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Le Monde.fr : La médecine libérale sur le chemin d’un « règlement arbitral »

Mars 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : La médecine libérale sur le chemin d’un « règlement arbitral »

Un mois après la fin des négociations conventionnelles, qui se sont soldées par un échec, les futures conditions d’exercice et de rémunération des praticiens libéraux sont toujours en réflexion. Réunis en congrès, à Paris, les généralistes n’ont pas éludé ces enjeux sensibles, à l’heure où le nombre de patients sans médecin traitant augmente.

Par Mattea Battaglia

Publié le 26 mars 2023

Les négociations conventionnelles ont échoué, et après ? Un mois presque jour pour jour après le rejet, unanime, par les six syndicats représentatifs de la médecine de ville de la « convention médicale » proposée par l’Assurance-maladie (ce « contrat » censé redéfinir leurs conditions d’exercice et de rémunération pour les cinq années à venir), les parties prenantes ont rejoué leurs désaccords, samedi 24 mars, non pas au siège de la CNAM, porte de Montreuil, comme ce fut le cas cet hiver, mais dans l’enceinte du Palais des congrès, porte Maillot, où le Collège de la médecine générale tenait son congrès.

Au troisième – et dernier – jour de cette 16e édition rythmée par des dizaines d’ateliers, de conférences et de tables rondes, quelques-uns des acteurs (ou leurs représentants) du round conventionnel avorté – Thomas Fatôme, pour l’Assurance-maladie, Agnès Giannotti, pour le syndicat MG France, Luc Duquesnel, pour la CSMF-Généralistes, ou encore Claude Bronner, pour la branche généraliste de la Fédération des médecins de France – sont venus se rasseoir côte à côte, devant un parterre de médecins en demande de perspectives.

L’occasion d’afficher des objectifs partagés : réenclencher « rapidement » des négociations pour restaurer l’attractivité du métier et répondre aux besoins de santé des Français. L’occasion, aussi, de rappeler certaines des « lignes rouges » qui ont mené le dernier round dans l’impasse : des moyens « insuffisants », une lettre de cadrage « peu claire », des bases de négociations « à revoir », ont listé les porte-parole syndicaux. « La méthode employée ne va pas, il faut en changer », a énoncé Agnès Giannotti. En face, le directeur général de l’Assurance-maladie a répondu aux critiques sous la forme d’une question : « Est-ce que vous souhaitez être des acteurs de la transformation [du métier], coconstruire les dispositifs qui enclencheront le mouvement, et qui ne sont pas que tarifaires ? »

« Contrat d’engagement territorial »
En creux, même si l’expression n’a pas – ou peu – été évoquée samedi, c’est bien le « contrat d’engagement territorial » qui continue de coincer, traduction du principe des « droits et des devoirs » défendu par le gouvernement, et rejeté, fin février, par tous les syndicats. Rendu caduc par l’échec des négociations, il prévoyait, pour les généralistes qui l’auraient paraphé, de porter le tarif de la consultation de base à 30 euros, contre 25 euros aujourd’hui, à condition qu’ils s’engagent à des contreparties – voir davantage de patients, participer aux gardes, exercer dans un désert médical, consulter le samedi…

Deux autres niveaux de consultation étaient prévus, chacun des trois concernant, aussi, les spécialistes. Un dispositif présenté comme « incitatif » : aux médecins qui ne se seraient pas engagés dans ce contrat, l’Assurance-maladie aurait accordé une augmentation de l’acte de 1,50 euro, ce qui aurait porté la consultation de référence à 26,50 euros. Loin, très loin des attentes – ou même d’un « rattrapage de l’inflation », tempête-t-on sur le terrain.

Retrouvera-t-on ces montants, ou cette même logique, dans le « règlement arbitral » en préparation, qui s’appliquera tant que les protagonistes n’auront pas topé ? La rédaction du règlement arbitral est, depuis le 1er mars, passée aux mains d’Annick Morel, inspectrice générale des affaires sociales à la retraite, désignée en amont des négociations par les partenaires conventionnels pour jouer le rôle d’arbitre en cas d’impasse. Le texte auquel elle doit aboutir constituera une convention minimum, susceptible elle aussi de durer cinq ans, mais avec l’obligation de rouvrir des négociations au bout de deux. Pour mémoire, le dernier règlement arbitral pour les médecins libéraux remonte à 2010. Il avait reconduit l’essentiel de la précédente convention, en augmentant d’un euro le tarif de la consultation.

Selon le calendrier officiel, le texte en préparation devrait, fin juin, être proposé au ministère de la santé, qui dira s’il l’accepte ou pas. Les représentants des généralistes, déjà reçus par Mme Morel, qu’ils ont trouvée « à l’écoute », espèrent que le processus aboutira plus tôt, « dès la fin avril ». Avenue de Ségur, on prévient déjà que les sommes engagées ne seront pas « forcément » supérieures aux 1,5 milliard d’euros mis sur la table des négociations cet hiver.

« Négociation sans vainqueur »
Plutôt que d’en rester à un constat d’échec, Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale – organisateur du congrès –, a préféré, samedi, parler d’une « négociation sans vainqueur » et d’une « déception partagée », de l’« exaspération » et de la « fatigue » de ses confrères et consœurs. Des paroles applaudies dans le public, où nombre de médecins ont pris la parole pour témoigner de leur « malaise », de leur « épuisement », du « besoin de reconnaissance ».

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Pour mémoire, le Collège de la médecine générale avait, lors de la grande journée de mobilisation du 14 février, appelé à grossir les rangs des manifestants, à Paris, pour défendre une revalorisation et s’opposer à la proposition de loi (PPL) Rist. Cet autre « chiffon rouge » s’est invité durant le congrès : vendredi, une table ronde sur la « médecine de demain » a réuni sur la même estrade des médecins, des syndicalistes et la députée Stéphanie Rist (Renaissance), porteuse du projet controversé d’« accès direct » – sans prescription médicale – à plusieurs professions paramédicales (infirmiers en pratique avancée, kinés, orthophonistes). Un projet adopté, en première lecture, par l’Assemblée puis le Sénat, et qui arrive en commission mixte paritaire début avril.

Un peu isolée, la députée, rhumatologue de profession, a défendu sa ligne qui est aussi celle du gouvernement : « Je suis persuadée qu’il faut travailler sur l’attractivité du métier, mais je suis persuadée, aussi, qu’il faut entendre les besoins des patients. C’est comme ça qu’il faut comprendre cette PPL. On a une réponse à apporter à la population. »

Lutte contre les déserts médicaux
Cette réponse, à l’heure où les déserts médicaux s’étendent, est devenue « la » priorité politique. Dans ses vœux au monde de la santé, le 6 janvier, Emmanuel Macron a placé les patients sans médecin traitant au centre de son projet. Interviewé à la télévision, le 22 mars, sur la réforme des retraites, il a réitéré l’engagement de « donner un médecin traitant aux 600 000 Français en affection de longue durée ; c’est le cœur de la convention médicale que le ministre prépare », a-t-il aussi affirmé, sans qu’on sache précisément s’il avait en tête le règlement arbitral en préparation ou la convention qui viendra après.

Avenue de Ségur, on met en avant une augmentation alarmante des chiffres : ce ne sont plus 600 000 mais 714 000 Français en affection de longue durée qui sont, aujourd’hui, sans médecin traitant. On y défend, aussi, une stratégie : celle de l’« aller vers » les citoyens éloignés du système de soin – comme durant la crise du Covid : le ministre François Braun a demandé à l’Assurance-maladie de « contacter individuellement tous ces patients pour leur trouver un médecin en lien avec les médecins du territoire », explique-t-on dans son entourage. Le « démarchage » se fera aussi du côté des praticiens.

Une « posture gouvernementale » dénoncée par MG France, par la voie d’un communiqué le 23 mars, qui la juge fondée sur un « management punitif » alors que le « gouvernement ne prévoit toujours pas les moyens nécessaires au sauvetage de la médecine générale ». La revendication du syndicat majoritaire parmi les généralistes est claire : un « plan Marshall pour la santé primaire ».

1 300 intentions de « déconventionnement » enregistrées par le syndicat UFML
Après l’échec de la convention, peut-il y avoir, parmi les médecins libéraux, un « mouvement de déconventionnement » – autrement dit, des médecins prêts à sortir du système d’Assurance-maladie ? Le président du syndicat UFML, Jérôme Marty, qui a organisé, les 3 et 4 mars à Paris, les premières « assises » sur le sujet, voudrait en faire un « geste collectif et politique » : « Notre objectif est de rassembler les demandes et d’arriver à 15 000, avant d’en faire la déclaration auprès de la Sécurité sociale. Il faudra bien, alors, revoir les termes du contrat qui nous lie à nos tutelles… » Ce syndicat a ouvert un site internet pour enregistrer les déclarations d’intention. Elles étaient 150 par jour, début mars ; elles sont descendues, depuis, « entre 30 et 40 par jour », estime le docteur Marty, pour atteindre un total de 1 300.

Selon les chiffres de l’Assurance-maladie, les médecins déconventionnés – ceux du « secteur 3 » – représentent, aujourd’hui, moins de 1 % des 111 381 médecins libéraux (généralistes et spécialistes), soit, au total, 796 médecins, dont 572 généralistes, 64 chirurgiens, 50 psychiatres. Ils sont libres de fixer leurs tarifs avec dépassement d’honoraires. Mais leurs patients sont remboursés sur une base plus que symbolique : 0,61 euro chez un généraliste, 1,22 euro chez un spécialiste.

L’objectif de l’UFML, si le mouvement était suivi, est de créer un « nouveau secteur 3 », pour qu’une autre base de remboursement soit rendue possible pour les patients. Les autres syndicats de praticiens ne s’associent pas à la démarche.

Mattea Battaglia