Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Quatrième dose de vaccin anti-Covid, immunodéprimés : le flou des recommandations

Septembre 2022, par Info santé sécu social

La huitième vague se profile, de nouveaux vaccins viennent d’être autorisés, mais sans précision sur la date de mise à disposition. Pour de nombreux experts, ceux appelés à recevoir une nouvelle dose de rappel ne doivent pas attendre. Les malades immunodéprimés témoignent, eux, de difficultés d’accès aux rappels et aux traitements.

Caroline Coq-Chodorge
22 septembre 2022

Sur le front du Covid, au moins, l’automne 2022 débute dans une certaine insouciance. Hélas, elle masque mal le plus grand flou. Pour le président américain Joe Biden, certes, il y a « encore un problème avec le Covid », mais la pandémie serait bien « terminée », a-t-il affirmé dimanche 18 septembre : « Regardez autour de vous, personne ne porte de masque, et tout le monde a l’air en plutôt bonne forme. » C’est compter sans, hélas, les 400 morts journaliers du Covid aux États-Unis. Mercredi, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a quant à lui estimé que le monde n’a « jamais été dans une meilleure position pour mettre fin à la pandémie », car le nombre de décès hebdomadaires est au plus bas.

La huitième vague
Pourtant, une nouvelle vague se forme déjà en France, comme dans d’autres pays d’Europe : le nombre de cas positifs a augmenté de 23 % sur sept jours, l’incidence approche désormais les 300 cas pour 100 000 habitants, très loin cependant du pic d’Omicron atteint mi-janvier, de près de 3 000 cas pour 100 000 habitants.

200 à 300 malades graves sont admis chaque semaine en réanimation avec un Covid, 150 à 250 décèdent. Mais grâce à la protection accordée par les vaccins contre les formes graves, et à la moindre sévérité d’Omicron, la crainte que le système de santé soit submergé dans l’hiver a disparu. « À l’heure actuelle, les Covid graves ont presque disparu des hôpitaux, indique la professeure Odile Launay, cheffe du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Cochin à Paris. La très grande majorité de la population est protégée des formes graves grâce à l’immunité acquise par la vaccination et les infections. La plupart des malades sont aujourd’hui immunodéprimés, ou sont peu ou mal vaccinés. Mais on sait que les personnes fragiles hospitalisées seront plus nombreuses dans quelques semaines. On craint de voir revenir à l’hôpital les personnes dont la vaccination est ancienne. »

Une immunité qui s’étiole au fil des mois
Depuis la fin de l’état d’urgence sanitaire, le 31 juillet, les Français boudent le vaccin. Seuls 30 % des 65 ans et plus, et 35 % des 75 ans et plus ont reçu une deuxième dose de rappel.

La Haute Autorité de santé invite pourtant depuis le mois de juillet à un deuxième rappel toutes les personnes de plus de 60 ans, ainsi que les plus jeunes, enfants et adolescents compris, s’ils sont fragiles face au virus, de même que leur entourage, dont les professionnel·les de santé et des établissements de santé, dans une stratégie de « cocooning ». La dose de rappel doit être administrée au plus tôt trois mois après une infection ou une vaccination, pour les personnes jugées les plus fragiles, six mois pour les autres.

De nombreuses études, françaises comme internationales, montrent en effet que l’immunité s’étiole face au virus, surtout contre les formes sévères, un peu moins contre les formes graves, et encore plus vite après une infection qu’après une vaccination.

Santé publique France a d’ailleurs confirmé, le 15 septembre, l’augmentation des réinfections du Covid : début août, 18 % des cas diagnostiqués étaient des réinfections.

Faut-il attendre les nouveaux vaccins bivalents ?
Début septembre, l’Agence européenne des médicaments a validé trois nouveaux vaccins dits « bivalents », car adaptés à la souche originale du virus, dite « Wuhan », ainsi qu’au variant Omicron : un vaccin Moderna adapté au sous-variant BA.1 et deux vaccins Pfizer adaptés aux sous-variants BA.1 et BA.5.

La Haute Autorité de santé vient d’actualiser sa stratégie en recommandant, mercredi 20 septembre, d’utiliser, comme dose de rappel cet automne, « de préférence, un vaccin à ARN messager bivalent, quels que soient les vaccins utilisés précédemment ». L’avis est cependant difficile car, plus loin, la Haute Autorité rappelle aussi « l’efficacité des vaccins monovalents contre les formes sévères de la maladie », et conseille à tous ceux « qui n’auraient pas reçu leur seconde dose [...] de ne pas différer leur vaccination ».

Le professeur Mathieu Molimard, médecin pharmacologue au CHU de Bordeaux, a étudié les premières données sur ces nouveaux vaccins et livre son analyse : « Moderna a testé son nouveau vaccin sur 400 patients, Pfizer sur près de 2 000. Ils constatent une remontée des taux d’anticorps dans le sang des malades, ce qui est une bonne nouvelle. »

Le message n’est pas très clair. Ces recommandations privilégient les vaccins bivalents mais, à ma connaissance, il n’y a pas de calendrier de mise à disposition.

Mais la question centrale reste celle de leur efficacité, en vie réelle : « S’ils produisent plus d’anticorps, vont-ils pour autant mieux protéger contre les infections et les formes graves ?, s’interroge le pharmacologue. On peut le penser, mais cela n’est pas démontré dans ces études cliniques. On est cependant content d’avoir ces nouveaux outils dans notre arsenal. La question est de savoir de combien de doses nous disposerons, dans quels délais, et à qui les administrer en priorité. »

Concernant la sécurité des vaccins, le professeur Molimard est rassurant : « On ne s’attend pas à constater de nouveaux effets indésirables, et même plutôt moins, car Moderna a moins dosé son vaccin bivalent. Le laboratoire a sans doute pris en compte les myocardites provoquées par son vaccin original, sans doute liées à un surdosage. » La Haute Autorité de santé explique de son côté que ces vaccins ne sont pas nouveaux, mais « adaptés aux souches circulantes », à l’image des vaccins contre la grippe actualisés chaque année. Les études expérimentales peuvent donc être « plus limitées que lors d’une évaluation initiale ».

Le flou de l’avis de la Haute Autorité de santé interroge cependant : « Le message n’est pas très clair, pour l’infectiologue Odile Launay. Ces recommandations privilégient les vaccins bivalents mais, à ma connaissance, il n’y a pas de calendrier de mise à disposition. » En effet, en réponse à nos questions, la direction générale de la santé indique que « plusieurs millions de doses » de vaccins bivalents ont bien été commandés, mais sans indiquer une date de livraison. « La couverture vaccinale est aujourd’hui très faible, poursuit la professeure Launay. Le message devrait être qu’il faut poursuivre la campagne de deuxième rappel, sans attendre ces vaccins bivalents. »

L’immunologue de l’hôpital Mondor à Créteil (Val-de-Marne), Jean-Daniel Lelièvre, membre du comité technique des vaccinations de la HAS, confirme : « D’un point de vue individuel, les personnes appelées à se faire vacciner ne doivent pas attendre, le jeu n’en vaut pas la chandelle. On espère que les nouveaux vaccins protègeront un peu plus longtemps, mais on n’en est pas certain. Et les vaccins originaux restent très efficaces dans la réponse secondaire, celle de l’immunité mémoire qui protège contre les formes graves. »

Mathieu Molimard, professeur de pharmacologie au CHU de Bordeaux, enfonce un peu plus le clou : « J’ai plus de 60 ans et j’ai reçu ma deuxième dose de rappel. Il ne faut pas attendre. Les dernières études montrent que cette quatrième dose de rappel renforce la protection contre l’infection de plus de 30 % contre l’infection, de plus de 60 % contre une forme grave, et de plus de 70 % contre un décès. Ces vaccins restent donc très efficaces. »

Et pourquoi ne pas encourager au rappel l’ensemble de la population, à l’approche de l’hiver ? Le professeur Lelièvre résume ainsi les réflexions au sein de la HAS : « À quel moment on décide de vacciner plus largement ? Il y a deux contextes. Le premier est celui des premières vagues : une population totalement naïve face à un virus, qui fait beaucoup de formes sévères qui peuvent encombrer le système de santé. Le deuxième contexte serait d’avoir un vaccin efficace contre l’infection, pour essayer d’éradiquer, mais on n’en est pas là. Alors on cible les personnes fragiles et leur entourage ainsi que les soignants. »

Les immunodéprimés, toujours aussi mal protégés ?
Une population d’environ 300 000 personnes se sent toujours laissée-pour-compte dans cette épidémie : les personnes immunodéprimées, fragiles face au virus, qui tentent souvent de s’en protéger, mais n’y parviennent pas toujours et voient avec angoisse les gestes barrières abandonnés de plus en plus dans l’espace public.

« Certaines personnes immunodéprimées ne répondent pas du tout à la vaccination, et après trois ou quatre doses sans résultat, ont arrêté les rappels, explique Yvanie Caillé, la porte-parole de l’association de malades du rein Renaloo. D’autres y répondent mal : c’est-à-dire que leur taux d’anticorps reste faible ou baisse très vite. Or, face à Omicron, il faut encore plus d’anticorps pour être protégé. Ces nouveaux vaccins sont donc un espoir, même si, comme d’habitude, les laboratoires ne fournissent aucune donnée sur les immunodéprimés. »

Certains services ont dédié des équipes à la prévention du Covid, quand d’autres expliquent qu’ils n’ont pas les moyens humains de le faire.
Selon les chiffres de l’assurance-maladie, moins de 60 % des personnes transplantées d’un rein ou dialysées ont reçu une première dose de rappel, moins que le reste de la population éligible. L’association met en cause le corps médical : « Certains centres de dialyse font les prescriptions pour les vaccins, mais d’autres pas du tout. Des patients témoignent que leur néphrologue refuse de leur prescrire le deuxième rappel, parce qu’ils pensent qu’un rappel est suffisant. Certains malades ont eu leur dernière dose il y a plus d’un an. Pour nous, ils sont laissés en déshérence. Et certains médecins spécialistes ne respectent pas les recommandations. »

Le professeur Gilles Blancho, à la tête du service de transplantation rénale du CHU de Nantes et de la Société francophone de transplantation (SFT), affirme au contraire que sa spécialité a été « un moteur pour alerter les autorités sur la gravité du Covid pour [leurs] malades, pour exiger un accès prioritaire à la vaccination, et montrer que trois doses étaient le schéma vaccinal minimal pour les transplantés. Avant le vaccin, les dialysés et transplantés mouraient neuf fois plus du Covid que la population générale. Nous suivons aujourd’hui des cohortes de malades, pour étudier l’efficacité de la vaccination et des traitements du Covid ».

Les associations de malades Renaloo et France Rein se sont aussi émues des dernières recommandations de vaccination des deux sociétés savantes des néphrologues, en faveur d’une vaccination tous les six mois, quand le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale la recommande tous les trois mois pour les transplanté·es d’organe.

Le néphrologue Gilles Blancho affirme que ces recommandations s’appuient sur « la littérature scientifique, qui ne montre pas une plus grande efficacité du rappel à trois mois plutôt qu’à six mois. Nous allons cependant les adapter : en recommandant le rappel entre trois et six mois. Il faut aussi prendre en compte la vraie vie : beaucoup de malades ne veulent plus être vaccinés, il faut souvent les convaincre. Leur imposer une vaccination tous les trois mois nous paraît difficile ».

L’association Renaloo a une tout autre perception : « On a mené une enquête auprès de nos membres, on a reçu 2 700 réponses. 4 % seulement sont opposés à la vaccination... »

Pour les malades immunodéprimé·es qui ne réagissent pas à la vaccination, il y a une autre option thérapeutique : l’injection d’un anticorps monoclonal, l’Evusheld d’AstraZeneca. Là encore, l’association de malades Renaloo, par la voix de sa porte-parole Yvanie Caillé, fustige « une très grande inégalité d’accès à ces traitements, entre les malades bien informés et les autres. Il y a une très grande inégalité aussi entre établissements : certains services ont dédié des équipes à la prévention du Covid, quand d’autres expliquent qu’ils n’ont pas les moyens humains de le faire, ou tout simplement qu’ils ne sont pas convaincus de l’utilité ou de l’efficacité du traitement ».

L’administration du médicament Evusheld paraît d’autant plus urgente que ce médicament démontre une bonne efficacité en vie réelle d’environ 90 % contre les hospitalisations, selon les données d’une étude israélienne.

Pour le professeur Blancho, il n’y a au contraire « pas matière à polémique : l’Evusheld se délivre selon une autorisation temporaire d’utilisation. C’est très lourd : pour chaque patient traité, c’est 45 minutes de travail administratif, pour des équipes qui sont déjà en grande difficulté. Mais on assume cette surcharge de travail liée au Covid, en plus des transplantations. Les gens donnent de leur temps ».

Le conflit entre patient·es et médecins prend sans doute racine dans la perception du risque du Covid. Le néphrologue estime que « le Covid chez nous n’a plus rien à voir avec les premiers temps de l’épidémie. On voit surtout des malades du rein vaccinés, ou sous Evusheld, qui n’ont qu’un rhume ou des courbatures ». Pour Yvanie Caillé, les médecins néphrologues laissent penser qu’il n’y a « plus de morts du Covid, ce qui est faux ».

Caroline Coq-Chodorge