Le social et médico social

Alternative économique - La grosse déprime des travailleurs sociaux

Mai 2022, par Info santé sécu social

LE 10 MAI 2022

Mal payés, peu reconnus, les travailleurs sociaux voient année après année leurs conditions d’exercice se détériorer. Une crise que la conférence des métiers du médico-social, orchestrée par le gouvernement, peine à enrayer.

Par Clément Pouré

Norbert n’aime pas cette comparaison, mais il le confie lui-même : son travail ressemble parfois à celui d’« un flic ». « Les travailleurs sociaux sont en première ligne face à la précarité. On est une soupape, une sorte de digue qui évite l’explosion sociale. » Cette précarité croissante rend son métier plus complexe.

Educateur depuis vingt-deux ans, il travaille dans le médico-social au sein d’une structure associative financée directement par l’Agence régionale de santé (ARS). « Au début de ma carrière, on arrivait à identifier certaines franges de la population particulièrement fragiles. Aujourd’hui, cette précarité s’est généralisée. »

L’explosion de la pauvreté, accentuée par la pandémie, amplifie la pression que subissent les travailleurs du social. Le nombre de personnes pauvres en France, selon le Haut Conseil du travail social (HTCS, qui dépend du ministère de la Santé), aurait augmenté de 500 000 en dix ans.

Norbert accompagne au quotidien des familles dont les enfants présentent des déficits sensoriels, moteurs ou mentaux. « Depuis que je suis dans ce métier, les conditions de travail ont empiré. On nous demande constamment de faire plus, avec les mêmes moyens, voire moins pour certains projets, alors que les institutions avec qui on travaille sont aussi surchargées. »

Un secteur divers

Comme Norbert, de plus en plus de travailleurs sociaux expriment leur ras-le-bol face à un métier peu rémunéré. Début février, mais aussi en novembre et en décembre 2021, d’importants mouvements de grève ont aussi largement mobilisé un secteur qui recouvre dans les faits des réalités diverses.

En 2018, une étude de Drees dénombrait 520 000 intervenants à domicile, 400 000 assistants maternels, gardes à domicile ou assistants familiaux, 250 000 professionnels socio-éducatifs, 60 000 aides médico-psychologiques, ainsi que 90 000 autres professions de l’action sociale exerçant en France métropolitaine.

« Le terme travail social ne désigne pas un métier mais un ensemble d’activités, comme le terme juriste renvoie aux personnes qui font du droit », précise Raymond Taube, fondateur de l’Institut de droit pratique (IDP) et auteur de Travailleurs sociaux : à quand une vraie reconnaissance ? (Le Cherche-Midi, 2022). « Cette définition peut englober jusqu’aux bénévoles d’une association et, selon les estimations les plus larges, regroupe 5 millions de personnes en France. »

Le livre vert du travail social 2022, signé par le HCTS, donne un aperçu plus précis du travail social. Dans ce secteur à 90 % féminin – le chiffre grimpe à 96 % dans certains métiers du social comme celui de l’aide à domicile –, 43 % des salariés seraient aujourd’hui en temps partiel, soit plus de deux fois plus que la moyenne nationale. Parmi les employés du secteur, 16 % seraient en situation de sous-emploi, contre 5 % sur l’ensemble de la population.

Les salaires, eux, varient largement selon les professions : alors que la médiane pour les éducateurs spécialisés et les autres professionnels de l’action sociale (assistant de service social, conseiller familial, mandataire judiciaire à la protection sociale) gravite autour de 1 800 euros brut par mois selon le même livre vert, elle chute à 1 290 euros par mois pour les 558 000 aides à domicile et aides ménagères en France. « Les salaires n’ont pas changé depuis vingt ans », pointe par ailleurs Ramon Villa, responsable fédéral SUD Santé Sociaux.

Derrière les salaires se cache la question des moyens. Le secteur, où se côtoient service public (c’est le cas pour la protection judiciaire de la jeunesse) et associations financées par l’Etat ou les départements, compose avec peu de ressources. « On travaille à moyens constants, complète Nobert. L’ARS distribue des budgets aux établissements. Les seules augmentations concernent des projets particuliers, avec par exemple le plan national sur l’autisme. »

Autre exemple dans la protection de l’enfance, dont les syndicats comme les associations dénoncent depuis des années les difficultés croissantes : « Certains éducateurs suivent en même temps une cinquantaine de dossiers bénéficiant de l’aide éducative à domicile (AED), illustre Ramon Villa. Comment voulez-vous aider des familles dans ces conditions ? »

Autre défi : le vieillissement de la population et la privatisation de la prise en charge des aînés qui se traduit parfois, comme le démontre Victor Castanet dans son ouvrage Les Fossoyeurs (Fayard, 2022), par des situations de grande violence pour les usagers comme les travailleurs sociaux.

Une crise profonde
Cette situation se traduit sans surprise par une profonde crise de vocation. Publiée le 9 février dans le journal Le Monde, une tribune signée par de nombreux employeurs associatifs du secteur tire de la même manière la sonnette d’alarme. « Les remontées des associations démontrent un manque de 10 % à 15 % de salariés », écrivent les cosignataires qui attribuent les 64 000 postes vacants à des salaires trop bas.

Cette situation, Norbert, habitué à recevoir des stagiaires, l’observe au quotidien : « Les jeunes savent que c’est un métier difficile, peu reconnu, où les possibilités d’évolutions sont limitées. Ceux qui se forment sont de moins en moins nombreux à vouloir faire ce métier toute leur vie. »

« Ce manque de bras dans le secteur est la conséquence d’un problème profond de reconnaissance, confirme Raymond Taube, qui passe avant tout par le salaire. »

Exclus du Segur de la santé en juin 2020, les travailleurs du secteur ont dû attendre 2022 pour que l’Etat se saisisse enfin de leur cas et organise le 18 février une conférence des métiers du médico-social. Lors de l’événement, le Premier ministre, Jean Castex, et le président de l’Assemblée des départements de France, François Sauvadet, annonçaient débloquer 1,3 milliard d’euros pour le secteur, destiné à revaloriser de 183 euros net par mois les salaires des travailleurs du social. Les résultats d’une longue mobilisation du secteur et, surtout, des décisions a minima pour Raymond Villa.

« Nous voulons des conditions de rémunération qui permettent aux salariés d’évoluer et de se stabiliser, ajoute-t-il. Il faudrait une revalorisation d’au moins 400 euros pour les salaires les plus bas et qui englobe l’ensemble des salariés du social. »

Le combat ne fait que commencer. Entre les deux tours de la présidentielle, Emmanuel Macron a promis « d’aider celles et ceux qui sont aides-soignantes ou auxiliaires de vie, qui travaillent sous le salaire minimum, à pouvoir travailler 35 heures ». L’enjeu, pour les syndicats de la profession, sera de maintenir un rapport de force suffisant pour contraindre le président réélu à tenir sa promesse.