Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Crise sanitaire : Macron en fauteur de troubles

Avril 2020, par Info santé sécu social

15 AVRIL 2020 PAR ELLEN SALVI

L’allocution d’Emmanuel Macron a été suivie de cafouillages à tous les étages. Des ministres qui le contredisent, une administration placée devant le fait accompli, des promesses dont on peine à comprendre comment elles seront tenues… En cherchant à redorer son image, le chef de l’État entretient la confusion.

Lundi soir, Emmanuel Macron s’est prêté à son exercice favori : lancer des promesses depuis l’Élysée, sans questions de journaliste derrière, sans possibilité de rebond, sans détails auxquels s’accrocher pour comprendre de quoi il retourne exactement. Après un mois de confinement, il a ouvert de nombreuses portes pour y mettre un terme, en sommant son gouvernement de présenter « d’ici 15 jours » un plan suffisamment solide pour qu’elles ne se referment pas d’un simple coup de vent.

Ses annonces, et notamment celle d’une « réouverture progressive » des écoles à partir du 11 mai, ont pris tout le monde de court : les enseignants, les organisations syndicales, les collectivités locales, et même son propre ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, qui avait déjà été informé très tardivement de leur fermeture, et qui s’est de nouveau illustré dans un numéro de contorsionniste en expliquant, mardi matin, qu’« il y [aurait] des aménagements ».

Logiquement, l’opposition a profité des questions au gouvernement de mardi, à l’Assemblée nationale, pour interroger le premier ministre sur la façon dont il comptait s’y prendre pour mettre en œuvre les « principes » édictés par le chef de l’État. « Je comprends l’impatience de l’ensemble de nos concitoyens […] mais le gouvernement doit étudier dans le détail, avec l’ensemble des acteurs concernés, la meilleure façon d’organiser une logistique complexe permettant de protéger nos concitoyens tout en garantissant leur sécurité sanitaire », a fait valoir Édouard Philippe.

Assurant qu’il présenterait son plan « largement avant le 11 mai », il a toutefois insisté sur le fait que celui-ci nécessitait un lourd « travail de préparation », qui a certes été engagé, mais n’est clairement pas abouti à ce jour. Interrogé sur la « réouverture progressive » des établissements scolaires, il a également reconnu que le plus dur restait à faire. « Je sais que certains commentateurs imaginent parfois que tout devrait être arrêté, comme si cela sortait, sinon de la cuisse…, a-t-il ajouté, laissant en suspens le surnom « Jupiter » que s’était lui-même donné Emmanuel Macron. Comme si cela sortait, du moins, tout armé de sa tête. » Or, à l’évidence, la réalité est elle aussi bien plus « complexe » que les promesses présidentielles.

Mardi, les réunions interministérielles se sont donc succédé à un rythme effréné afin de répondre à tous les points évoqués depuis l’Élysée la veille, à commencer par ceux qui devaient être appliqués « sans délai » : le versement d’une aide exceptionnelle aux foyers les plus modestes et aux étudiants les plus précaires ; l’organisation des visites de famille dans les hôpitaux et les Ehpad ; la mobilisation économique des assureurs… Un projet de loi de finances rectificative a également été adopté lors du conseil des ministres de mercredi, avant d’être soumis à un examen parlementaire dans la foulée.

Beaucoup de questions, et non des moindres, restent à ce jour sans réponse. Elles concernent évidemment les masques et les tests, qui continuent de manquer cruellement. Elles touchent également un autre outil, jugé indispensable par le conseil scientifique, pour envisager un déconfinement : les « lieux d’isolement ». « Les personnes ayant le virus pourront ainsi être mises en quarantaine, prises en charge et suivies par un médecin », a indiqué le président de la République lundi soir, sans entrer, là encore, dans le détail.

Dans un courrier adressé le 6 avril au premier ministre, la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, se proposait de « faciliter la mobilisation de sites dédiés et d’hôtels » pour héberger les Parisiens touchés par le virus, et qui, sans avoir besoin d’être hospitalisés, « ne peuvent être confinés chez eux dans des conditions satisfaisantes pour protéger leur entourage d’une contamination ». Dans certains départements, comme les Pyrénées-Orientales, des hôtels ont déjà été réquisitionnés par la préfecture pour accueillir les malades.

Pour le moment, le dispositif n’a pas été généralisé. Depuis lundi soir, il est venu allonger la longue liste des questions auxquelles la cellule interministérielle de crise, dont l’« instabilité totale » inquiète jusque dans l’appareil d’État, va devoir apporter des réponses sous quinze jours. « Ces questions sont parfaitement légitimes, a indiqué le ministre de la santé et des solidarités Olivier Véran, à l’issue du conseil des ministres. Si nous ne vous répondons pas aujourd’hui, c’est parce que nous sommes en train d’y travailler, d’arrache-pied. […] Laissez-nous le temps de planifier, de programmer, d’organiser pour avoir quelque chose de structuré et de définitif. »

« Expliquer à une entreprise […] qu’elle doit multiplier par deux ou par trois ses capacités de production, ça ne se fait pas en un instant, ça ne se fait pas en claquant des doigts, a souligné un peu plus tard Édouard Philippe devant le Sénat, au sujet de la fabrication des masques. Il faut investir dans des machines, il faut sécuriser des circuits de distribution, il faut acheter la matière première, il faut former les femmes et des hommes… Bref, cela prend du temps. » Ce temps a été resserré par le président de la République en l’espace d’une allocution. « Pour l’interministériel, cette façon de faire est horrible », souffle un conseiller.

Cette façon de faire est pourtant celle qu’a choisie le chef de l’État depuis le début de son quinquennat. Il décide de tout, tout seul, en informant les principaux concernés à la dernière minute pour mieux préserver l’effet de surprise. Parce que c’est lui le patron. Mais surtout, parce qu’il a encore besoin de le faire savoir. « Je suis votre chef », assène-t-il depuis son élection. À l’exception du premier ministre, d’Olivier Véran et de quelques autres qui avaient reçu le discours dans l’après-midi, la plupart des membres du gouvernement ont été informés de ses annonces un quart d’heure seulement avant sa prise de parole.

Les soutiens d’Emmanuel Macron arguent qu’il s’agit là d’une « mise sous tension » indispensable des services administratifs, dont on ne cesse, au plus haut niveau de l’État, de regretter la lenteur. Les ministres ne savent pas comment répondre à telle ou telle injonction du président de la République ? « Ben, il faut qu’ils s’y mettent », balaie l’un de ses proches. Et tant pis si certains, y compris au sein du gouvernement, étaient contre l’idée d’annoncer une date. Tant pis aussi si le conseil scientifique, dont le dernier avis n’a d’ailleurs toujours pas été publié, était divisé sur la question de la réouverture des écoles.

Cette fois-ci, le chef de l’État, à qui l’on a reproché de suivre l’avis des « sachants » au détriment des décisions politiques, a souhaité reprendre la main tout seul. « Il a enfin compris qu’il ne pouvait pas être leur marionnette ! », se félicite un habitué de l’Élysée, dans les colonnes du Parisien, ravi de la visite surprise à Didier Raoult, le 9 avril. « C’est un grand scientifique, et je suis passionné par ce qu’il dit et ce qu’il explique », a d’ailleurs affirmé le président de la République sur RFI, bien conscient de l’engouement que suscite le professeur marseillais.

« On gère l’image, mais pas la crise »
Comme il l’avait fait en pleine crise des « gilets jaunes » ou après l’incendie de Notre-Dame de Paris, Emmanuel Macron a lâché ses décisions pour satisfaire l’opinion publique, sans s’être assuré au préalable que la logistique suivait. « Le salaire d’un salarié au Smic augmentera au total de 100 euros par mois » ; « Nous reconstruirons Notre-Dame en cinq ans » ; « À partir du 11 mai, nous rouvrirons progressivement les crèches, les écoles, les collèges et les lycées »… Vous voulez une licorne ? Aucun problème. On doit sans doute pouvoir croiser un cheval et un cornet de glace.

Les soutiens du chef de l’État applaudissent. Le gouvernement et les services administratifs font avec. « C’est toujours la même philosophie : il impulse, fixe un cap, et nous, on exécute derrière », indique un conseiller. Toutes les tares de la Ve République et de son ultra-présidentialisme s’exacerbent sous nos yeux : le Parlement n’est pas consulté en amont des décisions, les collectivités locales sont à peine écoutées, les ministres sont mis dans la confidence à la dernière minute et le premier d’entre eux est réduit au rôle de directeur de cabinet.

Parce qu’elle ajoute de la confusion à la confusion, cette méthode est aussi contre-productive. Dès le lendemain de l’allocution présidentielle, plusieurs membres du gouvernement ont tenté d’assurer le service après-vente, en expliquant que la date du 11 mai était « un objectif, pas une certitude » (Christophe Castaner), que l’école ne serait pas « obligatoire » (Jean-Michel Blanquer) et qu’il était impossible d’annoncer pour le moment quelque chose « de définitif » sur ce point (Édouard Philippe).

Toute la journée, les ministres ont semblé contredire Emmanuel Macron, entraînant ainsi une cacophonie à tous les étages, laquelle est venue s’ajouter à une gestion de crise déjà incompréhensible. « On multiplie les instances, les conseils, les comités qui font de leur mieux, mais il n’y a pas le souci des détails, ils n’ont pas de rôle opérationnel. Quand Clemenceau visitait le front au péril de sa vie, ce n’était pas seulement pour soutenir le moral des troupes. C’était aussi pour vérifier que l’intendance suivait », notait récemment l’ancien directeur général de la santé William Dab dans Le Monde.

Le sociologue Didier Torny, qui a travaillé depuis 2004 sur la prise en charge des maladies émergentes et la gestion des pandémies, l’expliquait dans cet entretien accordé à Mediapart, début avril : « On peut critiquer des mesures trop limitées ou trop tardives, mais plus fondamentalement ce sont les conséquences de telle ou telle mesure prise après le 14 mars qui n’ont pas été anticipées, faute précisément de préparation, disait-il. On ferme les écoles mais on n’a pas réfléchi en amont sur ce que seront les conséquences, pour qui, comment, pourquoi. » La même problématique se pose dans la perspective de leur réouverture.

Certes, les proches d’Emmanuel Macron, et dans leur sillage bon nombre de commentateurs, rappellent que son expression du 13 avril était soumise à des conditions, comme en témoignent au moins deux extraits : « Le lundi 11 mai ne sera possible que si… », « les règles pourront être adaptées en fonction de nos résultats »… Mais qu’a retenu le grand public de ces annonces ? La date du 11 mai, martelée 12 fois. Et la fameuse « réouverture progressive » des établissements scolaires dont on peine toujours à comprendre comment elle peut être possible.

Au sein de l’exécutif, trois arguments sont avancés pour défendre cette méthode contestable. D’abord, on rappelle qu’en France, c’est au président de la République de trancher et à lui seul. Ensuite, on répète que cette communication, ou plutôt cette absence de communication, est nécessaire pour éviter les fuites dans la presse. Enfin, on souligne que l’administration aura toujours de bonnes raisons pour expliquer que telle ou telle mesure est impossible à mettre en œuvre et qu’il faut donc que le pouvoir politique la place devant le fait accompli.

Même dans les rangs de l’opposition dite « constructive », ces arguments sont loin de convaincre tout le monde. Si chacun préfère parler sous couvert d’anonymat pour éviter d’alimenter « des polémiques », les mots sont sans appel. « Il a voulu faire le malin, estime un député issu de la droite. Tout ça donne le sentiment qu’on gère l’image, mais pas la crise. » « Il a fait un show personnel pour cocher toutes les cases, pour que les gens soient d’accord avec lui, ajoute un autre. Sur la forme, c’était sa meilleure intervention, mais sur le fond, c’est irresponsable. »

Que se passera-t-il, dans quinze jours, si l’on se rend compte que les promesses présidentielles sont intenables ? Quand il s’agit de reconstruire Notre-Dame de Paris, les enjeux ne sont pas si graves. Mais en pleine crise sanitaire, prendre de tels risques dans l’espoir d’un gain politique peut en effet s’avérer irresponsable. Le président de la République pourra toujours rappeler qu’il avait soumis ses annonces à des prérequis, et regretter que le gouvernement et l’administration n’aient pas su les mettre en œuvre.

Il pourra de nouveau pointer, comme il l’a fait lundi soir, les « failles » et les « insuffisances » des autres. Expliquer qu’il a vu lui aussi « des ratés, encore trop de lenteur, de procédures inutiles, des faiblesses aussi de notre logistique ». Et que « nous en tirerons toutes les conséquences en temps voulu ». Son plus ou moins proche entourage continuera de bavarder dans la presse au sujet d’un gouvernement de « concorde » réunissant des personnalités de tous bords, une fois la crise passée. De Nathalie Kosciusko-Morizet à Manuel Valls, tous les noms seront cités. Pour mieux cacher que le problème se trouve d’abord à l’Élysée.