La santé au travail. Les accidents de travail et maladies professionnelles

Infirmiers.com - Usure au travail : des infirmières au bout du rouleau ?

Juillet 2017, par Info santé sécu social

Aux frontières connexes de la pénibilité et de l’épuisement professionnel, l’usure au travail est un processus complexe et insidieux qui, avec l’allongement de la vie professionnelle, tend aujourd’hui à s’intensifier. La première profession de santé en termes d’effectifs est-elle gagnée par ce phénomène, elle qui connait par ailleurs un mal-être au travail plus grand que d’autres professions de santé ? Éléments de réponse.

La prévention des risques professionnels et la construction de trajectoires professionnelles "soutenables" constituent des leviers déterminants pour prévenir l’usure au travail.

“Je suis lessivée, au bout du rouleau”. Quelle infirmière n’a-t-elle pas un jour prononcé ce genre de phrase ou entendu le dire de la voix de l’une de ses collègues au détour d’un couloir, entre deux soins ? Comme d’autres soignants, mais aussi d’autres professionnels exerçant dans d’autres secteurs d’activité, il semble que les infirmières ne soient pas épargnées par le phénomène de l’usure professionnelle qui correspond, selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), “à une altération progressive de la santé liée au travail” pouvant “concerner tous les âges et se manifester au travers de divers symptômes : physiques (troubles musculo-squelettiques – TMS, cancers professionnels…), cognitifs (troubles de la mémorisation…), psychiques (démotivation, dépression…).”. Il suffit d’ailleurs de naviguer sur les forums infirmiers pour lire deci delà des témoignages1 sur le sujet : “C’est un travail usant, éreintant, crevant”. “J’ai toujours voulu faire ce métier, c’était même une vocation comme on dit. Mais au bout de cinq années seulement d’exercice j’ai décroché et relégué blouse et sabots au placard”. “À 53 ans, après une trentaine d’années d’exercice de nuit et aujourd’hui à temps plein sur un temps de travail de 12h, je suis une infirmière claquée, exténuée”. “Au fil des années, ma motivation, mon enthousiasme, mon regard vis-à-vis du métier se sont étiolés. Je ne m’y retrouvais plus. J’ai perdu la foi !”… Car oui, précise bien l’Anact, “au-delà des problèmes de santé, l’usure peut être associée, pour les salariés concernés, à un essoufflement professionnel voire à une dégradation de l’employabilité”2 laquelle s’observe par les premiers signes d’une perturbation, puis une baisse de l’engagement au travail, de la démotivation et des absences.

“À 53 ans, après une trentaine d’années d’exercice de nuit et aujourd’hui à temps plein sur un temps de travail de 12h, je suis une infirmière claquée, exténuée.

Le travail, une activité délétère pour la santé ?

Comment en est-on arrivé là ? À bien des égards le travail possède des vertus indéniables. Au-delà d’être une activité qui procure aux hommes leur moyen de subsistance, il se révèle en effet – pour une majorité de travailleurs – un facteur d’épanouissement personnel favorisant tout à la fois les relations sociales, la créativité, les connaissances, le sentiment d’utilité… Oui mais… revers de la médaille, il peut aussi s’avérer délétère pour la santé et source d’usure chez les travailleurs. Et si cela n’est pas nouveau, le phénomène, avec l’allongement de la vie professionnelle, tend aujourd’hui à s’intensifier, et notamment chez les infirmiers les plus âgés – même si ceux ne sont pas les seuls concernés puisque l’usure au travail touche tous les âges – qui connaissent des départs à la retraite plus tardifs qu’au début des années 2000 (la part des infirmiers de plus de 50 ans a connu une forte hausse passant de 23 % à 36 % entre 2001 et 2015)3.

Des conditions de travail difficiles pour les IDE

Des conditions de travail pénibles impactent sans conteste la notion d’usure au travail, et en la matière les soignants y sont particulièrement exposés. À l’hôpital, si “les contraintes physiques ont diminué”, “les professionnels de santé (notamment les IDE – NDLR) ont, pratiquement sur tous les aspects, des conditions de travail plus difficiles que l’ensemble des salariés” note ainsi la Drees dans son édition 2016 du "Portrait des professionnels de santé"3. Entre autres causes l’accroissement “des tensions avec le public” (66 % des infirmiers se disent concernés en 2013) ou encore l’exposition “à certains risques psychosociaux, en raison notamment d’exigences émotionnelles très fortes”. Les horaires décalés et alternés, le travail de nuit, les heures supplémentaires parfois non payées et/ou non récupérées participent aussi au ressenti de pénibilité et/ou au sentiment d’usure des infirmiers. De même encore que la charge de travail de plus en plus soutenue et le travail morcelé sans cesse interrompu (de la part des cadres, des médecins, des patients) ou exercé en urgence dans un contexte de restrictions budgétaires qui s’observent dans la plupart des établissements et secteurs d’exercice.

En libéral, les IDEL sont épargnées de certaines pesanteurs propres au contexte hospitalier, voire protégées face à certains aspects en lien avec le phénomène d’usure au travail. C’est elles-mêmes par exemple qui planifient leurs tournées ou qui décident de travailler un certain nombre de jours dans le mois... Pour autant, les contraintes de l’exercice à domicile, leur relatif isolement, une entraide entre collègues par nature moins évidente, des prises en charge de plus en plus complexes, des relations avec les caisses parfois tendues (réclamations d’indus…) ou, là encore, une charge de travail soutenue, ne les rendent pas moins vulnérables au phénomène.

“Des conditions de travail pénibles impactent sans conteste la notion d’usure au travail, et en la matière les soignants y sont particulièrement exposés.


Quelques repères chiffrés sur les conditions de travail à l’hôpital (en 2013)
• 80 % des IDE déclarent que leurs horaires de travail sont déterminés par l’établissement sans possibilité de modification.
• Plus de la moitié des IDE sont concernés par le recours aux dépassements d’horaires.
• Plus des 3/4 des IDE déclarent exercer leur fonction en urgence.
• 72 % des infirmiers se sentent exploités contre 65 % pour l’ensemble des salariés hospitaliers.
• 18 % des IDE déclarent toujours travailler sous pression, soit 5 points de plus que la moyenne du secteur et 10 points de plus que les médecins.
• 59 % des infirmiers regrettent la quantité de travail excessive et déplorent plus que leurs collègues des contraintes temporelles fortes.
• 41 % des IDE expriment un sentiment de manque de reconnaissance.
• 4 salariés hospitaliers sur 10 ne se sentent pas capables de faire le même travail jusqu’à leur retraite, une part à peine plus élevée que pour l’ensemble des secteurs, mais qui touche la moitié des infirmiers et des aides-soignants contre seulement 2 médecins sur 10.

• Source - Enquête Conditions de travail – CT – 2013, Dares, Drees, DGAFP, Insee in Portrait des professionnels de santé, éd. 2016, op cit

La stratégie nationale de la qualité de vie au travail, une possible réponse ?

Comment alors remédier à ce processus d’usure au travail qui n’arrive pas du jour au lendemain mais “qui s’installe dans le temps, en fonction des parcours professionnels des salariés, des contraintes et des risques auxquels ils sont exposés”2 ? Il n’y a bien évidemment pas de recette miracle. Toujours est-il qu’il convient de considérer le phénomène dans sa globalité – car de nombreux déterminants sont en interaction – et surtout d’agir sur trois dimensions possiblement en cause dans son apparition et son développement, à savoir les conditions d’emploi et de travail, le système de management et l’organisation.

C’est ce que vise en partie la toute récente stratégie nationale de la qualité de vie au travail, lancée en décembre 2016 par l’ex-ministre de la Santé s’agissant du volet 1 propre aux soignants hospitaliers et en mars dernier s’agissant du volet 2 consacré aux professionnels exerçant en ambulatoire en réponse à leur mal-être et à la vague de suicides qu’a connu notamment la profession infirmière en 2016.

Plusieurs engagements, objectifs et actions en lien avec les trois dimensions précédemment évoquées y sont en effet formulés. Conçue comme « une stratégie de long terme » et non comme un énième « plan à application immédiate », celle-ci doit notamment « améliorer l’environnement et les conditions de travail des professionnels au quotidien » (volet 1, axe II) via un renforcement de l’écoute, de la reconnaissance individuelle, de la communication au sein des équipes, mais aussi « accompagner les professionnels au changement et améliorer la détection des risques psychosociaux » (volet 1, axe III)… Au-delà, on retiendra que la prévention des risques professionnels et la construction de trajectoires professionnelles "soutenables" (avec des perspectives d’évolution professionnelle et notamment en 2nde partie de carrière, de mobilités entre métiers, activités…) constituent en la matière des leviers déterminants pour prévenir l’usure au travail. Il va sans dire que les infirmiers sont particulièrement concernés par de telles actions de prévention.

Ne pas confondre avec la pénibilité ou l’épuisement professionnel

La pénibilité se caractérise par une exposition, au-delà de certains seuils, à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé. Ces facteurs sont liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail. Les expositions à ces facteurs sont évaluées après prise en compte des mesures de protection collective et individuelle mises en œuvre par l’employeur.

À ce jour, dix facteurs de pénibilité sont définis et inscrits dans le code du travail1, notamment les manutentions manuelles de charges, le travail de nuit, ou encore, le travail en équipes successives alternantes.

Le syndrome d’épuisement professionnel ou burnout désigne un état d’ “épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel”2. Il se caractérise par un processus de dégradation du rapport subjectif au travail. Concrètement, face à des situations de stress professionnel chronique, la personne en burnout ne parvient plus à faire face. ­Il recouvre trois dimensions : l’épuisement émotionnel, le cynisme vis-à-vis du travail (déshumanisation, indifférence) et la diminution de l’accomplissement personnel au travail et de l’efficacité professionnelle.

À noter : “le burnout concerne de façon prégnante les professions d’aide et de soins” pour lesquelles “le rapport à l’autre est essentiel”. La “confrontation avec la souffrance et la mort”, des “prises en charge exigeant d’être impliqué dans l’intimité des patients”, des “dispositifs de soin complexes”, mais aussi des “tensions démographiques, l’insécurité…” sont autant de facteurs qui rendent les professionnels de santé en activité ou en formation vulnérables à ce syndrome.

À ce propos, l’association SPS – soins aux professionnels de santé –, dont la plateforme d’appel opérationnelle depuis six mois a déjà recensé plus de 1 000 appels de soignants en souffrance, propose aux soignants un test d’autoévaluation sur l’épuisement professionnel.

1. Voir Loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites et loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi

2. Burnout – Repérage et prise en charge, Le Webzine de la HAS, 22 mai 2017