Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : les indicateurs de suivi de l’épidémie ont-ils encore un sens ?

Janvier 2022, par Info santé sécu social

La déconnexion entre le nombre massif de contaminations quotidiennes et les entrées en soins critiques incite à revoir les critères d’évaluation de la pandémie.

par Luc Peillon
publié le 25 janvier 2022

Les chiffres « himalayesques » de contaminations quotidiennes en France – 350 000 actuellement – ont-ils encore une signification ? Le nombre d’hospitalisés « avec le Covid », et peut-être même de morts avec un test positif, est-il encore pertinent ? Autrement dit, les outils statistiques qui depuis bientôt deux ans nous permettent de rendre compte de l’épidémie de Sars-CoV-2 sont-ils toujours adaptés à la situation actuelle ? Décrivent-ils vraiment la même chose qu’il y a quelques mois ?

Pour le responsable du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, c’est désormais acté : le nouveau variant a changé la nature de la pandémie et, par conséquent, la justesse des indicateurs qui en assurent le suivi. « Omicron est beaucoup plus transmissible, mais nettement moins sévère, a-t-il détaillé mardi matin sur France Info. Donc la vision que l’on a de cette infection doit changer. Je ne dis pas que l’on ne doit pas prendre en compte le nombre de nouvelles contaminations. Il est majeur, il est massif, on n’a jamais vu ça autour de nous. […] Et, en même temps, on n’a pas dépassé les 4 000 lits d’occupation en réanimation. Ce qui est énorme, mais il n’y a pas d’évolution. Et il y a même une baisse. […] C’est-à-dire que nos marqueurs ne sont pas tout à fait les mêmes. Les bons marqueurs, maintenant, vont être l’impact sur le système de santé. »

Une augmentation de la part des malades « collatéraux »
L’apparition d’omicron, couplée à la campagne – massive – de vaccination en France, a en effet changé la donne. Alors qu’une personne (non vaccinée) âgée de 60 à 79 ans avait, en cas de test positif avec delta, quasiment 6 % de risques de finir en soins critiques, elle n’en a plus que 1,5 % avec omicron. Et, si elle est vaccinée avec rappel, cette probabilité s’effondre à 0,3 %. Soit une division par 20 du risque d’entrer en soins critiques pour cette tranche d’âge avec un schéma vaccinal complet. Résultat : le lien étroit qu’entretenaient les contaminations et les entrées dans ces unités spécialisées s’est largement distendu depuis l’automne 2021. De cinq à sept entrées en soins critiques (de personnes positives au Covid ou soupçonnées de l’être) pour 100 nouveaux cas détectés dans le pays lors des deuxième et troisième vagues, on est passé à moins d’une entrée lors des quatre dernières semaines. Pour les hospitalisations conventionnelles, le décrochage est moins fort, mais reste important.

Dès lors, le nombre de contaminations détectées n’est plus un indicateur avancé (avec une semaine d’avance) de la saturation hospitalière, critère déterminant de la gravité d’une épidémie pour le système de soins. Faut-il, dans ces conditions, s’en remettre aux seuls indicateurs hospitaliers ? Pas totalement non plus. Car ces derniers sont, eux aussi, perturbés par la vague omicron. En effet, depuis le début de l’épidémie, les chiffres d’hospitalisations ou d’entrées en soins critiques de patients Covid-19 regroupent les malades pris en charge en raison du Covid, mais aussi ceux positifs au Covid mais hospitalisés pour une autre raison (accident de voiture, cancer…). Tout au long de 2021, la part de ces malades « collatéraux » a stagné, en moyenne, autour de 15 % pour les hospitalisations, dont 5 % pour les soins critiques. Mais avec l’explosion d’omicron (sans doute 700 000 contaminations réelles par jour), la probabilité de retrouver ce type de patients dans les statistiques a logiquement augmenté. La part des personnes hospitalisées avec le virus mais venues pour un autre motif ne cesse ainsi de progresser ces dernières semaines, et s’élève désormais à 26 % (13 % pour les soins critiques). Autant d’individus qui auraient donc été hospitalisés, virus ou pas virus, mais qui viennent gonfler les chiffres du Covid à l’hôpital.

Les patients hospitalisés exclusivement en raison du Covid-19, une donnée précieuse
Autre paramètre, enfin, qui a évolué, et qui joue sur la situation des établissements de santé : la durée des séjours hospitaliers. Selon des données provisoires – donc fragiles – de la Drees (cellule statistiques du ministère de la Santé), elle aurait diminué de 10 à 30 % avec omicron, comparativement à delta.

Quelle alternative face à ces données qui apparaissent de plus en plus inadaptées au nouveau visage de l’épidémie ? Suivre les indicateurs hospitaliers dans leur ensemble, et notamment en soins critiques. Ou ne suivre que les patients venus à l’hôpital en raison du Covid-19. Une donnée qui n’est pour l’instant communiquée qu’une fois par semaine, et avec retard, dans le bulletin hebdomadaire de Santé publique France. Consciente que ce paramètre revêt désormais une importance particulière, l’agence s’est engagée à davantage de publicité sur ce chiffre. Ou comment apprendre à regarder l’épidémie avec de nouvelles lunettes.