Maternités et Hopitaux publics

Liberation.fr : Les hôpitaux en fusion

Juillet 2016, par infosecusanté

Les hôpitaux en fusion

C’est un bouleversement comme rarement le monde hospitalier en a connu. Ce 1er juillet, les 1 100 hôpitaux français vont voir leur nombre se réduire comme peau de chagrin et se ramasser en un peu moins de 200 groupements hospitaliers de territoires (GHT). Première étape de la profonde restructuration du tissu hospitalier en France, tissu qui se caractérisait jusqu’à présent par une multiplicité d’établissements et souvent par une déperdition des moyens.

Inscrit dans la loi de santé, votée non sans mal en début d’année, ce « big-bang » était attendu. Bien sûr, il ne faut pas tout à fait croire les autorités quand elles disent que c’est seulement pour mieux coordonner les parcours de soins que cette réforme a été lancée, c’est évidemment aussi pour des raisons budgétaires, en évitant par exemple le maintien de services spécialisés dans des établissements avec une faible activité. Il n’empêche, voilà une réforme de bon sens, dont on parle et que l’on repousse depuis plus de vingt ans. « Faire travailler les hôpitaux en réseaux, et surtout bien coordonner les activités des uns et des autres, entre les gros hôpitaux généraux et les petits hôpitaux locaux, c’est une nécessité », explique un ancien directeur des hôpitaux. Et cela au plus près des besoins. Tout l’enjeu est que ces regroupements se fassent au plus près du terrain, et ne soient pas décidés d’en haut, ou bien pour d’autres raisons, qu’elles soient corporatistes ou politiques. « Les GHT, c’est un outil intelligent de restructuration des hôpitaux », souligne Claude Leichner qui préside le syndicat de médecins généralistes, MG France.

le meilleur côtoie le plus bureaucratique

L’idée est donc que chaque territoire ait un ensemble de structures de soins coordonnées, avec un hôpital important, voire de pointe, et, autour, des établissements qui permettent de répondre aux différents niveaux de prise en charge. Sur le papier, c’est parfait. A quoi bon en effet multiplier des services de neurologie, par exemple, quand il manque dans une région des services de gériatrie ? Pour autant, loin des bureaux, comment mettre en musique ces GHT ? Quels types de regroupements privilégier ? Trois exemples montrent que rien n’est joué. Et que le meilleur côtoie le plus bureaucratique.

Commençons par Valenciennes, où le GHT qui se construit naît sous de très bons auspices. C’est pourtant une région où les questions de santé publiques sont lourdes, avec plusieurs hôpitaux de diverses tailles et des difficultés de recrutement. Comment mieux les coordonner ? Comment faire travailler ainsi les trois maternités ensemble, mais aussi les trois hôpitaux importants, celui de Valenciennes, de Maubeuge et de Denain, avec trois autres établissements plus petits, comme celui de Fourmies ?

En tout, douze établissements ont accepté de participer à ce GHT pour une population de 750 000 habitants. « Ce qui est essentiel, c’est d’écouter tout le monde, de faire en sorte que les petits établissements aient non seulement leur place, mais un vrai rôle », explique Philippe Jahan, directeur de l’hôpital de Valenciennes qui s’est fortement investi dans cette aventure. « Cela fait deux ans que nous travaillons sur un projet médical », précise-t-il. « Il s’est agi de définir un parcours de soins sur l’ensemble du territoire », poursuit Isabelle Girard-Buttaz qui préside la commission médicale d’établissement de Valenciennes (CME). « Ce regroupement va permettre de renforcer les services des petits établissements de santé du territoire qui ont du mal à recruter, pointe Philippe Jahan. Comme cela est déjà fait pour les urgences à Denain soutenues par celles de Valenciennes, ou à la maternité de Fourmies qui travaillera davantage avec celle de Maubeuge. »

Derrière ces propos optimistes, on pressent combien cette construction est liée aussi à la personnalité des acteurs locaux. En même temps, la semaine dernière, des salariés de l’hôpital de Maubeuge ont manifesté « pour protester contre la suppression de lits et de postes à la maternité ».

Autre exemple, celui-là moins prometteur, car montrant des choix un brin absurde de regroupement. Cela se passe dans le Cantal. Depuis plusieurs années, l’hôpital de Brioude travaille en réseaux, avec des coopérations et des consultations avancées avec l’hôpital d’Issoire et le CHU de Clermont-Ferrand. Et cela marche. Brutalement, voilà que Brioude est sommé de changer de filière pour participer à un GHT avec le centre hospitalier du Puy-en-Velay qui, lui, adresse les patients au CHU de Saint-Etienne. « C’est absurde. Pour les patients, ce n’est pas sans conséquence : le temps de transport pour aller vers le CHU ne sera plus d’une heure [Clermont-Ferrand], mais de deux heures [Saint-Etienne] ! » raconte Stéphane du Collectif interassociatif des usagers de la santé (Ciss). Pour l’histoire, on marche à l’envers car dans cette partie du Cantal les flux de populations sont clairement - et depuis toujours - dans le sens Brioude-Issoire-Clermont-Ferrand d’un côté, et Le Puy-en-Velay-Saint-Etienne de l’autre. « Pourquoi ce découpage, s’interroge Stéphane du Ciss. C’est un mystère. On devine des pressions politiques, loin de critères de cohérence sanitaire, mais on n’en sait rien, et c’est ce qui est le plus grave. »

La psychiatrie de proximité menacée ?

La psychiatrie, c’est le point noir. Que faire des gros hôpitaux psychiatriques ? Faut-il qu’ils s’intègrent à des GHT de médecine classique ? Souvent en effet, les malades mentaux sont moins bien pris en charge pour des maladies somatiques. Mais c’est aussi un vieux débat, la psychiatrie publique ayant toujours peur d’être dévorée par la médecine classique. La loi de santé avait tranché : elle prévoyait que les hôpitaux psychiatriques s’intègrent à des GHT généralistes, mais certaines dérogations étaient possibles.

Depuis quelques semaines, la tension est montée fortement. Près de 50 hôpitaux psychiatriques sur 90 ont demandé au départ des dérogations. Des débrayages ont eu lieu à l’hôpital Ville-Evrard près de Paris. Trois syndicats de psychiatres ont appelé à une journée d’action lundi dernier. « La psychiatrie de proximité avec ses articulations et ses réseaux est menacée », ont expliqué ces organisations.

Ne voulant pas ouvrir un nouveau front, le ministère de la Santé a donné aux agences régionales de santé des consignes de souplesse. Des dérogations ont été obtenues, et pour l’heure, une dizaine d’établissements psychiatriques vont pouvoir en bénéficier. La création de quatre GHT uniquement dédiés à la psychiatrie se profile.

N’empêche ces hauts et ces bas, les GHT naissent officiellement. Et la réforme est lancée. Il faudra attendre un an, avant que chaque GHT ait conçu son projet médical partagé, avec la répartition des tâches pour chaque lieu. « Une loi peut être excellente sur le papier, mais le risque, c’est qu’elle peut être noyée dans la bureaucratie », lâche, prudent, Claude Leichner. « Dans le choix de ces regroupements, les usagers n’ont guère été consultés », regrette Stéphane du Ciss. « Il y a certes, depuis peu, un comité national de suivi, censé se réunir tous les mois. Nous, membre du collectif, nous y sommes. Mais aux deux dernières réunions, ils ont juste… oublié de nous donner la parole. »
Eric Favereau