L’hôpital

Infirmier. com - "La sortie du patient doit être envisagée dès l’entrée !"

Janvier 2017, par Info santé sécu social

Les flux de patients ont augmenté à une telle vitesse qu’ils en sont venus à modifier notre regard sur le patient lui-même, influencer les diagnostics et les prises en soins. La sortie du patient doit être envisagée dès l’entrée. De fait, l’organisation des séjours les plus courts possibles devient de plus en plus intrusive et s’impose comme le facteur de réussite le plus prégnant dans le parcours hospitalier du patient.

Le changement de temporalité affecte sérieusement le rapport du soignant avec le patient. En cherchant l’issue du chemin la plus proche nous risquons juste de perdre le patient en chemin.

Dès que nous parlons du parcours de soin, le focus soignant décale ses priorités. En effet, le soignant doit désormais axer sa démarche de soin non pas sur la qualité du soin mais sur la rapidité du parcours de soin et la gestion des risques. La durée de séjour va être déterminante sur le risque de représentation négative du patient qui traîne… Le patient qui dépasse sa durée moyenne de séjour (DMS) devient encombrant, et il nous reste plus qu’à le penser comme un encombrement, un objet indésirable.

Ne nous leurrons pas ! L’objectif de l’équilibre budgétaire a modifié notre focus soignant qui ne se fait plus sur le patient lui-même mais sur son parcours. Nous sommes d’ailleurs évalués sur ces parcours de soins par la Haute Autorité de Santé lors des certifications. En cherchant l’issue du chemin la plus proche nous risquons juste de perdre le patient en chemin.

Il fut un temps en médecine où le médecin devait être très attentif au kaïros. Le kaïros est une notion singulière du temps que le médecin doit s’appliquer à rechercher car il est le moment opportun de l’exercice de l’art, c’est à ce moment précis qu’il convient de poser le diagnostic et d’enclencher la thérapeutique. Le changement de temporalité affecte sérieusement le rapport du soignant avec le patient. L’accélération imposée au patient va inévitablement impacter la difficulté du soignant d’accéder à ce kaïros. Nous risquons simplement de le louper. L’enseignement de la médecine met en garde contre ce risque majeur car manquer ce moment opportun revient à échouer dans la démarche thérapeutique.

“En cherchant l’issue du chemin la plus proche nous risquons juste de perdre le patient en chemin.

L’objectif de l’équilibre budgétaire a modifié notre focus

A tout mettre en œuvre pour l’accélération des prises en soins et outre les prouesses techniques médicales, nous lançons le patient dans une temporalité qui s’éloigne du moment présent. Nous sommes conduits à penser la sortie avant l’entrée. Ce n’est pas une mauvaise idée en soi car elle permet une grande anticipation mais elle contient un mal terrible qui substitue la rapidité à la bienveillance. Nous bousculons des personnes vulnérables dans leur propre temporalité et nous nous éloignons des concepts soignants au profit d’une politique institutionnelle qui dicte les objectifs. Cette accélération impacte la relation soignant/soigné et il temps de s’interroger sur son inférence notamment dans les parcours non programmés. La qualité diagnostique n’est-elle pas affectée par les difficultés d’orientation et les contraintes institutionnelles ? L’hypothèse étant que le regard soignant est aujourd’hui parasité par des inférences organisationnelles qui influence la qualité diagnostique, la qualité humaine de de la prise en soins et la qualité d’orientation.

“Nous bousculons des personnes vulnérables dans leur propre temporalité et nous nous éloignons des concepts soignants au profit d’une politique institutionnelle qui dicte les objectifs.

Quid du contexte hospitalier

Le contexte hospitalier influence les parcours de soins dès l’accueil dans les services d’Urgences. Ces derniers sont eux-mêmes contraints de plusieurs façons.

• La diminution des lits disponibles intra-muros pour favoriser un taux d’occupation optimal dans les unités de soins, complexifie grandement le parcours du patient et les hébergements « forains » deviennent légion. Même si le médecin responsable reste celui de la spécialité dont est dépendant le patient, le patient, lui, est hébergé dans une autre spécialité où les soignants ne sont pas habitués à ces prises en soins malgré les protocoles en bonne et due forme qu’ils trouveront bien validés et bien rangés dans le logiciel de Gestion Documentaire.

• L’attente de libération des lits d’aval en SSR ou la possibilité de retour à domicile restent complexes pour les personnes isolées malgré les dispositifs acrobatiques du PRADO - le programme d’accompagnement au retour à domicile après hospitalisation - ou de l’HAD. Ces situations retardent la sortie de certains patients qui embolisent les lits pour les hospitalisations programmées. Certains patients deviennent ainsi « encombrants ».

• Des pics d’activité saisonniers épi et pandémiques sur toutes les tranches d’âges avec des spécificités sur les personnes vulnérables comme les personnes âgées et les nourrissons et des pics d’activité traumatologiques dus aux causes météorologiques.

• Des parcours non régulés où les patients préfèrent venir aux Urgences que chez leur médecin qui ne peut les recevoir directement. Les salles d’attente des Urgences peuvent ainsi devenir des réservoirs de difficultés en termes de tri et de risques d’erreurs.

“Certains patients deviennent ainsi encombrants...

Des méthodes plus ou moins heureuses...

En voici quelques-unes, parmi tant d’autres… :

• la régulation et le tri des patients par des décisions d’experts : mise en place des Infirmiers d’Accueil et d’Orientation (IAO) ;

• pour donner un air nouveau aux prises en charge contemporaines, il est toujours de bon ton de les angliciser : nous mettons ainsi en place des « case managers », des parcours « fast tracking », des « beds managers »… ;

• la mise en place de maisons médicales attenantes à l’hôpital qui permettent à un pourcentage important de patients d’être vus par les médecins. Le risque étant que ces maisons médicales ne garantissent pas les prises en charge pour tous si elles ne sont pas rémunérées par l’hôpital (CMU, AME…) ;

• la recommandation gouvernementale du moindre recours aux examens complémentaires. Il y eut un temps de « gabegie » où l’on ne comptait pas et où les batteries d’examens firent du mal aux transmissions des connaissances cliniques. Aujourd’hui, sous l’égide d’une sainte volonté du retour à la clinique, les recommandations vont dans le sens de l’économie maximale. Ce n’est pas pour autant que je vois davantage de médecins ou d’infirmiers poser leurs mains sur les ventres des patients ou s’appliquer au colloque singulier. La clinique prend du temps et c’est justement de cela que nous manquons ;

• les campagnes d’information sur les bonnes pratiques vont aussi dans le sens d’une médecine préventive et peuvent diminuer le flux aux Urgences. Néanmoins ces cultures préventives prennent du temps et les mauvaises habitudes ont la peau dure ;

• les tentatives vaines de mise en œuvre des robots diagnostiques en vue d’une automédication de la population restent encore une utopie prégnante et la Silicon Valley s’éreinte encore à trouver des algorithmes efficients… Le fantasme reste vivant au vu du problème grandissant dans les établissements de santé. L’intelligence artificielle n’est pas en mesure de reproduire la pensée d’un soignant. L’idée même de pouvoir nous remplacer reste à craindre.

“Faute de places, nous en venons paradoxalement à déprogrammer des chirurgies qui elles, justement, ont leur parcours préétablis et permettent une activité favorable pour le retour à l’équilibre.

• Les plans « hôpital en tension », merveilleuses appellations qui tendent à prendre très au sérieux des modes managériaux très discutables. Ils se cantonnent la plupart du temps à ouvrir des lits supplémentaires dans des services déjà occupés à 100% sans ajouter de personnel. Il convient alors d’ouvrir timidement 1 ou 2 lits dans chaque pôle permettant ainsi de vider les UHCD qui, elles aussi, ont gonflé leur capacité d’accueil de quelques lits. On n’ajoutera du personnel qu’à hauteur de l’ouverture d’une nouvelle unité d’UHCD. Cerise sur le gâteau sur les modes « Panique » et faute de places, nous en venons paradoxalement à déprogrammer des chirurgies qui elles, justement, ont leur parcours préétablis et permettent une activité favorable pour le retour à l’équilibre. Nous avons cette propension à scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Ces décisions contribuent à la perte de sens soignant.

• Je terminerai cette liste non exhaustive en évoquant le sacro-saint « virage ambulatoire » qui optimise un parcours, surtout très court ne dépassant pas la journée, ce qui permet de libérer des lits traditionnels mais aussi de les fermer définitivement en nous obligeant finalement à ne plus pouvoir prendre en soin des patients non programmés.

Viser le soin toujours

Pour toutes ces raisons, la temporalité des parcours de soin a pris le pas sur le soin lui-même. Le patient devient moins important que son parcours et prend le risque de devenir encombrant au moindre dépassement de DMS. Le sentiment d’être embarqué dans une mécanique sans retour possible devient effrayante. Les diagnostics médicaux des patients non programmés sont biaisés dès leur entrée par les contraintes institutionnelles du moindre coût et les difficultés de flux augmentent le risque d’orientations impertinentes.

Nous risquons de perdre le patient dans un parcours qui se veut toujours plus rapide. La contraction du temps n’est peut-être pas le meilleur concept d’une prise en soin réussie. Peut-être que le retour à l’équilibre dépend bien de ces prises en charge mécaniques rapides. Mais nous sentir soignants ne peut pas faire abstraction de vraies prises en soin. La question qui se pose alors sera comment retrouver et valoriser une temporalité de l’instant présent avec et pour le patient. Cette condition ne devra jamais être évacuée pour que nos institutions restent suffisamment justes.
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Christophe PACIFIC

Cadre supérieur de santé

Docteur en philosophie