Maternités et Hopitaux publics

Le Monde.fr : TRIBUNE :« Supprimer 111 maternités, c’est organiser une désertification de l’offre proposée aux femmes enceintes »

Mars 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : TRIBUNE :« Supprimer 111 maternités, c’est organiser une désertification de l’offre proposée aux femmes enceintes »

Claudine Schalck
Sage-femme, psychologue clinicienne

Micheline Boivineau
Présidente de l’Association nationale des sages-femmes territoriales

Dans une tribune pour « Le Monde », Claudine Schalck, sage-femme, psychologue et chercheuse, et Micheline Boivineau, présidente d’une association de sages-femmes, s’indignent du rapport de l’Académie de médecine sur la périnatalité, qu’elles jugent inspiré par l’idéologie obsolète du patriarcat médical.

Publié le 18/03/2023

Publié le 28 février et intitulé « Planification d’une politique en matière de périnatalité en France : organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence », un rapport de l’Académie de médecine énonce que cette planification « devrait s’appuyer sur une réduction accrue du nombre de maternités ».

Pourtant, ces trente dernières années, peu d’améliorations en la matière font suite au désastre des déserts médicaux et à la fermeture massive de deux tiers des maternités, malgré le constat des piètres résultats de la France par rapport à ses voisins européens.

Feignant de croire aux vases communicants, le rapport affirme que seules les maternités de types 2 et 3, respectivement adaptées aux grossesses à risque moyen et à haut risque, « pourraient accueillir les parcours de soins les plus complexes comme des parcours de santé les plus physiologiques en renforçant les moyens humains et au prix d’adaptations architecturales permettant la cohabitation des différents niveaux de prise en charge ».

Mépris
Il suffirait de fusionner 111 maternités de type 1, dites à bas risque, les plus « physiologiques », avec des maternités de type 2 et 3, afin d’éviter, note le rapport, l’image caricaturale d’« usines à bébés » qui vise souvent les « grosses structures saturées et donc peu accueillantes ».

Autant dire qu’il s’agit de faire du mal le remède, en prônant toujours plus la même solution qui ne fonctionne pas, avec la même analyse et le même regard sur la situation. S’il faut parler chiffres, en 2021, la France métropolitaine compte 452 maternités dont 170 de type 1, 222 de type 2 et 60 de type 3. Supprimer 111 maternités, c’est organiser une désertification de l’offre proposée aux femmes enceintes.

Mais qu’on se rassure, « le désert périnatal » annoncé serait pallié, toujours selon le rapport de l’Académie de médecine, par « le développement de structures hôtelières-hospitalières » où les femmes seraient hébergées en attendant d’accoucher, voire, mais ce n’est pas dit, d’être déclenchées.

Quelle dégradation, au mépris des femmes enceintes et de leur famille ! Plutôt que de proposer de rouvrir des maternités plus accueillantes, de promouvoir des maisons de naissance au développement toujours freiné, de créer enfin des unités physiologiques autonomes, d’organiser des soins coordonnés pour autoriser l’accouchement à domicile, en demande croissante et pratiqué dans d’autres pays européens depuis longtemps, le rapport propose comme mesure « phare » de supprimer les maternités de type 1. Car, « les contraintes architecturales, mais surtout celles liées aux personnels médicaux et paramédicaux rendent illusoire de soutenir une activité de moins de 1 000 accouchements ».

La gestion à flux tendu, cause de tous les maux
Pourtant, le rapport reconnaît que « 40 % des maternités de type 1 sur vingt ans » ont déjà été supprimées sans rien améliorer aux « usines à bébés » des types 2 et 3. C’est donc qu’il n’y a aucune relation de cause à effet entre la suppression des unes et l’amélioration des autres. Et si les usagers saturent les maternités de types 2 et 3, leur choix n’est-il pas déjà contraint ?

L’antiphrase et les paradoxes pragmatiques sont de règle lorsqu’il s’agit de médicaliser pour humaniser, voire de « physiologiser » l’hôpital par nature hautement médicalisé. Ou lorsqu’il s’agit d’y respecter les choix, les attentes ou les compétences propres des femmes. Ou encore lorsqu’il s’agit d’amadouer des professions féminines sous tutelle, en promettant, ici, une nomenclature pour les infirmières, là, le titre de praticien en maïeutique pour les sages-femmes ou des « zones » de physiologie subordonnées à une approche qui n’a d’horizon que le risque et les pathologies en ce qui concerne la maternité des femmes.

Même minimes, invoquer les pathologies les plus rares et imprévisibles demeure l’argument mis en avant pour dire qu’il y aurait « une augmentation du risque vital maternel dans les plus petites structures » et justifier leur suppression. Nul n’ignore pourtant que la cause de tous les maux, c’est la gestion « à flux tendu » et la rentabilité des soins qui font des ravages tant à l’hôpital qu’à la maternité, provoquant de manière aveugle des coupes massives dans les budgets et dans les effectifs, ainsi que des maltraitances dans l’organisation des soins et du management.

Encore faudrait-il le dire plutôt que de voir tous ces « grands patrons » accuser les maternités de type 1 de tous les maux et d’être la cause de la saturation des niveaux 2 et 3, voire de la « désaffection des sages-femmes pour des conditions d’exercice devenues déshumanisées et inacceptables ».

95 % des contributeurs sont des hommes
A l’évidence, des mécanismes de défense corporatiste traversent l’ensemble du rapport, avec cet aplomb patriarcal qui n’a que trop sévi dans le monde scientifique et médical, et qui se veut d’autorité pour toutes ces questions touchant aux femmes, qu’elles soient médicales, sociales ou politiques.

Conflit d’intérêts, corporatisme confirmé lorsqu’on constate que 95 % des contributeurs sont des hommes, des professeurs exerçant en type 2 et 3, avec un rapporteur qui ne recule pas devant le stéréotype condescendant et misogyne en déclarant en septembre 2022 qu’« aujourd’hui une youtubeuse est plus écoutée qu’un professeur d’obstétrique » et, au sujet des « femmes qui revendiquent qu’on ne médicalise plus l’accouchement », en déplorant qu’« on croit parfois plus les copines qui ont accouché dans le foin » que le médecin [le professeur Yves Ville, de la maternité de l’hôpital Necker à Paris, Le Parisien du 21 septembre 2022].

De tous temps, en effet, pour la construction de leur propre maternité, les femmes ont besoin de l’étayage de leur mère, de leurs aînées, voire de leurs semblables, celles des « co-mères » ou des « commères », selon la pédopsychiatre Marie-Rose Moro dans Parents en exil. Psychopathologie et migrations (PUF, 2002). Celles qui aident chacune à construire sa maternité dans le partage d’expérience et dans les identifications. Et cela d’autant plus que cet étayage manque dans la société postmoderne aux échanges connectés et qu’il manque encore quand les femmes ne trouvent ni écoute ni compréhension auprès des professionnels.

Après les hashtags #MeeTo et #PayeTonUtérus, plutôt que l’idéologie obsolète du patriarcat médical, ne vaudrait-il pas mieux écouter les femmes pour se donner les moyens d’offrir un monde meilleur à l’humanité de demain ?