Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : quand, et comment, l’épidémie peut-elle finir ?

Janvier 2022, par Info santé sécu social

Efficacité limitée des vaccins contre la transmission, nouveaux variants, inégalités internationales, politiques court-termistes : de l’avis de beaucoup de spécialistes, nous ne sommes pas près d’entrer dans le « monde d’après ».

par Florian Gouthière et Emma Donada
publié le 24 janvier 2022 .

CheckNews

« On est en début de pandémie. » Cette réponse de Jean-Claude Manuguerra, virologue à l’institut ce Pasteur, a le mérite de la franchise. « Le Sars-Cov-2 est un virus qui circule depuis deux années, et il a encore beaucoup de personnes à infecter. Pour l’instant, il est clair que le virus va continuer à circuler chez l’homme. »

Une pandémie « loin d’être terminée » : c’est également le constat dressé à Genève le 18 janvier par le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Quelques jours plus tard, le 24 janvier, Hans Kluge, le directeur Europe de l’OMS voit toutefois des signes d’amélioration : « La pandémie est loin d’être terminée, mais j’ai bon espoir que nous puissions mettre fin à la phase d’urgence en 2022 », a-t-il déclaré dans un communiqué.

Quand, alors, peut-on espérer voir le bout du tunnel du Covid ? Et quelles formes peut prendre la sortie de crise ? Pour en savoir plus sur ce retour à la normale tant attendu, CheckNews a interrogé ces dernières semaines de nombreux épidémiologistes, virologues et immunologues.

Peut-on espérer éradiquer le virus ?

Prédire de façon précise et détaillée l’évolution de la pandémie serait bien évidemment hasardeux. Et deux ans après le début de la crise sanitaire mondiale, personne ne s’y risque. Comme le souligne l’épidémiologiste Antoine Flahault, « nous pouvons juste réfléchir aux scénarios du domaine du possible, et les envisager comme notre futur éventuel ».

Une chose semble toutefois établie : l’éradication du Sars-Cov-2 semble une hypothèse peu probable. Eradiquer un virus nécessite en effet un certain nombre de conditions, qui sont actuellement loin d’être réunies. « La première de ces conditions est une grande stabilité antigénique du virus, c’est-à-dire que ses structures virales reconnues par notre système immunitaire se modifient peu au fil du temps », détaille ainsi Jean-Claude Manuguerra. Autrement dit, il faudrait que le virus arrête de muter. « Or, contrairement à d’autres virus, comme celui de la variole ou de la rougeole, le Sars-Cov-2 a montré qu’il n’était pas très stable, avec l’apparition de tous ces variants », observe le spécialiste des maladies infectieuses. On ne connaît pas encore les capacités de variation de ce virus à long terme, qui pourraient influer sur sa transmissibilité, sa virulence ou sa capacité d’échappement immunitaire. Mais l’épidémie en cours favorise l’émergence de nouveaux variants, chaque réplication du virus s’accompagnant d’un risque de mutation. Par ailleurs, des études ont montré que l’infection chronique par le Sars-Cov-2 de personnes immunodéficientes semble également constituer un incubateur de ces variants (le virus, persistant parfois plusieurs mois dans leur corps, y poursuit ses mutations).

Antoine Flahault note néanmoins que dans les scénarios les plus optimistes, « les possibilités de mutations vers des variants agressifs pourraient être déjà épuisées, car le répertoire des variants viables ne serait pas infini ». Et Manuguerra de souligner que « certaines mutations importantes pour l’échappement immunitaire apparaissent indépendamment dans le monde, dans des variants sans liens les uns avec les autres », ce qui laisse espérer que le virus finisse effectivement par épuiser ses possibilités de mutations.

L’existence d’un possible réservoir animal pour le virus fragilise aussi l’hypothèse de l’éradication : « Le Sars-Cov-2, s’est adapté à l’homme. Il aura peut-être du mal à retourner vers l’animal dont il est issu, relève Manuguerra. Mais il peut très bien passer vers d’autres espèces, comme on l’a vu avec le vison ou les cerfs de Virginie… » Lors d’un récent point de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales, l’épidémiologiste Arnaud Fontanet jugeait également possible « qu’un jour, le virus parte en population animale, s’y multiplie, et revienne un peu différent chez l’homme. Et soit à l’origine d’une nouvelle vague épidémique, avec un nouveau variant ».

Des mesures à prendre à l’échelle mondiale
Pour l’immunologue Patrice Debré, la faiblesse de la réponse internationale, et la difficulté à administrer le vaccin sur la planète favorisent aussi le scénario d’un retour cyclique des épidémies. Ce dernier est « d’autant plus plausible que les Etats peinent à coordonner leurs efforts de lutte. Il faudra que les pays du monde entier s’alignent à peu près sur les mêmes modalités, sans quoi le virus continuera longtemps à circuler ». Pour Samuel Alizon, directeur de recherche sur les maladies infectieuses au CNRS, « ce qui est déterminant aujourd’hui au niveau international, c’est la question des inégalités de richesse, qui se traduisent par une inégalité d’accès au vaccin. Prenez le variant omicron : l’un des scénarios les plus vraisemblables est que ce variant est issu d’une circulation dans des pays qui avaient non seulement pas accès aux vaccins, mais également peu de surveillance épidémiologique et pour ainsi dire pas de surveillance génomique. Ce variant vient nous rappeler ces inégalités, qui ne sont pas nouvelles ». La perspective de faire de Sars-Cov-2 un lointain et mauvais souvenir nécessiterait, en outre, de disposer d’un vaccin à la fois peu cher et facilement administrable. Or, pour l’instant, avec les vaccins à ARN messager, la logistique reste très compliquée.

Envisager l’éradication suppose enfin une dernière condition, soulignée notamment par Samuel Alizon : le fait que le virus puisse induire une immunité post-infectieuse à la fois très solide et de longue durée. Celle-ci pourrait reposer sur la vaccination – qui continue d’être espérée comme un moyen de mettre fin à une épidémie – mais aussi par l’immunité conférée par l’infection. Une question posée tout particulièrement avec le variant omicron, à l’origine de millions de contaminations. Antoine Flahault note ainsi que, dans un scénario optimiste – défendu par une partie de la communauté scientifique – « l’émergence du variant omicron représente une opportunité qui vient consolider une très forte protection de la très grande majorité de la population contre les formes sévères de Covid ».

Mais Antoine Flahault estime toutefois que la situation doit s’apprécier en prenant en compte les « deux digues immunitaires que nous construisons contre l’infection par le coronavirus ». D’un côté, la protection essentiellement conférée par les anticorps, « qui s’avère fragile », concède-t-il : « A chaque vague causée par un nouveau variant, elle est transpercée de toute part, et une épidémie de nouvelles contaminations se produit, même dans une population très fortement immunisée. » De l’autre, il existe « une deuxième digue de protection, constituée par des lymphocytes qui gardent en mémoire toutes les agressions que nous avons subies de la part du coronavirus ». Or, selon Antoine Flahault, cette mémoire semble « se fortifier avec le temps ». Néanmoins, à cette heure, les connaissances scientifiques restent encore limitées quant à la fiabilité de ces différentes protections, sur le moyen comme sur le long terme.

Des épidémies qui passent, mais un virus qui reste
Risque de variants, de réservoirs animaux, immunité insuffisamment durable… « Pour toutes ces raisons, résume Jean-Claude Manuguerra, le Sars-Cov-2 est un virus que l’on n’arrivera sans doute pas à éradiquer. Vous demandez quand l’épidémie va s’arrêter ? La circulation ne va pas s’arrêter, et il faut s’attendre à ce qu’il y ait régulièrement des épidémies, dont on ne connaît pas encore la fréquence, dans des zones géographiques données, à un moment donné. Localement, le virus peut s’arrêter de circuler – pour de nombreuses raisons que l’on n’identifie pas nécessairement toutes précisément, comme l’immunité de la population, les conditions climatiques… Mais le virus sera toujours là, quelque part dans le monde. On n’arrivera pas à se débarrasser du virus. »

Une fois ce constat effectué, les scientifiques interrogés par CheckNews laissent toutefois entrevoir une porte de sortie. « A chaque vague successive, la population accumule collectivement de l’immunité du fait des infections, à laquelle vient se rajouter l’immunité vaccinale. On peut donc espérer que les vagues à venir vont perdre progressivement en sévérité, et que la sortie de crise se fera ainsi », observe Laura Temime, épidémiologiste au Cnam et à l’Institut Pasteur. Autrement dit, l’immunité collective, même imparfaite, permettrait à terme de modérer la circulation du virus.

Selon son homologue Bruno Lina, par ailleurs membre du Conseil scientifique, « le retour à la normale se passera quand le virus aura fait un premier tour du monde et arrêtera d’être dans un cycle pandémique. C’est incompréhensible que des personnes pensent encore passer entre les gouttes. Il deviendra alors un virus postpandémique et qui continuera de donner des bouffées épidémiques ».

Laura Temime esquisse elle aussi l’éventualité « d’épidémies devenues annuelles – chaque hiver – gérables par une surveillance continue des variants et des rappels vaccinaux des personnes à risque – en adaptant si nécessaire les vaccins comme on le fait pour la grippe ». Même si ce processus va prendre du temps. « Il est peu probable qu’omicron soit le dernier variant du Sars-Cov-2, ni même que la vague épidémique actuelle soit la dernière », estime-t-elle.

Un avis partagé, dans une récente interview dans le JDD, par l’épidémiologiste Vittoria Colizza. La directrice de recherche à l’Inserm considère elle aussi comme un « scénario envisageable » le fait que le Covid finisse par devenir une maladie saisonnière, « le modèle de la grippe, avec des flambées ponctuelles ». « Une des possibilités pour en arriver là, expliquait-elle, serait que nous ayons superposé assez de « couches » d’immunité, par l’exposition au virus et grâce au vaccin, pour protéger la population des formes graves. Seuls les plus fragiles arriveraient alors à l’hôpital. En combien de temps ce scénario se met en place ? Deux mois, deux ans ? Aucun modèle mathématique ou historique ne le dit. »

Selon Arnaud Fontanet, ce scénario est également « plausible » même s’il estime qu’il est « difficile de donner un calendrier ». « Mais cela pourrait se passer dans les 1 à 5 ans qui viennent », a-t-il prudemment avancé.

Les limites de l’analogie avec la grippe

Une évolution du Covid-19 en une pathologie saisonnière n’en fera pas nécessairement une maladie triviale. « Avec la grippe, on a chaque année une vague de cas, et une vague d’hospitalisation », insiste Samuel Alizon. En plus des rappels vaccinaux, ces épisodes épidémiques pourraient nécessiter « des mesures plus fortes (port du masque, limitation des rassemblements). L’important sera de ne pas saturer le système hospitalier ».

Rien n’exclut par ailleurs, comme l’observe Antoine Flahault, que cet hypothétique Covid saisonnier « soit suffisamment sévère pour conduire à une situation fréquemment proche de la saturation des hôpitaux et des réanimations, voire de l’ensemble du système de santé, urgences hospitalières et pratiques de ville incluses. Et surtout voir se répéter ce stress sur la société et son système de santé plusieurs fois par an, le coronavirus étant moins enclin à respecter la trêve estivale que son cousin, le virus grippal ». Laura Temime note que « même [le covid lié à] omicron, dont on sait qu’il est moins sévère que les variants précédents, reste plus sévère qu’une grippe ». Un renforcement durable des capacités hospitalières, afin d’amortir l’effet de tensions régulières et prévisibles, devrait peut-être être envisagé.

Dans le champ des possibles, Bruno Lina évoque une perspective optimiste, en imaginant un parallèle avec le coronavirus OC43 (qui, selon certains travaux, pourrait avoir été responsable de la dévastatrice épidémie de « grippe russe » entre 1889 et 1890). « Cent-vingt ans plus tard, ce virus qui donne une infection bénigne est toujours présent. A terme, le Sars-Cov-2 fera peut-être la même chose… Mais personne ne sait dans combien de temps. Ça peut peut-être se passer sur un échéancier de 3 à 5 ans. »

De fait, lors des échanges avec CheckNews, l’ensemble des spécialistes interrogés se gardent bien de jouer à « prédire » l’évolution de l’épidémie, que ce soit à moyen ou à long terme. « L’émergence d’omicron montre qu’il est vain de trop s’avancer sur le devenir de l’épidémie, insiste ainsi Patrice Debré, immunologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et auteur de l’ouvrage La Recherche en temps d’épidémie. Un variant avec une contagiosité ou une dangerosité différente, selon qu’il contourne ou non l’immunité acquise grâce à une exposition antérieure ou avec le vaccin, peut changer la situation dans un sens ou dans l’autre. Il vaut mieux rester à l’analyse que nous avons, presque au jour le jour. » Au final, comme le souligne Jean-Claude Manuguerra, « les intervalles auxquelles surviendront les épidémies futures dépendront du rapport entre populations déjà infectées, les populations naïves au virus (les enfants), les populations dont l’immunité aura baissé (sauf si on fait des rappels vaccinaux) et de nouveaux individus jamais exposés au virus – les enfants ».

L’horizon de traitements

La gravité du problème posé par un Covid « saisonnier » – et sa perception dans nos sociétés – dépendra aussi fortement des progrès à venir dans les traitements de la maladie. Plusieurs thérapies antivirales prometteuses doivent arriver sur le marché à court terme. Arnaud Fontanet, évoque par exemple, l’arrivée du « paxlovid, qui est un traitement pour les personnes à risque de forme grave, divise par dix le risque d’hospitalisation ».

Mais de très nombreux obstacles restent certainement encore à lever. Samuel Alizon note ainsi qu’à l’heure actuelle, des traitements tels que les anticorps monoclonaux restent « chers et peu pratiques pour une utilisation de masse ». De plus, leur efficacité apparaît mauvaise face à des variants comme omicron.

En outre, d’autres traitements innovants semblent « difficiles à déployer à grande échelle, car ils imposent encore d’ajuster très précisément les dosages pour limiter les effets secondaires ». « Il est certain que si l’on arrive à mettre au point des traitements efficaces, facilement déployables, peu chers et peu toxiques, ça peut faire en sorte que les vagues de cas ne se transforment pas en vagues d’hospitalisation. » Et donc de normaliser notre future cohabitation avec le virus. Mais, même dans cette situation, la partie ne serait pas forcément gagnée, en raison du risque d’apparition de résistance aux traitements, « comme on en voit surgir avec tout traitement pharmaceutique ».

En guise de conclusion, Antoine Flahault note que, « même si l’on se sait incapable de prédire l’avenir de cette pandémie, on peut vouloir anticiper la meilleure préparation vis-à-vis de ces différents scénarios, sans verser dans un catastrophisme exagéré, ni dans un attentisme qui pourrait s’avérer coupable ». Pour ce qui est de l’ici et du maintenant, de nombreux chantiers restent en effet encore à mener pour autoriser une sortie de crise. Et l’un des leviers majeurs « pour éviter la plupart des contaminations des coronavirus et de tous ses variants passés, présents et à venir, mais aussi des autres virus respiratoires et de nombreux autres agents pathogènes » apparaît, selon l’épidémiologiste, être celui « de la qualité de l’air intérieur que nous respirons », « et qui nous contamine pour l’immense majorité des transmissions connues de coronavirus ».

Sans attendre la sortie de la pandémie, et même s’il est « bien trop tôt pour se relâcher », le directeur Europe de l’OMS estime pour sa part que 2022 pourrait bien marquer la fin des grandes mesures de restriction de « l’ère pandémique ». « Avec une surveillance et un suivi rigoureux des nouveaux variants, un taux élevé d’acceptation de la vaccination et des troisièmes doses, une ventilation, un accès équitable et abordable aux antiviraux, des tests ciblés et la protection des groupes à haut risque avec des masques de haute qualité et une distance physique si et quand un nouveau variant apparaît, je crois qu’une nouvelle vague ne pourrait plus nécessiter le retour aux confinements de la population de l’ère pandémique ou des mesures similaires », a-t-il déclaré. Autrement dit, même dans ce scénario optimiste, nous ne retrouverons pas « le monde d‘avant » à l’autre bout du tunnel. Pas tout de suite, en tout cas.