La santé au travail. Les accidents de travail et maladies professionnelles

Mediapart Le blog de Laurent Mucchielli - Quand les industriels se moquent de la santé de leurs salariés

Novembre 2017, par Info santé sécu social

Pourquoi faudrait-il « perdre sa vie en la gagnant » ? Pourquoi est-il si difficile de faire reconnaître certaines maladies professionnelles ? Les dirigeants des entreprises qui ignorent délibérément ces risques ne doivent-ils pas être considérés comme des criminels ? Telles sont les questions soulevées par un livre racontant l’expérience des verriers de Givors.

La fabrication du verre, activité industrielle très ancienne, suppose le fonctionnement de fours dégageant diverses fumées toxiques vers des ouvriers que leurs dirigeants n’ont pendant très longtemps pas même pensé à protéger. Au 19ème siècle, on y faisait travailler des enfants. Quand les Français manquaient, on a fait venir des Italiens, des Espagnols et des Algériens.

Dans ce livre (voir ici la présentation sur le site de l’éditeur), Pascal Marichalar (chercheur au CNRS) raconte le combat d’un poignée d’anciens ouvriers d’une usine de verrerie de Givors (banlieue sud-est de Lyon) pour faire reconnaître leurs affections souvent mortelles (en particulier des cancers broncho-pulmonaires) comme des maladies professionnelles. Il s’agit d’un récit post-mortem à tout point de vue, beaucoup des acteurs de cette histoire étant décédé de ces maladies et l’usine ayant fermé en 2003.

livre-pascal-marichalar L’auteur a pu faire ce récit grâce au combat d’un collectif d’anciens ouvriers qui se bat depuis de nombreuses années et dont l’acteur principal (un ancien imprimeur) n’a cessé d’alimenter au fil des ans le dossier médical puis judiciaire. Son livre est donc « une enquête sur l’enquête », le récit d’un combat qui nous entraîne dans l’histoire de la difficile conscientisation du risque mortel collectif chez les ouvriers (et leurs épouses qui ont joué un rôle déterminant), de la recherche d’un allié, de l’enquête de ce dernier pour comprendre à la fois l’histoire de l’usine, les raisons de sa fermeture annoncée, la fréquence des maladies, leurs origines... puis le long combat pour faire reconnaître la maladie professionnelle y compris par les médecins eux-mêmes dont la majorité refuse à l’époque de reconnaître le lien entre les cancers des anciens ouvriers et leur activité passée, puis par l’administration de l’assurance-maladie et même par la médecine du travail. Finalement, une infirmière ouvre une brèche dans ce monde du silence. Puis un comité scientifique se forme grâce au réseau d’Annie Thébault-Mony 3 (personnalité scientifique qui joue un rôle majeur depuis plusieurs décennies dans la reconnaissance et la prévention des cancers d’origine professionnelle). Puis les avocats entrent en scène pour porter l’affaire en justice.

Les ouvriers attaquent d’abord au civil et gagnent en première instance puis en appel, mais bien sûr le groupe industriel se pourvoit en cassation pour retarder au maximum les choses. Enfin, ils attaquent au pénal, pour blessures involontaires par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail », et finiront par obtenir en partie gain de cause (malgré un juge d’instruction qui prononça à un moment un non-lieu, la question de la preuve ou de la causalité étant compliquée).

Le dossier est riche. L’auteur a lu le dossier d’instruction, tous les procès-verbaux d’audition par les policiers, les expertises médicales, il a assisté à certains procès et les décrit. Le récit est accablant pour les industriels qui ne se sont jamais préoccupés de la santé des ouvriers. Mais il l’est aussi en partie pour les autorités sanitaires et judiciaires.

Finalement, les survivants et leurs familles ont en partie gagné parce qu’ils formaient un collectif uni autour d’un syndicat local. Mais combien d’ouvriers solitaires sont morts dans d’autres villes sans que personne ne s’en émeuve ? Combien d’intérimaires ont été intoxiqués, dont personne ne se souciera jamais ?