L’hôpital

Libération - Témoignages Minute de silence pour l’hôpital public : « Soigner n’a plus de sens »

Février 2022, par Info santé sécu social

Le 10 décembre 2021, des médecins urgentistes strasbourgeois appelaient à observer une minute de silence « pour la mort annoncée de l’hôpital public ». Deux mois plus tard, la mobilisation a gagné tout le territoire.

par Leria Maria Musso
publié le 4 février 2022

Cela fait des années qu’ils appellent l’Etat à renforcer les moyens d’un hôpital public paupérisé. Depuis le début du mois de janvier, le nombre de participants à la mobilisation lancée à Strasbourg (Bas-Rhin) en décembre, par le biais d’une minute de silence symbolique, n’a cessé de croître. Ce vendredi à 14 heures, personnels et usagers d’une soixantaine d’établissements hospitaliers de toute la France se réuniront à nouveau avec le soutien de personnalités publiques. Au centre hospitalier de Saint-Denis, c’est Michel Jonasz qui viendra lire le texte déclamé avant la minute de silence. Libération a recueilli le témoignage de trois soignants mobilisés.

Corinne Jac, 55 ans, est aide-soignante. Elle travaille aux urgences de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, depuis vingt-deux ans.
« La mobilisation réunit des médecins, des aides-soignants, des infirmiers, des syndicats, toutes sortes de corps de métier. Il y a aussi des patients et des accompagnants. On a choisi cette mobilisation pour alerter, car l’hôpital public crie “au secours”, le bateau coule. On se bat pour nos patients, pour nous-mêmes. Cette alternative a du sens, elle a lieu dans la France entière et c’est symbolique, ça permet aux gens d’entendre nos revendications.

Le Ségur n’a rien apporté – que nenni ! Les difficultés au niveau des effectifs sont les mêmes qu’avant le Covid. Ça fait trente-trois ans que j’exerce, je suis une des doyennes. Ça me remotive car je pense à demain, je me dis que si je suis patiente, j’aimerais qu’on m’écoute. Tout ça en ce moment, on ne peut pas le faire. On est soignants, on ne doit pas devenir maltraitants. Je ne peux pas prendre le temps de tenir une main, de parler… Or, aide-soignante, c’est ça. C’est tout ce dialogue. On est déjà frustrés de porter nos masques depuis deux ans, de ne pas voir les visages. Je me présente à chaque patient, je leur dis que je m’appelle Corinne mais qu’ils doivent m’appeler « Coco ». J’essaie de créer une proximité avec le patient, le faire rire un peu malgré la situation. Le plus important, c’est aussi d’informer les patients sur la suite. Ils souffrent du manque d’attention, ils nous le disent. Quand je prends mon service, ils me disent qu’ils sont là depuis six, huit heures, quel que soit leur âge.

Désormais, ce qui nous manque, ce sont les effectifs pour fidéliser la nouvelle génération. Il faut un meilleur salaire, un logement, des conditions de travail convenables : un temps horaire plus maniable, par exemple. On sent une lassitude chez les jeunes. Ils ne feront pas carrière, j’en suis convaincue, si les choses ne changent pas, pour tous les corps de métier. »

Antoine Vinchon, 37 ans, est infirmier aux urgences de l’hôpital de Péronne (Somme), depuis plus de quinze ans.
« C’est la première fois qu’on se mobilise pour faire une minute de silence. Elle est d’abord dédiée à la fermeture de notre laboratoire d’analyse, mardi dernier, à cause des restrictions budgétaires. Maintenant les gens devront aller à Saint-Quentin, à 35 kilomètres. La deuxième raison, c’est qu’on se joint aux plus de soixante hôpitaux mobilisés : c’est une forme d’expression facile à organiser et on défend l’intérêt commun des usagers et du personnel. On espère être plusieurs dizaines, surtout depuis la création du collectif de soutien au personnel et aux usagers de l’hôpital. Ici, on a un préavis de grève en cours depuis le 12 août 2021, qui concerne les personnels médicaux et non médicaux. C’est une manière d’interpeller les usagers pour recueillir du soutien, pour que les spécificités locales puissent être entendues.

A l’hôpital de Péronne comme ailleurs, le ratio soignants-soignés se dégrade constamment. Dans mon centre hospitalier, au sein du service d’hospitalisation conventionnelle, on compte 30 lits. C’est-à-dire un ratio d’une infirmière pour 10 lits et une aide-soignante pour 14 lits, alors que les recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour promouvoir la qualité des soins sont d’une infirmière pour six malades. Aux urgences, il y a 7 box de capacité d’accueil mais on a, la plupart du temps, 21 patients dans le service, ce qui équivaut à 300 % de taux d’occupation. On souffre d’un manque de moyens humains. Les patients qui sont en attente de résultats d’examen et de leur prise en charge, on n’a pas d’autre choix que de les stocker dans les couloirs, sur leurs brancards pour prévoir les entrées des patients qui arrivent. »

Pierre Catoire, 30 ans, est médecin urgentiste au CHU de Bordeaux. En poste depuis trois ans à l’hôpital Pellegrin, il exerce également au Samu et au Smur de la métropole girondine.
« Il y a une crise de l’hôpital depuis des années. On disait que ça ne bougerait pas, qu’il faudrait des morts pour que ça bouge. Des morts, il y en a eu, par manque de moyens, et ça ne bouge toujours pas. La semaine dernière, on a dû réaliser une thrombolyse dans la douche à un patient qui faisait un AVC, parce qu’il n’y avait pas de salle disponible. Un AVC, c’est à prendre en charge à la minute près : une minute de perdue, c’est une semaine de vie en moins. On rogne sur le matériel en permanence, il est défectueux. Une de nos soignantes a été agressée par un patient en psychiatrie : elle en garde des séquelles irréversibles, car elle a appuyé sur le bouton de sécurité, et il ne marchait pas. Comme pour beaucoup de professions, quand on est soignant, on ne fait pas ça pour un nombre d’heures et une rémunération, on fait ça parce que ça a un sens : soigner. Là, ça n’a plus de sens.

La société a besoin de l’hôpital public. Soigner, c’est à ça qu’on sert et on en est fier. C’est un honneur, une fierté que les gens comptent sur nous pour les soigner et il est hors de question que les choix de nos tutelles nous enlèvent cette capacité. Ils ne nous prendront pas ça. Les gens sont de nouveau fiers d’être soignants. Maintenant, on voudrait que les responsables politiques fassent de la politique. On n’est pas le seul service public à souffrir mais quand on se dit qu’un service vital tel que les urgences ne peut plus accueillir les patients, qu’on doit monter des tentes à l’extérieur…

Aujourd’hui, il faut construire des hôpitaux, tout mettre en œuvre pour faire revenir des soignants. Les choix managériaux doivent être faits de sorte que les soignants ne soient pas juste apposés dans un service. Ils sont de plus en plus jeunes parce qu’ils tiennent de moins en moins, ce qui entraîne une perte d’expérience. Il faut augmenter les titularisations, les capacités d’hospitalisation, mettre en place une vraie régulation territoriale des capacités d’hospitalisation. »