l’urgence de définir de nouvelles politiques de vaccination qui tiennent véritablement compte des aspects sociaux ».

Quel était l’objectif de vos recherches et vers quels résultats vous a-t-il mené ?

Nous sommes allés chercher un ensemble de variables socio-économiques et géographiques, dans l’idée de regarder lesquels de ces indicateurs étaient le plus associés aux différents niveaux de taux de vaccination. Nous avons considéré 176 critères socio-économiques, tous issus des données de l’Insee, et 5 paramètres géographiques. Et nous les avons associés avec les taux de vaccination enregistrés par l’Assurance maladie à l’échelle des intercommunalités et des communes autour de Paris, Marseille et Lyon. A partir de cette méthodologie sans a priori sur les données, les deux marqueurs qui sont ressortis le plus fortement sont la part de chômage et la proportion de logements suroccupés. Deux indicateurs de pauvreté. Autrement dit, les personnes qui habitent dans une commune ou une intercommunalité confrontée à des enjeux de chômage ou de surpeuplement de logement sont plus nombreuses qu’ailleurs à ne pas être vaccinés. A titre d’exemple, pour prendre vraiment des extrêmes opposés en termes de taux de chômage, 11% des plus de 55 ans étaient non vaccinés le 3 octobre dans le VIIe arrondissement de Paris, contre 29% dans le IIIe arrondissement de Marseille. De manière plus générale, nos résultats indiquent que les zones les plus défavorisées ont plus de dix fois plus de risques de faire partie des localités où la vaccination est la plus faible.

Vous avez également étudié ces variables socio-économiques sous le prisme de la mise en place du pass sanitaire, en analysant trois périodes, celle de début juillet, celle du mois d’août post-discours d’Emmanuel Macron, et celle de septembre. Qu’avez-vous constaté ?

Les inégalités sociales ont persisté malgré la mise en place du pass sanitaire. On savait déjà que les facteurs sociaux avaient un impact sur la vaccination. Des chercheurs avaient entrepris de le mettre en lumière, comme les sociologues Nathalie Bajos et Alexis Spire cet été. J’avais aussi commencé par curiosité à regarder le lien entre le niveau de revenu et le statut vaccinal. Sur ce point, notre étude corrobore et approfondit des associations déjà établies. Par ailleurs, ce qu’on a voulu faire avec ce travail, c’est d’évaluer la mise en place du pass sanitaire sur cette situation d’inégalités. Une réalité se dessine très nettement : on peut clairement mettre au crédit du pass sanitaire une augmentation des taux de vaccination, mais l’écart de taux de vaccination est resté comparable entre les localités avec le moins de chômage et celles avec le plus de chômage. Si on compare les 25% des localités les plus touchées par le chômage aux 25% des localités les moins touchées, la différence de taux de vaccination est restée de l’ordre de 8 points de pourcentage.

Quelle conclusion en tirez-vous ?

Comme il est lié à des activités payantes, le pass sanitaire n’a pas eu le même effet dans toutes les classes sociales. Il a surtout touché des personnes qui prenaient le train, l’avion, allaient au cinéma, au restaurant. Cela a eu un effet beaucoup moins contraignant pour des personnes qui, de toute façon, n’ont pas les moyens de pratiquer couramment ces activités, et qui sont parmi les plus éloignées de la vaccination.

Avec son projet de pass vaccinal, une version « augmentée » du pass sanitaire, le gouvernement entend pourtant faire rentrer tous les non-vaccinés dans le rang. Ils sont jugés responsables de « la fracture de la nation », selon les mots du Premier ministre…

La situation est plus complexe. Il faut garder en tête deux choses. D’une part, les personnes qui ne sont pas encore vaccinées ne sont pas toutes des antivax purs et durs, c’est une vision caricaturale. D’autre part, tous les Français ne sont pas égaux devant l’accès à la vaccination. Certes, on n’a pas besoin de payer pour se faire vacciner. Mais les informations pratiques sur les créneaux disponibles, sur la localisation des centres, sur les procédés pour la prise de rendez-vous sont difficilement accessibles pour les personnes peu à l’aise avec les outils numériques ou à cause de la barrière de la langue. Sans parler du fait que les populations défavorisées sont aussi souvent éloignées du soin. Et, en ce moment, avec les tests payants pour les non-vaccinés qui semblent être maintenus malgré la mise en place d’un pass vaccinal, il y a une forme de double peine. La défenseuse des droits, Claire Hédon, a raison d’insister sur le fait que le déremboursement des tests de dépistage est discriminant car il touche particulièrement les précaires, isolés, éloignés du système de santé. Des spécialistes de santé publique ne font que le répéter : il faut « aller-vers » ces personnes, comme toutes celles et tous ceux qui se démènent depuis des mois pour faciliter ainsi l’accès à la vaccination.

Emmanuel Macron dit qu’il faut les « emmerder davantage » et qu’ils ne sont plus dignes du titre de « citoyen ». Comment réagissez-vous face à ces propos ?

Ces propos m’ont rendue profondément triste. J’aimerais qu’on fasse preuve d’un peu plus d’humanité et d’empathie. Qu’on se pose la question de pourquoi ces personnes sont encore non vaccinées, de pourquoi on n’a pas réussi à les faire accéder à la vaccination, ou bien, pour celles et ceux qui hésitent, à leur faire comprendre l’intérêt personnel de se faire vacciner. Parce que c’est une forme d’échec collectif. Il y a aussi la question de l’accès aux informations médicales, d’avoir les moyens de faire la part des choses entre véritable information et fake news ; peut-être faudrait-il mettre plus d’énergie à lutter contre les désinformateurs qu’à stigmatiser les victimes de la désinformation. Surtout, avec de telles déclarations, on semble oublier qu’il y a beaucoup de non-vaccinés parmi les personnes les plus pauvres de ce pays, déjà en marge de la société, et peu semble mis en œuvre pour compenser ces inégalités sociales préexistantes. On a parlé de la vaccination comme moyen de retrouver notre liberté, mais on pourrait aussi espérer qu’il y ait un peu plus d’égalité et de fraternité.