Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Impasse sanitaire Covid-19 : soigner mais pas prévenir, la stratégie du gouvernement pour vivre avec le virus

Février 2022, par Info santé sécu social

La cinquième vague, et après ? Le coronavirus ne va pas disparaître. Le gouvernement, lui, décide peu à peu de se concentrer sur le traitement de la maladie, au détriment de la lutte contre la circulation du virus. Un choix lourd de conséquences et pourtant peu débattu.

Dans le dernier point épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France, la plupart des données détaillées issues du contact-tracing, du criblage ou du séquençage ne sont pas mises à disposition des chercheurs. Réduisant d’autant la capacité d’analyse du pays sur la circulation du virus sur son territoire.

par Olivier Monod
publié le 4 février 2022

« On s’en fout de la circulation d’un virus s’il est très peu pathogène. » Jean-François Delfraissy reconnaît « pousser le bouchon un peu loin », mais il exprime bien la nouvelle doctrine française face au Covid-19. Invité ce jeudi par l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques (Opecst) à répondre à la question « Faut-il faire évoluer la stratégie de lutte contre le virus ? », le président du Conseil scientifique lance deux débats essentiels pour la suite. Combien de lits de réanimations faut-il en France ? Combien de morts annuels du Covid-19 peut-on accepter ? Sans avancer de réponse pour autant.

Sa sortie n’a pas fait ciller les parlementaires présents. Car l’idée d’abandonner la lutte contre la transmission et le fort taux de circulation virale semblent désormais bien acceptés. Pourtant, la moindre gravité d’omicron ne prend pas en compte l’existence des Covid longs, ces 10 à 30% de malades qui subissent des symptômes pendant plusieurs mois sans avoir été hospitalisés dans un premier temps. Elle oublie aussi le calvaire des immunodéprimés lorsqu’un virus hautement mortel pour eux circule largement dans toute la société.

Les membres de l’Opecst présents n’ont pas remis en cause cette vision. « Il faut bien mourir un jour », a conclu en substance le sénateur LR Gérard Longuet. « On sait que la mort est certaine et on sait que l’on ne peut pas en évoquer la certitude. Pour la maladie, vous avez le bon critère opérationnel sur le plan politique : c’est la capacité de la société à gérer par son système hospitalier les cas qui relèvent de son système hospitalier. Point final », synthétise-t-il. Et tant pis pour la prévention contre la prochaine probable flambée.

Car la décrue de la cinquième vague qui semble s’amorcer ne signe en rien la fin de l’épidémie. Le Covid-19 est parti pour rester. Il s’agit d’une nouvelle maladie respiratoire dans le répertoire des infections touchant régulièrement les humains. Une de plus à ranger aux côtés de la grippe ou de la bronchiolite.

Or, cette installation du virus dans la population humaine, appelée « endémicité », n’est pas nécessairement associée à une baisse de sa virulence. « Une maladie peut être à la fois endémique, très répandue et meurtrière », écrit Aris Katzourakis, spécialiste de l’évolution virale à l’université d’Oxford, dans un article publié par la revue scientifique Nature fin janvier.

En réalité, tout dépendra des caractéristiques des mutations futures. Mais espérer qu’elles seront forcément moins virulentes après 130 000 morts en France causés par des vagues de variants successifs revient à miser sa fortune sur le 13 noir et à lancer la roulette. Le débat avec les parlementaires aurait pu faire naître d’autres questions sur la stratégie du gouvernement. Peut-être le sujet animera-t-il, un peu, la campagne présidentielle.

« Ne pas politiser la vaccination »

La vaccination par la contrainte semble pourtant atteindre ses limites. Plus d’un an après le début de la campagne vaccinale, 4,5 millions de Français n’ont toujours pas reçu leur première dose. Les parents rechignent à faire vacciner leurs enfants. 19% des plus de 65 ans n’ont pas fait leur rappel. Une vaccination qui, rappelons-le, génère moins d’effets néfastes que le virus.

Tous les non-vaccinés ne sont pas d’affreux complotistes. Il est bien établi maintenant que la campagne française a échoué à toucher les plus défavorisés et les personnes les plus éloignées du système de santé. Invitée, elle aussi, à parler devant l’Opecst, l’épidémiologiste Judith Mueller appelle à « ne pas trop politiser la vaccination » mais plutôt en faire « une décision partagée avec le médecin traitant ». En affirmant vouloir « emmerder » les non-vaccinés, Emmanuel Macron a-t-il désigné des boucs émissaires bien utiles en campagne présidentielle pour masquer son manque d’investissement dans une politique de santé de proximité et de long terme.

Dans une tribune publiée par Libération le 11 janvier, 1 200 scientifiques appelaient à « lancer immédiatement un plan de recrutement et de formation d’arpenteurs sanitaires (50 000 emplois), qui accompagneront la mise en place de l’ensemble des mesures sanitaires (tests, aide à l’isolement, prévention) ». L’Etat doit-il investir dans un réseau d’acteurs de terrains pour mieux gérer l’épidémie ? Les leçons de l’échec de la stratégie de « tester-tracer-isoler » ont-elles été apprises ? Y avait-il un meilleur investissement à long terme à faire que de débourser 6,7 milliards d’euros dans 168 millions de tests antigéniques et PCR effectués à tort et à travers l’an dernier ? Ces questions n’engendrent guère de discussions.

L’angle mort de l’aération

En Ecosse, le gouvernement déploie un plan de 5 millions d’euros pour améliorer la qualité de l’air des établissements scolaires. Des efforts similaires sont déployés en Allemagne, en Australie, au Japon et même dans certains Etats des Etats-Unis. La France s’est-elle assuré de la qualité de l’air dans ses lieux clos (Ehpad, écoles, trains…) ? Faut-il mettre en place des nouvelles normes de ventilation dans les bars, restaurants, discothèques et lieux de culture ? RAS, une fois de plus.

Face aux sénateurs ce jeudi, plusieurs chercheurs ont aussi rappelé la déconnexion entre les milieux académiques et les – nombreux – systèmes de suivi de l’épidémie : les Agences régionales de santé, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), Santé publique France (SPF) ainsi que l’Assurance maladie. Face à une maladie endémique, il faut une capacité de surveillance et d’analyse réactive. Il s’est passé un mois seulement entre la détection d’omicron en Afrique du Sud et sa flambée épidémique en France.

Or, sur le séquençage, la France ne semble pas déterminée à rattraper son retard. Dans le dernier point épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France, jeudi, la plupart des données détaillées issues du contact-tracing, du criblage ou du séquençage ne sont pas mises à disposition des chercheurs. Réduisant d’autant la capacité d’analyse du pays sur la circulation du virus sur son territoire.

L’espoir – et la stratégie principale – du gouvernement français est que la vaccination massive fasse entrer la crise du Covid-19 dans une nouvelle phase, où le nombre d’hospitalisation et de morts ne suivra plus d’aussi près la courbe des cas. Mais cela restera un sujet sanitaire au long cours qu’il faudra traiter. Comment ? Le débat doit, enfin, s’ouvrir.