Maternités et Hopitaux publics

Médiapart - Le CHU de Rouen dans le collimateur de l’inspection du travail

Mai 2021, par Info santé sécu social

19 MAI 2021 PAR MANUEL SANSON (LE POULPE)

Le service de l’État s’alarme de la situation au sein de deux services de l’hôpital public. Surcharge de travail, risques psychosociaux, conflit de valeurs ou encore course à la rentabilité... Le « nouveau monde » tarde à émerger dans le domaine de la santé publique.

Le vaisseau amiral de la santé publique en Seine-Maritime est dans le viseur du service de l’inspection du travail. La direction du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen a été mis en demeure, à deux reprises, de prendre les mesures nécessaires pour pallier des dysfonctionnements observés au sein du nouveau bâtiment Robec, dédié à la chirurgie et au service de pneumologie.

Sollicitée pour s’exprimer sur le sujet, la direction du CHU n’a pas souhaité faire de commentaires. Le Poulpe avait déjà consacré une longue enquête aux coulisses de l’établissement et à ses difficultés structurelles. Et les nouvelles informations entrées en notre possession démontrent que la situation reste tendue au sein de l’établissement.

À propos du bâtiment Robec, l’inspection du travail demande aujourd’hui à la direction « de prendre toutes les mesures correctives urgentes pour rétablir des conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des travailleurs au sein de ce service ».

Inauguré à l’automne 2020, ce nouveau bâtiment regroupe sur un même lieu des blocs opératoires, éclatés sur différents sites auparavant. Il suscite de vives critiques de la part des agents qui se sont déjà mis en grève pour dénoncer leurs conditions de travail. Le projet global a nécessité un investissement de 52 millions d’euros.

« Il est ressorti des échanges entre votre direction, la délégation du personnel et la délégation syndicale le constat d’une forte dégradation des conditions de travail des agents au sein du bloc opératoire du bâtiment Robec, du bloc de cardiologie du bâtiment Derocque et ce depuis le déménagement en octobre 2020 des blocs opératoires situés sur Dévé 2 vers le bâtiment Robec », indique la fonctionnaire de l’inspection du travail compétente pour le CHU dans son courrier de mise en demeure daté du 8 février 2021.

Selon elle, cette dégradation aurait pour origine, entre autres, « l’absence ou l’insuffisance de formation, la perte de nombreux ETP (équivalents temps plein) lors de la réorganisation, un sous-effectif qui se traduit par un suremploi et une surcharge de travail ou encore un nombre trop important d’astreintes pour certains agents qui sont de ce fait en situation d’épuisement ».

La mise en demeure pointe également « une réorganisation qui augmente l’amplitude de travail des agents sans réelle compensation, réorganisation qui accentue aussi le risque d’épuisement pour les agents et de risques graves pour leur santé, leur sécurité et celle des patients ».

Selon le même document, certains agents effectuent des semaines de 70 heures « en contradiction avec les obligations réglementaires visant à protéger la santé et la sécurité des agents ». L’inspectrice du travail relève également « l’impossibilité des pauses et repos réglementaires ».

« Certains agents ont le sentiment que la structure est devenue dangereuse pour les patients et les agents »
Une fois ce constat dressé, le courrier de mise en demeure fait état des conséquences de ce marasme en interne. « Certains agents ont le sentiment que la structure est devenue dangereuse pour les patients et les agents », est-il écrit.

« Départ de certains agents, des difficultés de recrutement en raison du défaut d’attractivité du CHU, des agents démotivés et désabusés, la crainte de mettre en danger des patients, le sentiment pour certains agents d’être exclus du processus de décisions », liste encore la fonctionnaire.

Si l’inspection du travail note « la volonté de la direction d’améliorer la sécurisation des conditions de travail et de prise en charge », ces mesures restent, selon elle, « insuffisantes à rétablir la situation, compte tenu des constats et faits signalés par vos agents ».

Une pierre dans le jardin de la direction de l’établissement de santé. Et ce n’est pas la seule. Le média 76actu avait en effet révélé que l’inspection du travail avait aussi dressé une autre mise en demeure officielle. Cette fois à propos de la situation du service pneumologie du CHU qui, de source syndicale, emploie une centaine d’agents.

Selon nos informations, cette seconde mise en demeure date du 25 février 2021. « Elle porte sur les risques psychosociaux au sein du service », confie au Poulpe une syndicaliste CGT du CHU. « À la suite du regroupement des sites de Bois-Guillaume et Rouen en un seul pôle, la charge de travail a augmenté alors que dans le même temps, on a constaté une baisse des effectifs », déplore notre interlocutrice.

Et d’évoquer également « un conflit de valeurs ». « On demande aux soignants de faire de la rentabilité au détriment de la qualité des soins », explique la syndicaliste qui pointe également « un management pas toujours bienveillant ». Selon nos informations, la mise en demeure fait suite à une mission d’expertise menée par le cabinet extérieur Émergences et plusieurs comités hygiène sécurité et conditions de travail (CHSCT) dédiés à la problématique au sein du service pneumologie.

« Les premières alertes ont été lancées à la fin 2019 et début 2020. Longtemps, la direction du CHU a été dans le déni. Il a fallu la mise en demeure officielle de l’inspection du travail pour que les choses commencent à bouger », rapporte notre contact CGT. Interrogée par Le Poulpe, une autre source syndicale confirme l’existence de cette seconde mise en demeure.

« De manière générale, le CHU est dans un système permanent de réorganisations qui déstabilisent des systèmes qui sont déjà fragiles, notamment en demandant toujours plus de polyvalence aux agents mais sans les former », décrypte notre interlocuteur. « Ces réorganisations ne sont pas concertées avec les personnels sur le terrain. Ça part du haut vers le bas », déplore le syndicaliste.
« Sur le service pneumologie, le projet de réorganisation devrait, enfin, être revu en partant du point des vue des soignants de terrain », annonce notre source évoquant également « un renforcement des effectifs à venir ». « C’est plus compliqué pour le Robec », glisse-t-il.