L’hôpital

Actu.fr Toulouse - CHU de Toulouse : polémique après le reportage d’Envoyé Spécial

Septembre 2017, par Info santé sécu social

Le magazine Envoyé Spécial, diffusé jeudi 7 septembre 2017, dénonce le management industriel à l’hôpital et notamment au CHU de Toulouse. Direction et syndicats réagissent.

« Toulouse, un hôpital d’excellence ». C’est en ces termes qu’Envoyé Spécial débute ses propos sur le Centre hospitalier universitaire (CHU) de la Ville rose. Diffusé jeudi 7 septembre 2017 sur France 2, le magazine télévisé rappelle en effet que l’hôpital toulousain est, chaque année, classé dans le Top 3 des meilleurs hôpitaux de France, un palmarès établi par le journal Le Point, depuis 1998.

Mais l’objet du reportage n’est pas uniquement de flatter le CHU… La journaliste Julie Pichot, en collaboration avec Charles Maumy et Olivier Ferraro, a enquêté sur la « logique économique, digne d’une entreprise privée », qui s’est peu à peu mise en place dans certains établissements de santé publics. Outre celui de Toulouse, le reportage cite notamment les hôpitaux du Havre (Seine-Maritime) et de Creil (Oise).

Des conséquences sur le personnel… et sur les patients

L’équipe de tournage est allée à la rencontre de familles, infirmiers, représentant syndical et experts de la santé toulousains. Envoyé Spécial dénonce, à travers une volonté administrative de réduire les déficits, des répercussions graves sur le personnel. Pour répondre à des objectifs de performance, les salariés, contraints d’accélérer la cadence auprès des patients, n’auraient plus la possibilité de faire leur travail correctement. Dans le reportage, une infirmière de l’hôpital des enfants témoigne :

Comme nous ne sommes pas suffisamment nombreux pour travailler, les soins que l’on fait ne sont pas faits aux bonnes heures. On explique aux médecins que les prises en charge ne sont pas réalisables. Ils les changent pour qu’elles le deviennent. Un patient qui doit être suivi toutes les heures va l’être toutes les trois ou six heures. Cela a un impact sur la santé des enfants. Aujourd’hui, je rentre chez moi en me demandant si j’ai fait ce qu’il fallait, et si un enfant ne va pas mourir sur ma journée de travail.

En 2016, quatre membres du personnel, à bout, auraient mis fin à leurs jours.

La volonté de réduire le déficit

Le reportage cite le rapport d’un cabinet d’expertise, réalisé l’an dernier, à la suite du suicide d’un agent sur son lieu de travail. Il dénonce un « management délétère et trop autoritaire » et une « industrialisation des organisations de travail ».

En cause, la volonté de l’État de réduire le déficit 6 milliards d’euros de la Sécurité sociale. Le ministère de la Santé imposerait donc aux établissements publics d’être gérés comme ceux du privé. À Toulouse, le déficit serait passé de 29 à 19 millions d’euros en un an, au prix de mesures drastiques, selon Julien Terrié, secrétaire au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du CHU, et membre de la CGT. Il confie à Actu Toulouse :

Le déficit est en baisse parce qu’on paye la dette du CHU. On la paye en n’embauchant pas, en ne remplaçant pas le personnel. Il faut annuler cette dette. En un an, le CHU a dû payer des intérêts de 14 millions d’euros à des banques privées. C’est l’équivalent de 400 postes… Alors certes, annuler la dette engendrerait un manque de bénéfices pour les banques. Mais est-ce que c’est plus grave que de prendre des risques sur la qualité des soins apportés aux patients ?

« L’hôpital n’est pas une entreprise »

La journaliste Julie Pichot a effectué une première demande d’interview à la direction du CHU. Refusée plusieurs fois, sa requête a finalement été acceptée, après que l’équipe ait interpellé, caméra allumée, Raymond Le Moign, le directeur général du CHU, sur un parking de l’hôpital. Celui-ci explique :

Il se passe un processus important de mutation des métiers, des pratiques professionnelles et des organisations, qui conduit un certains nombres de personnels à s’interroger. Il y a ce sentiment au CHU de Toulouse, qu’il faut que j’accompagne. Un grand nombre de ces agents ont été sursollicités ces dernières années.

Et d’ajouter :

L’hôpital n’est pas et ne sera jamais une entreprise. La capacité à industrialiser la prise en charge des patients est hors de propos.

Au lendemain de la diffusion du magazine, Julien Terrié salue « un reportage sérieux et documenté, profond ». Le représentant syndical se dit toutefois « choqué que les membres du personnel doivent témoigner à visage couvert. Cela montre les pressions qu’ils peuvent subir ».

Pour nous, c’est important que tout cela se sache, afin de sauver l’hôpital public. Le reportage rend hommage au professionnalisme et à l’engagement des équipes. Il montre que sans elles, si l’on n’écoutait que les logiques financières, l’hôpital serait à plat.

… quand la direction parle de « contrevérités »

Mais l’hôpital n’est pas du même avis… Dans un premier communiqué sur les réseaux sociaux, le CHU souligne qu’ « il est regrettable qu’une image tronquée ait pu être donnée de notre établissement de santé ».

Un deuxième message, posté par un médecin de Larrey, au nom de la direction, dénonce « les procédés déloyaux utilisés par la journaliste », citant notamment l’exemple du tournage sur le parking. Il précise également que « des contrevérités flagrantes » auraient été faites : « Les témoignages ont été fabriqués ou mis en scène pour présenter une image négative du CHU de Toulouse et disqualifier le travail des professionnels hospitaliers ». Selon le CHU, un radiologue, présenté à l’écran comme membre du personnel, serait aujourd’hui retraité. Quant à une infirmière de gériatrie, qui évoque des toilettes à la chaîne dans des chambres à 3 lits, la direction indique :

Le CHU de Toulouse ne dispose plus de chambres à 3 lits depuis près de 10 ans. Les chambres à 3 lits n’existent donc plus, selon la direction, qui remet en cause la crédibilité du témoignage recueilli. Pour Julien Terrié, toutefois :

Ces chambres n’existent plus structurellement. Mais ponctuellement, quand il y a un manque de places, cela peut arriver. Je ne remets pas en cause la parole de l’infirmière. La direction n’a pas conscience de tout ce qu’il se passe.

L’intégralité de l’émission peut être vue en replay sur le site de France 2.

Nathalie Cauquil