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Le Monde.fr : Hébergement d’urgence : Paris alerte sur le manque de places pour les sans-abri

Décembre 2017, par infosecusanté

Hébergement d’urgence : Paris alerte sur le manque de places pour les sans-abri

La Mairie veut multiplier les centres temporaires d’accueil, insérés dans les quartiers.

LE MONDE

07.12.2017

Par Isabelle Rey-Lefebvre

Dix-huit familles à la rue, dont une trentaine d’enfants, investiront lundi 11 décembre un nouveau bâtiment érigé sur le site de l’ancienne enceinte de Paris bâtie par Thiers, près de la porte de Bercy (12e arrondissement) et, dans cet esprit, baptisé Le Bastion. Les modules de bois préfabriqués dans une usine tchèque, empilés sur trois étages et amovibles, seront progressivement ouverts jusqu’à pouvoir accueillir 308 personnes d’ici février 2018.

Mercredi 6 décembre, les ouvriers s’affairent encore aux finitions et aux revêtements de sol, le chantier étant un peu en retard malgré un délai record de réalisation : moins de douze mois entre les premières études et aujourd’hui, dont à peine deux mois et demi de montage.

Ces 308 places vont donner un peu d’oxygène au dispositif d’hébergement d’urgence de la capitale, totalement saturé, géré par le 115. Alors qu’en 2015 le Samusocial de Paris répondait à trois demandes sur quatre émanant de familles, il n’en satisfait plus qu’une sur quatre en 2017, avec pour conséquence que 500 enfants dorment désormais, chaque nuit, dans les rues.

La maire de Paris, Anne Hidalgo, a saisi l’occasion d’une visite sur le chantier, mercredi, pour sonner la mobilisation de tous les acteurs et rappeler à l’Etat son obligation d’héberger, sans conditions, les sans-abri : « Le plan grand froid et le nombre de personnes à la rue ne peuvent pas nous satisfaire, a-t-elle déclaré. Nous faisons la part qui est la nôtre, Paris est déjà très présente, puisque nous avons plus de 40 % de l’offre d’hébergement d’urgence de toute la région. » Le Bastion a coûté un peu plus de 6 millions d’euros, dont 1,2 million financé par la Ville, le reste par l’Etat. La municipalité fournit aussi le terrain.

« Des maires un peu timorés »

Il y a 10 000 places d’hébergement à Paris, soit 5 pour 1 000 habitants, plus qu’en Seine-Saint-Denis (3 pour 1 000) et surtout que dans les Hauts-de-Seine (1 pour 1 000). Selon Eric Pliez, le président du Samusocial, « 3 000 places manquent dans la capitale et nous ne sentons pas de forte mobilisation de l’Etat ». Non seulement les centres d’hébergement sont pleins, mais toutes les chambres d’hôtels privés bon marché le sont aussi.

« Il faut aller plus loin : beaucoup de bâtiments, notamment privés, ne sont pas utilisés et pourraient être transformés, suggère Anne Hidalgo. Mais il y a encore des maires un peu timorés en Ile-de-France », regrette-t-elle. Une référence à la suggestion faite par son adjoint au logement, Ian Brossat, dans Le Journal du dimanche du 3 décembre, d’utiliser pour un tel projet le parking d’un club sportif, propriété de Paris mais situé à Neuilly-sur-Seine. « Une ânerie », a rétorqué le maire de Neuilly, Jean-Christophe Fromantin, dans Le Figaro du 4 décembre. Dans un communiqué de presse, ce dernier dit avoir d’autres projets pour cette parcelle, notamment la construction de logements sociaux.

« Foncier intercalaire »

Autre piste explorée par Ian Brossat et les associations : utiliser le site désaffecté de l’ancien hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce, propriété de l’armée, dans le 5e arrondissement, mais l’Etat fait la sourde oreille. Anne Hidalgo a aussi pris l’initiative d’écrire à la RATP, à la SNCF, à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et aux entreprises du CAC 40 afin de débusquer des terrains disponibles, fût-ce provisoirement.

Car la Ville a désormais une pratique éprouvée de ce qu’elle appelle le « foncier intercalaire », qui consiste à occuper, pendant quelques années seulement, des terrains et bâtiments désaffectés. C’est le cas de l’ancien siège de l’Institut national de la propriété industrielle, rue de Saint-Pétersbourg (8e arrondissement), qui, avant sa transformation en logements, a, jusqu’en 2016, accueilli des sans-abri pendant trois ans, ou de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul (14e arrondissement), qui aura rendu le même service, de 2011 à fin 2017.

Espaces de qualité

Les bâtiments modulaires en bois, comme le centre d’hébergement du 16e arrondissement, en lisière du bois de Boulogne, installé en 2016 pour trois ans et qui avait provoqué la colère des riverains au départ, ou celui du Bastion, offrent des espaces de qualité et peuvent être démontés et reconstruits ailleurs.

« Ils comportent des locaux associatifs, profitant à la fois aux résidents et au quartier. Ils permettent aux citoyens de s’investir et d’avoir de vrais échanges avec les personnes hébergées, auxquelles les bénévoles ne se contentent plus de fournir des vêtements et de la nourriture », témoigne Sylvain Lemoine, conseiller social à la Mairie de Paris.

Au Bastion, les associations se bousculent pour occuper les 300 mètres carrés de locaux aménagés pour elles : il est, par exemple, prévu que l’association Zone d’expression prioritaire y organise des ateliers.

Quant au gouvernement, l’urgence semble moins le tarauder. Hormis le plan grand froid, déclenché le 1er novembre avec 7 300 places d’hiver ouvertes, il prend le temps de tout remettre à plat et de réfléchir en organisant une concertation pour, d’ici avril 2018, définir une « stratégie », sous la houlette du récemment nommé délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, Olivier Noblecourt, et d’Agnès Buzyn, la ministre de la santé et des solidarités.

Le ministère de la cohésion des territoires a, lui, lancé, le 20 novembre, un « appel à manifestation d’intérêt » pour la création, dans 15 territoires, de « logements accompagnés » dont le financement, à hauteur de 10 millions d’euros, paraît bien modeste.