Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Covid : en laissant courir Omicron, l’Europe parie sur un virus endémique

Janvier 2022, par infosecusanté

Mediapart : Covid : en laissant courir Omicron, l’Europe parie sur un virus endémique

Masques, distances, passe vaccinal, traçage des cas : un à un, les pays européens lèvent les restrictions sanitaires comme les mesures de contrôle du virus. Certains, comme le Danemark ou la France, sont pourtant touchés par une contamination massive au variant Omicron. Ils font le choix d’une immunisation collective, avec l’espoir de vivre avec un virus devenu endémique, c’est-à-dire qui circule tout au long de l’année à basse intensité.

Caroline Coq-Chodorge

28 janvier 2022 à 18h55

Tout paraît post-apocalyptique, en Chine, à une semaine de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver : les sites créés ex nihilo et enneigés artificiellement, la pollution atmosphérique qui menace la santé des athlètes et le contrôle sanitaire drastique qui leur est imposé. Tous les participants et participantes aux jeux sont contraint·es de se tester tous les jours, de vivre cantonné·es en délégation dans un « circuit fermé », disent les autorités chinoises, de dormir dans des hôtels et d’emprunter des transports dédiés, sans aucune interaction avec la population.

Si des Chinois·es pourront assister aux épreuves, dans le respect d’une stricte distanciation, ils et elles ne pourront qu’applaudir, les cris et les chants seront interdits.

Ces infinies précautions sont pourtant superflues face au variant Omicron : parmi les 3 000 personnes arrivées à Pékin, une centaine ont déjà été testées positives. Des foyers d’infection surgissent déjà dans la capitale chinoise, contrainte de tester en masse des quartiers entiers.

Toujours rivée sur sa politique zéro Covid, la Chine continue à imposer de très sévères confinements : pour quelques centaines de cas positifs, la ville de Xi’an, 13 millions d’habitant·es, vient tout juste de sortir de plus d’un mois d’enfermement et d’isolement du reste pays.

L’autre pays emblématique de la politique zéro Covid est une démocratie, la Nouvelle-Zélande. Mais celle-ci, sous la direction de la première ministre Jacinda Ardern, prend acte de la nouvelle réalité épidémique sous Omicron. Le variant est d’ores et déjà présent sur ces îles du Pacifique, et les autorités préparent la population à des contaminations quotidiennes par milliers. Depuis dimanche, la Nouvelle-Zélande est passée en « alerte rouge », mais les restrictions n’ont rien à voir avec les confinements imposés par le passé. Seront imposés le masque, le passe vaccinal et des jauges dans les lieux publics. Tous les commerces et les écoles resteront ouverts, cependant.

« La stratégie zéro Covid est aujourd’hui intenable, tous les pays qui la suivent sont en train d’en changer ou vont le faire. Ils vont devoir dépasser leur aversion à ce virus », analyse l’épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à Genève (Suisse).

Le Danemark, pays le plus contaminé au monde, lève toutes les restrictions

En Europe, de très nombreux pays tentent au contraire de s’acclimater au virus. En tête de pont, le Danemark, qui enregistre le plus grand nombre de contaminations au monde, mais qui vient de décider de lever toutes les restrictions – du port du masque au passe sanitaire – dès le 1er février. Pour la première ministre Mette Frederiksen, le Covid ne doit plus être « considéré comme une maladie menaçante pour la société ».

Si l’Espagne n’a pas encore franchi un tel pas, elle est la première à avoir mis le sujet sur la table. « Il est nécessaire d’étudier la possibilité d’un nouveau système de vigilance Covid », a par exemple plaidé la ministre de la santé espagnole, Carolina Darias, à l’adresse de ses partenaires européens. Dit plus clairement : l’Espagne envisage d’alléger la traque du virus, en ne testant que les personnes symptomatiques et en abandonnant le traçage des cas contacts.

Ce jeudi 27 janvier, le Royaume-Uni a abandonné toutes les mesures de restriction, du port du masque à la présentation d’un certification de vaccination pour fréquenter certains lieux publics. Le premier ministre Boris Johnson veut même aller plus loin : il envisage de lever les mesures d’isolement pour les personnes testées positives à partir du mois de mars.

Plus ambivalente, la France vient d’instaurer le nouveau passe vaccinal, tout en annonçant, jeudi 20 janvier, un calendrier de levée des mesures restrictives, avec la fin du télétravail ou du port du masque à l’extérieur à partir du 2 février.

Comme le Danemark, la France enregistre pourtant le deuxième plus haut taux de contamination d’Europe et n’a toujours pas atteint son pic épidémique. Mais il se dessine nettement en Île-de-France, la première région touchée par Omicron : le nombre de cas positifs baisse rapidement, les admissions en réanimation et les hospitalisations plus lentement.

Sans le dire très clairement, la plupart des pays européens jouent, de concert, la carte de l’immunité collective. « Les Européens laissent leur population s’infecter, en espérant ainsi renforcer son immunité, et préparer ainsi les vagues à venir, reconnaît Marie-Paule Kieny, experte en santé publique, qui a présidé le comité vaccin placé auprès du gouvernement pour le conseiller dans ses achats. Cette immunité acquise par les infections vient s’ajouter à celle donnée par la vaccination. Ce sont les pays les mieux vaccinés qui font aujourd’hui le choix de lever les restrictions. Mais cela reste un pari. Il faudra suivre de près la situation au Danemark. »

L’épidémiologiste Antoine Flahault renchérit : « Les gouvernements européens ont au moins réalisé une chose : Omicron a changé la donne, la configuration n’est plus du tout la même qu’avec les variants précédents. Omicron se répand comme une traînée de poudre, il est très difficile d’enrayer le phénomène. »

Mais tous deux font part de leurs inquiétudes. Marie-Paule Kieny met en garde contre cette « idée d’un découplage entre le nombre de cas Omicron, qui flambent, et les hospitalisations, qui devraient baisser : elles augmentent aux États-Unis, elles restent importantes en France ».

Antoine Flahault s’inquiète, lui, de la « banalisation de ce virus. C’est le risque avec ces virus à forte propagation, qui provoquent peu de formes graves. Mais cela revient à faire l’impasse sur les risques pour les personnes non vaccinées fragiles, et les immunodéprimés. Ceux-ci sont très nombreux ! ».

Selon les dernières données de Santé publique France, 1 565 personnes sont mortes du Covid dans la semaine du 17 au 23 janvier, et 100 personnes en maison de retraite. « Le Covid est actuellement la première cause de décès en France », rappelle Antoine Flahault.

L’épidémiologiste convient cependant que la fréquence des formes grave baisse nettement avec le variant Omicron, parce qu’il est moins virulent, mais aussi grâce à l’immunité acquise au fil des vagues successives : « La vaccination mais aussi la rencontre avec le virus renforcent l’immunité cellulaire, qui protège contre les formes graves. Celle-ci semble résister à l’apparition de nouveaux variants » (lire l’article de Lise Barneou sur les différents mécanismes de l’immunité).

Interrogé le 21 janvier sur l’opportunité de l’administration d’une quatrième dose de vaccin, Marco Cavaleri, chef de la stratégie vaccinale de l’Agence européenne du médicament (EMA), a émis des doute, en expliquant qu’il fallait surtout compter sur « l’augmentation de l’immunité dans la population. Et avec Omicron, il y aura beaucoup d’immunité naturelle en plus de la vaccination ». Il a même ajouté, sortant sans doute de son rôle : « Nous avancerons rapidement vers un scénario qui sera plus proche de l’endémicité. »

Un virus bientôt endémo-épidémique ?

Le Covid est-il en passe de devenir endémique ? Antoine Flahault est prudent : « Un virus endémique circule en permanence, à bas bruit. L’hépatite B ou le VIH sont endémiques. On en est loin avec ce coronavirus. On peut simplement espérer que cette maladie se comporte à terme de manière endémo-épidémique : une circulation à bas bruit permanente, avec des pics épidémiques, plutôt en période hivernale. »

Marie-Paule Kieny voit elle aussi cohabiter « une circulation endémique, tout au long de l’année, avec des pics épidémiques l’hiver, avec toujours le risque qu’un nouveau variant relance une épidémie plus sévère ». « On est beaucoup dans l’expectative », reconnaît-elle.

Peut-il évoluer comme les autres coronavirus humains, qui se manifestent par de simples rhumes ? « C’est un scénario très très optimiste, aujourd’hui fantasmatique », tranche le professeur Flahault.

À ses yeux, les pays européens n’en font toujours pas assez pour atténuer la circulation du virus puisqu’ils misent seulement sur « les vaccins, les masques et la distance. Mais où les contaminations ont-elles lieu ? Dans les lieux clos, non aérés ». L’épidémiologiste répète sa conviction de « l’importance de la qualité de l’air intérieur. Il faudra investir, même si cela prendra des années ».

À l’image du monde, l’Organisation mondiale de la santé fait entendre une dissonance face à Omicron. Le 21 janvier, elle prévenait : « Sur la base des données actuellement disponibles, le risque global lié à Omicron reste très élevé. » L’OMS garde comme boussole le nombre de cas positifs : « 21 millions de nouveaux cas ont été enregistrés ces sept derniers jours », a-t-elle compté. Mais le 24 janvier, le docteur Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS pour l’Europe, a lui donné une note d’espoir, au conditionnel : « Deux ans après le début de la Covid-19, nous pourrions entrer dans une nouvelle phase de la pandémie en nourrissant un espoir plausible de stabilisation. »

Pour Marie-Paule Kieny, qui a longtemps travaillé à l’OMS, estime que celle-ci est « coincée entre deux postures : être trop alarmiste ou ne pas l’être assez. Pour l’instant, le directeur général reste sur son plaidoyer, assez alarmiste. Il continue par exemple à affirmer qu’il faut vacciner 70 % de la planète. Or ce chiffre n’a aucune base scientifique. Est-ce qu’il a été suggéré par les laboratoires pharmaceutiques ? Une récente étude de séroprévalence dans plusieurs pays d’Afrique montre que la population a rencontré le coronavirus : jusqu’à 60 % des populations testées, par exemple au Soudan, ont développé des anticorps. L’épidémie est passée largement inaperçue. Dans ces pays, il faut concentrer l’effort de vaccination sur les personnes les plus âgées et les plus à risque ».

Caroline Coq-Chodorge