Maternités et Hopitaux publics

Le JDD - De nombreuses femmes pourraient manquer de lits dans les maternités d’Île-de-France cet été

Juin 2022, par Info santé sécu social

Le 4 juin 2022

Par Anne-Laure Barret

Face à la désertion des sages-femmes, des futures mères pourraient avoir du mal à trouver de la place pour accoucher en Île-de-France cet été. Une cellule de crise a été ouverte à l’Agence régionale de Santé et l’Académie de médecine va faire des propositions au gouvernement.

Y aura-t-il assez de sages-femmes en Île-de-France pour toutes celles qui doivent accoucher en juillet et en août ? Alors que la crise des urgences monopolise l’agenda médiatique , la question hante de nombreuses équipes hospitalières de cette Région qui concentre un quart des 738 000 naissances annuelles du pays. «  Nos plannings de garde pour juillet-août ressemblent à du gruyère  », se désespère un chef de service d’obstétrique en banlieue parisienne, signataire d’une tribune de professionnels de la périnatalité parue dans Le Monde .

Une cellule de crise a été ouverte à l’ARS
Partout, gynécologues et sages-femmes font défection, à commencer par les jeunes diplômés, plus nombreux cette année à bouder l’hôpital dès la fin de leurs études. Et, pour la première fois, une maternité, celle de Meulan-en-Yvelines, va fermer pendant trois semaines début août. «  Les consultations resteront ouvertes mais pas la salle d’accouchement, nous avons envoyé les futures mères vers ­Mantes-la-Jolie  », explique Joseph Bakar, à la tête des services d’obstétrique des deux établissements. Le médecin a pris cette décision «  la mort dans l’âme  », «  pour la sécurité des patientes  » et pour dire aux sages-femmes de Meulan qu’elles ont «  le droit de prendre des vacances  ».

Les urgences vitales seront toujours prises en charge, mais certaines vont accoucher dans le camion des pompiers

​Selon plusieurs sources sanitaires, de nombreuses femmes, non encore inscrites à la maternité, pourraient avoir des difficultés à trouver des places pour accoucher pendant l’été. Certains établissements, saturés, pourraient devoir procéder à des «  délestages  », c’est-à-dire envoyer les patientes vers des maternités voisines disposant de lits vacants. «  Les urgences vitales seront toujours prises en charge, mais certaines vont accoucher dans le camion des pompiers  », craint un de ces cadres sanitaires.

Sollicitée par le JDD, Amélie Verdier, directrice générale de l’agence régionale de santé (ARS) francilienne, appelle à ne pas céder à la panique : «  Il y a une inquiétude très forte pour juillet-août, plus forte que les années précédentes, et notamment dans le département de la ­Seine-Saint-Denis. Mais je ne confirme pas que des centaines de lits pourraient manquer. Nous sommes en train de faire le point avec les hôpitaux, la situation n’est pas statique.  »

Pour éviter que certaines futures mères se retrouvent sans maternité, une cellule de crise a été ouverte à l’ARS. «  Plusieurs actions sont en cours pour éviter les problèmes d’inscription, complète Amélie Verdier. Et nous cherchons des renforts parmi les étudiantes, les retraitées, les salariées des services de PMI [protection maternelle et infantile] et les libérales. Mais nous n’allons pas pouvoir inventer des sages-femmes !  »​​​​​​​​

Partage des tâches et participation des libéraux
Comme les infirmières, les blouses roses, pourtant formées en nombre, fuient en effet les hôpitaux, après avoir alerté durant des années sur la faiblesse de leur rémunération, la précarité des contrats en début de carrière et la pénibilité de leur métier. Aujourd’hui, un tiers préfèrent exercer en libéral, contre 20 % il y a dix ans. À elles la préparation à l’accouchement, les échographies ou le suivi gynécologique, sans nuits blanches ni gardes le week-end. Dans les maternités, par contre, c’est la crise de foi.

Elles n’ont plus le temps d’être à l’écoute de patientes et ont peur, à force d’aller vite, de les mettre en danger

«  Les couteaux suisses de l’obstétrique, qui savent tout faire, ne trouvent plus guère de sens à leur mission première, l’accouchement, car les cadences sont devenues infernales dans les grosses maternités, résume Yves Ville, chef de service de la maternité de l’hôpital Necker-Enfants malades. La suppression, légitime, de petites maternités n’a pas été suivie d’un accroissement suffisant du personnel dans les grosses. Du coup, elles n’ont plus le temps d’être à l’écoute de patientes et ont peur, à force d’aller vite, de les mettre en danger.  » Dans les Yvelines, le Dr Bakar fait le même constat : «  Si on continue à les surcharger, celles qui restent partiront.  »​​​​​​​​​​​​

Résignés à un été à flux tendu, certains professionnels assurent que des solutions existent. Avec l’Académie de médecine, où il siège, Yves Ville fera prochainement des propositions pour nourrir un prochain plan ambitieux de périnatalité. Son confrère Jean-Marc Ayoubi, qui dirige la maternité de l’hôpital Foch à Suresnes (Hauts-de-Seine), veut croire que septembre sera l’occasion «  de sauver enfin l’un des meilleurs systèmes de santé au monde  ». Il ose réclamer tout haut une mesure que beaucoup espèrent tout bas : le partage des tâches, c’est-à-dire la participation des libéraux aux gardes hospitalières. «  Si chaque médecin du pays en faisait une par mois aux urgences, la crise serait vite résolue. Dans les maternités, c’est pareil. Toutes les sages-femmes et tous les obstétriciens devraient donner un coup de main.  »​