Maternités et Hopitaux publics

L’humanité - Les patients obligés de payer dès 2021 pour aller aux urgences

Octobre 2020, par Info santé sécu social

Cécile Rousseau

Un forfait payant sera mis en place dès 2021 pour les passages dans les services d’urgences sans hospitalisation. Un scandale, selon les acteurs du secteur, qui va inciter les malades à ne pas se soigner.

Glissée au milieu du projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS), la mesure était presque passée inaperçue. Alors que plusieurs réformes tarifaires ont été repoussées pour cause de crise sanitaire (psychiatrie, soins de suite et de réadaptation…), tous les malades se rendant aux urgences seront, eux, sommés de mettre la main à la poche dès 2021. Les passages dans ce service ne nécessitant pas d’hospitalisation feront ainsi l’objet d’un montant fixe, en lieu et place de l’actuel ticket modérateur laissant 20 à 30 % du coût des soins aux malades, souvent remboursés pour ceux disposant d’une complémentaire santé.

Course aux petites économies
Si, selon le gouvernement, ce « forfait patient urgences » permettra « de limiter les situations de reste à charge très élevé ». Pour les professionnels du secteur, il s’agit d’un scandale absolu. « Ce n’est pas éthique, les patients n’ont pas à payer s’ils habitent dans un secteur où il n’y a pas de médecins généralistes, déplore Frédéric Adnet, responsable du Samu 93 et chef des urgences de l’hôpital Avicenne à Bobigny. On fait culpabiliser les personnes qui viennent parfois pour une otite ou une rage de dents et que l’on arrive à soulager. D’autant que cela va concerner un grand nombre d’usagers : 80 % des passages aux urgences ne débouchent pas sur une hospitalisation. » Dans sa course aux petites économies pour limiter un déficit de la Sécurité sociale creusé par le Covid, le gouvernement ne recule devant rien. Si les femmes enceintes, les malades chroniques ou encore les invalides étaient exonérés de ticket modérateur, tous se verront bien appliquer une version minorée de ce forfait « patient santé urgences ».

« Il faut réorganiser la médecine de ville »
De son côté, la Fédération hospitalière de France (FHF), interrogée par les Échos, n’est pas convaincue de l’efficacité de cette disposition. « Nous sommes très dubitatifs sur la responsabilisation attendue, car les assurés veulent avant tout aller à l’hôpital pour accéder à son plateau technique lourd », explique la FHF, redoutant les effets sur « les 5 % de patients qui n’ont pas de mutuelle et qui accèdent aux soins via les urgences ». Comme le souligne Christophe Prudhomme, urgentiste à Avicenne et porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), « c’est une décision populiste, on transforme les usagers en boucs émissaires. C’est devenu très compliqué d’avoir un rendez-vous avec un généraliste dans la journée. Ils ne prennent plus les gens pour une entorse, par exemple. La question de la fracture numérique se pose aussi. Tout le monde n’a pas accès à Doctolib et aux visioconsultations. Il faut réorganiser la médecine de ville, pas autour des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), comme le voulait le gouvernement, mais autour des centres de santé ». Une nouvelle fois, les usagers des déserts médicaux seraient les plus pénalisés. « On fait comme si ce problème n’existait pas, soupire Michèle Leflon, présidente de la coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité. Les personnes vont éviter d’aller aux urgences pour des problèmes potentiellement graves. Heureusement, des initiatives émergent. À Laval (Mayenne), un collectif de citoyens va porter plainte pour non-égalité de l’accès aux soins sur le territoire car la situation est déjà dramatique. »

Les passages aux services des urgences ont doublé en vingt ans
Bien loin de la réalité, le gouvernement poursuit donc sa logique de désengorgement des services d’urgences, où les passages ont doublé en vingt ans (atteignant 21,4 millions en 2017). C’est le sens de la réforme du modèle de financement des structures des urgences devant entrer en vigueur au 1er janvier 2021. Tout comme celui du « forfait de réorientation », censé inciter financièrement les hôpitaux à rediriger 5 à 10 % des malades non urgents vers la médecine libérale. Cette expérimentation contestée, voulue par le ministre de la Santé, Olivier Véran, n’a finalement jamais été menée à cause la pandémie. « On ne tient pas compte des besoins, poursuit Christophe Prudhomme, nous manquons de lits, 3 400 ont été fermés dans les hôpitaux en 2019, mais aussi de personnel. Nous faisons face à un flot de démissions car la charge de travail est intolérable. »