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Le quotidien du médecin - Sanctionné par l’Ordre, menacé de mort pour une tribune controversée sur le FN, un généraliste choisit de déplaquer

Mai 2017, par Info santé sécu social

Stéphane Long

Un an de suspension d’exercice dont six mois ferme pour manquement aux obligations déontologiques. La sanction infligée en juillet 2016 par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins de Haute-Normandie a été fatale au Dr Thierry Lecoquierre. Installé au Havre depuis 27 ans, le généraliste âgé de 58 ans a mis fin à son activité au mois de décembre dernier, licencié sa secrétaire et mis en vente son cabinet, après en avoir informé ses patients.

Très affecté, le médecin confie au « Quotidien » qu’il ne s’estime plus en mesure d’exercer son métier après cette sanction ordinale qu’il trouve « extrêmement lourde ».

La justice plus clémente que l’Ordre

Pourtant, ce ne sont pas ses pratiques médicales qui sont en cause. L’Ordre lui reproche des propos tenus dans une tribune publiée sur le site « Le Plus de L’Obs » le 8 décembre 2015, et qu’il avait intitulée « Engrosser la femelle du Front national ». Dans un pamphlet très violent et perçu comme une incitation au viol, le généraliste y défendait le planning familial contre des annonces du FN.

L’affaire avait eu un retentissement national, suscitant une avalanche de réactions sur les réseaux sociaux et plusieurs dizaines d’appels téléphoniques auprès du conseil départemental de l’Ordre. Au mois de mai 2016, le Dr Lecoquierre fait d’ailleurs l’objet d’un rappel à la loi par le procureur pour « incitation au crime ou au délit ». Mais aucune condamnation n’est prononcée à l’encontre du praticien.

La chambre disciplinaire régionale s’est montrée beaucoup moins magnanime… Dans la décision que « le Quotidien » a consultée, l’Ordre a estimé que ce texte comportait « des propos triviaux, orduriers, abjects et dégradants pour l’image de la femme et incitant au viol des femmes adhérentes au Front national ». Des propos de nature à déconsidérer la profession et contraire aux principes de moralité et de probité auxquels tout médecin doit se conformer. Verdict : 1 an de suspension dont six mois ferme.

Une satire mal interprétée

Curieusement, la chambre disciplinaire reproche au généraliste de ne pas s’être excusé publiquement, alors même que celui-ci exprimait des regrets dans la presse dès la mi-décembre 2015. « Je regrette le faux écho donné à mon texte, j’en assume bien sûr la responsabilité, et tiens à m’excuser, le cas échéant, s’il a pu heurter ou blesser », écrivait alors le Dr Lecoquierre.

« C’est un pamphlet que j’ai écrit sur le coup de la colère dans l’esprit d’Hara-Kiri ou de Charlie Hebdo, explique aujourd’hui le médecin. Je n’ai pas pensé un instant qu’on pouvait y voir une réelle incitation au viol. Je regrette la forme, bien sûr, mais je ne regrette pas d’avoir défendu le planning familial. »

L’affaire aura eu des conséquences dramatiques pour lui. « À l’époque, j’ai été harcelé par téléphone, on m’a menacé de mort, on a menacé de violer ma femme et mes filles. Ça a été très violent », se souvient le généraliste.

La sanction de l’Ordre a également été lourde de conséquences. « C’est terrible pour moi, pour ma famille, pour mes patients et pour la médecine générale qui manque de bras », regrette le Dr Lecoquierre.

Certes, le médecin a fait appel de la décision de première instance, retardant jusqu’à un nouveau jugement l’application de la peine. Mais cette décision ordinale l’a profondément affecté. « Je ne peux pas continuer mon métier en ayant fait l’objet d’une accusation d’incitation au viol par l’Ordre. C’est une question d’éthique et de respect de mes patients », justifie le généraliste.

Soutien massif

Le praticien a bien poursuivi quelques mois son activité en attendant le jugement en appel, mais en vain. « Chaque fois que vous faites une ordonnance, chaque fois que vous prenez une décision médicale, vous avez besoin d’être parfaitement serein, explique-t-il. Ce n’est pas possible avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. »

Qu’en pensent ses patients ? « J’ai reçu un soutien massif de leur part, répond le Dr Lecoquierre. Et pourtant, le vote FN est très important dans le quartier où j’exerce. Je n’ai eu aucune défection malgré cette affaire. »

Le médecin dit avoir reçu « des dizaines et des dizaines de courriers, parfois très touchants » de patients, de politiques et d’inconnus qui ont souhaité lui apporter son soutien. Certains ont proposé de lancer des pétitions. Mais le médecin a toujours refusé, souhaitant « ne pas répondre à un buzz par une pétition ».

Il s’accroche toujours à la décision du jugement en appel par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre, espérant une décision favorable. Reprendra-t-il son exercice si c’était le cas ? « C’est très difficile de répondre à cette question. Il peut s’écouler beaucoup de temps avant le jugement. Ce que je sais c’est que ça a été très dur d’arrêter. » Un crève-cœur pour cet homme qui se dit passionné par la médecine générale depuis son adolescence et qui lui a consacré près de trente ans de sa vie.
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