Le droit de mourir dans la dignité

Le Monde.fr : Fin de vie : la convention citoyenne se prononce en faveur de l’aide active à mourir selon différents « modèles »

Avril 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : Fin de vie : la convention citoyenne se prononce en faveur de l’aide active à mourir selon différents « modèles »

Les 184 membres tirés au sort ont remis leur rapport, dimanche, et rencontreront Emmanuel Macron, lundi. Ils estiment que le cadre actuel de la loi doit « évoluer » et mettent sur la table 81 propositions relatives à l’« aide active à mourir », qui intègrent le suicide assisté et l’euthanasie.

Par Béatrice Jérôme

Publié le 02/03/2023

Lors de la clôture de la dernière session de la convention citoyenne sur la fin de vie au palais d’Iéna, à Paris, le 2 avril 2023. CLEMENCE LOSFELD POUR « LE MONDE »
La question les a taraudés jusqu’au bout. Leur rapport sera-t-il lu par leurs « concitoyens » ? Telle est l’ambition des 184 membres de la convention citoyenne sur la fin de vie qui ont publié, dimanche 2 avril, un document de plus de 150 pages et 146 propositions. Il a été adopté au terme d’un vote solennel à 92 % (162 voix pour, sur 176 votants) dans l’hémicycle du palais d’Iéna, à l’issue de la dernière session de travail au siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Le rapport se veut « un nuancier d’opinions » et ne prétend pas apporter une vision univoque.

Voulue par Emmanuel Macron pour être le pivot d’un « débat national sur la fin de vie », qu’il a lancé en septembre 2022, la convention citoyenne devait répondre à une question posée par la première ministre, Elisabeth Borne : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »

A l’issue de vingt-sept jours de travaux étalés sur quatre mois, au terme d’une soixantaine d’auditions d’experts, de représentants des cultes, de philosophes, de médecins et de soignants et après une succession de votes, les citoyens tirés au sort pour être représentatifs de la population française ont répondu à 97 % que le « cadre d’accompagnement » actuel devrait « évoluer ». Primo, du fait de l’« inégalité d’accès à l’accompagnement de la fin de vie » en France. Secundo, en raison de l’« absence de réponses satisfaisantes dans le cadre actuel pour certaines situations de fin de vie ».

Propositions inédites
Ce double constat les conduit à proposer, en priorité, d’améliorer le « cadre existant », mais aussi d’ouvrir la porte à un changement de la législation française. A 76 %, les membres de la convention sont favorables à l’accès au suicide assisté et à l’euthanasie, « selon certaines conditions et au terme d’un parcours balisé ».

Une première partie du rapport s’attache à définir les conditions d’une amélioration de l’accompagnement des malades en fin de vie dans le cadre de la législation actuelle, la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016. L’objectif prioritaire, aux yeux des conventionnels, est le développement de l’accès aux soins palliatifs, cette médecine qui soigne les douleurs et les souffrances des malades incurables. Ils énoncent 65 propositions. Certaines figurent dans d’autres rapports officiels sur le sujet, d’autres sont inédites : le rapport plaide pour que soit instauré « un droit opposable garanti à chacun » à un accès aux soins palliatifs.

Le budget consacré aux prochains plans de soins palliatifs et de fin de vie devrait être supérieur aux 180 millions d’euros attribués à l’actuel budget (2021-2024), estime le rapport. Il suggère que soit prévu « un accès à des soins palliatifs dans tous les établissements hospitaliers » et que les Ehpad « soient obligés à disposer de personnel formé aux soins palliatifs ». L’absence de « culture palliative » dans les pratiques de la médecine rend impératif, insiste le rapport, le développement de filières de formation et la recherche universitaire dans ce domaine.

« Mettre fin aux situations ambiguës »
Si l’amélioration de l’accompagnement est un préalable, la perspective d’une ouverture à une « aide active à mourir » répond à trois motifs retenus par les citoyens de la convention. Ils invoquent d’abord le « respect de la liberté de choix de chacun » de décider de sa fin de vie et donc de sa mort. Ils estiment ensuite remédier aux « insuffisances » du cadre d’accompagnement actuel de la loi de 2016. Les conventionnels considèrent que l’application de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, pratique qui vise à endormir, en toute fin de vie, les malades pour leur éviter des douleurs réfractaires, comporte des « limites ». Enfin, une évolution du droit permettrait de « mettre fin aux situations ambiguës constatées », telles que les « euthanasies clandestines ».

Les membres de la convention ne sont toutefois pas unanimes. Ainsi, 23 % sont opposés à une ouverture de l’aide active à mourir ; ils privilégient une meilleure mise en œuvre de la loi Claeys-Leonetti et s’inquiètent « des risques de dérives que l’ouverture de l’aide active à mourir pourrait faire peser sur les personnes vulnérables ».

Un point rapproche pourtant partisans et opposants : leur préoccupation face à la situation « alarmante » du système de santé et les « réticences fortes » d’une grande partie des professionnels de santé, qui s’inquiètent de devoir accomplir un geste létal si l’euthanasie était légalisée.

La majorité des conventionnels acquise à l’« aide active à mourir » se prononce à la fois pour la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie, 40 % d’entre eux estiment que ces deux modalités doivent être indifféremment proposées. 28 % considèrent que « le suicide assisté doit prévaloir et l’euthanasie demeurer une exception », afin notamment d’éviter une implication trop grande des soignants.

« Clause de conscience » pour les soignants
Le rapport révèle également les résultats d’un vote des conventionnels sur dix-neuf modèles d’accès à l’« aide active à mourir ». Ils ont placé en tête les « combinaisons » qui envisagent le suicide assisté comme une possibilité générale et l’euthanasie comme une modalité dans des cas exceptionnels – elle serait notamment concevable pour un malade qui ne peut accomplir seul le geste. S’agissant de l’implication des personnels soignants, la convention a adopté le principe d’une « clause de conscience ».

Ses membres énoncent 81 propositions au total sur l’aide active à mourir. Ils se positionnent majoritairement « pour un accès sous conditions », la première d’entre elles étant la « volonté du patient ». Le « discernement » de la personne est, pour eux, une condition essentielle. Celle-ci doit pouvoir exprimer sa volonté ou sa demande. Les conventionnels sont réservés à l’idée que les directives anticipées, ces consignes que chacun est invité à rédiger depuis la loi Leonetti de 2005, puissent être prises en compte si une personne n’est plus en état de s’exprimer.

L’aide active à mourir doit être une possibilité réservée aux malades incurables et souffrant de douleurs réfractaires, écrivent les membres de la convention. Une minorité d’entre eux estime toutefois que la demande pourrait être formulée par une personne même si elle n’est pas exposée à un pronostic vital engagé. Dans ce cas, elle serait soumise à un « parcours » de soins au terme duquel des réponses lui seraient apportées pour sa prise en charge. S’agissant de l’accès à l’aide active à mourir aux mineurs, « les avis demeurent très partagés », explique le rapport.

Ce document devrait être présenté, lundi 3 avril, à Emmanuel Macron, qui reçoit les 184 membres de la convention à l’Elysée. Deux d’entre eux ont été désignés pour restituer leurs travaux devant le chef de l’Etat. Dans le « manifeste », en ouverture de leur rapport, les conventionnels ont souhaité glisser cette phrase : « Il est temps que la parole citoyenne soit pleinement entendue et prise en compte. »

Béatrice Jérôme