La santé au travail. Les accidents de travail et maladies professionnelles

Mediapart : Santé au travail : au-delà des discours, les coupes budgétaires

Décembre 2017, par infosecusanté

Santé au travail : au-delà des discours, les coupes budgétaires

16 décembre 2017

Par Mathilde Goanec

Alors que le gouvernement a lancé une mission sur la santé au travail, une note de Bercy laisse craindre une nouvelle réduction des moyens pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale, qui aide chaque année les quelque 800 000 salariés victimes.

L’an dernier encore, environ mille personnes sont mortes des suites d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle reconnue. Malgré une baisse continue depuis 2002, la Sécurité sociale a dénombré en 2015 plus de 760 000 sinistres professionnels ayant entraîné un arrêt de travail. Enfin, ce sont près de 8 milliards d’euros de prestations qui sont versés aux victimes, année après année, en guise de réparation financière. Le travail abîme, tue parfois, et tout cela a un prix.

Dans un tel contexte, la suppression depuis le début du quinquennat du compte pénibilité et du CHSCT a eu l’effet d’un double coup de poignard dans le petit monde de la santé au travail. Le compte pénibilité permettait jusqu’ici de cumuler des points pour changer de métier en cas d’exposition dangereuse ou de partir plus tôt à la retraite sans décote. D’une redoutable complexité administrative, il n’avait pas que des partisans, chez les salariés comme chez les employeurs. En le transformant, dans les ordonnances, en « compte de prévention », il s’amenuise néanmoins sacrément : quatre facteurs de risques sur dix (le port manuel de lourdes charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées) sont désormais exclus de ce compte à points.

La disparition du CHSCT, inscrite dans les ordonnances, n’est pas vraiment non plus bien passée. L’instance, depuis une vingtaine d’années, a permis de former et de sensibiliser salariés et directions aux enjeux de la santé au travail, sur un spectre qui va aujourd’hui de la poussière d’amiante aux risques psychosociaux, en passant par les effets du froid, du bruit, des poussières, des produits chimiques. Fusionnés dans un seul et même comité économique et social, les représentants du personnel craignent de perdre des heures de délégation et des compétences sur ces sujets, d’autant plus que les négociations autour de l’emploi sont amenées à s’accroître fortement, aux dépens de tout le reste.

Afin d’éteindre l’incendie naissant, les ministres de la santé et du travail, Agnès Buzyn et Muriel Pénicaud, ont donc annoncé fin novembre une nouvelle mission sur la santé au travail 3. « Les accidents du travail et les maladies professionnelles sont encore trop nombreux, insiste le gouvernement. Les services de santé au travail, acteur central de la politique de prévention, souffrent d’une désaffection qui peut, sans action corrective, devenir problématique. De multiples acteurs interviennent en la matière, au niveau national comme au niveau régional ou local, sans toujours la coordination nécessaire pour maximiser l’efficacité des actions portées. »

La mission s’appuie de fait sur le dernier plan trisannuel en la matière (PST3) 3, piloté par l’État et les partenaires sociaux. Le constat est là encore sans équivoque : « La culture de prévention demeure en France encore globalement en mode mineur […]. À rebours d’une vision centrée sur la réparation et donc d’un travail avant tout potentiellement pathogène, le PST remet le travail au centre des préoccupations et la culture de prévention au cœur de toutes les actions. »

Si la baisse est confirmée, l’impact sera immédiat sur la prévention

La communication fonctionne donc à plein, mais les moyens seront-ils à la hauteur ? Un premier test permet de mesurer l’éventuel écart entre un discours et des actes. Les partenaires sociaux s’accordent actuellement sur les objectifs d’une des quatre branches de la Sécurité sociale dédiée à la prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP). Cette branche, peu connue, indemnise les salariés victimes, fixe la contribution respective des entreprises au financement du système et met en œuvre la politique de prévention des risques professionnels.

Les syndicats ont appris par une note de Bercy que le ministère des finances demandait une réduction sévère du budget de la branche, 15 % en moins sur le fonctionnement et 10 % en moins sur les effectifs. Si cette baisse est avérée, cela signifie 80 postes en moins dans les services prévention des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), et 58 postes supprimés sur 610 à l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail (INRS).

L’INRS, organisme indépendant, est au cœur de tout le dispositif de prévention français. Il est chargé de mettre à jour la connaissance scientifique sur la santé au travail, de former les préventeurs des Carsat et de la Cnam, d’aller dans les entreprises pour effectuer les mesures de bruit, de poussière, d’analyser les charges ou encore d’améliorer les machines et les conditions de travail. L’INRS a déjà connu une première saignée en perdant 75 postes entre 2011 et 2017.

« Si cette baisse est confirmée, l’impact va être immédiat, alerte Christian Darne, délégué CFDT à l’INRS. Nos agents ne sont pas comme les autres : un chercheur en toxicologie qui s’en va, c’est toute une compétence qui part avec lui et qu’on ne retrouvera pas. 10 % d’effectifs en moins, ce sont des pans entiers de la prévention dans les entreprises qu’on ne fera plus. » Sans parler des problèmes à venir. Nanoparticules, maladies cardio-vasculaires, effets de l’ubérisation, cohabitation entre l’homme et la machine… « Si on ne s’en préoccupe pas maintenant, dans 15 ans, on aura de gros problèmes », assure encore le délégué, qui craint à terme la disparition pure et simple de l’institution, rendue « inefficace » par les réductions de personnel successives.

Stéphane Pimbert, le directeur de l’INRS, interrogé par Mediapart, assure qu’« aucun arbitrage » n’a encore été fait et que les « négociations sont toujours en cours ». La CGT raconte de son côté que la directrice de la filière « risques professionnels » à la Cnam a confirmé oralement ces objectifs de réductions financières lors d’une réunion auprès de cadres organisée en novembre. La CFDT, activement mobilisée depuis deux mois sur le sujet 3, a rencontré mi-décembre un membre du cabinet d’Agnès Buzyn, qui n’a pas démenti les chiffres lancés par Bercy. Ni le ministère du travail, ni celui de la santé n’ont répondu à nos questions sur les décisions budgétaires. De fait, la négociation sur le sort de la branche AT-MP doit s’achever à la fin de l’année.

La branche est amenée à grossir avec la suppression du RSI

« Cette baisse est d’autant plus inacceptable que le gouvernement affiche vouloir faire un énorme effort sur la prévention », signale Marc Benoît, délégué syndical CGT à l’INRS. Sa confédération enfonce le clou et appelle à un « moratoire budgétaire » : « Il va de soi que cette politique d’austérité, si elle était confirmée, remettrait complètement en cause le Plan Santé Travail 3 (PST3) que le ministère du travail prétend défendre. » Dans les 50 axes du plan PST3, 30 mentionnent effectivement l’INRS.

Victime collatérale de ce désaccord, Jean-François Naton. Responsable CGT et spécialiste de la santé au travail, il était l’un des trois « experts » annoncés un peu vite comme membres de la mission mise en œuvre par Muriel Buzyn et Muriel Pénicaud (avec la députée LREM Charlotte Lecocq et le consultant Bruno Dupuis). Il n’y est finalement jamais entré, sur fond de climat social assombri depuis les ordonnances.

La CFDT, par la voix de Laurent Berger, a souligné elle aussi son inquiétude. Le secrétaire national a soufflé le 8 décembre à Muriel Pénicaud, lors d’une réunion bilatérale, qu’il serait bon que Bercy revoie sa copie. « J’ose espérer qu’il ne s’agit pas d’une stratégie calculée, indique à son tour Christian Darne, à l’INRS. Je ne peux pas croire que le gouvernement lâche encore un peu plus sur la santé des salariés dans les entreprises… » Et d’insister sur le rapport « coût-risque » : « On paye chaque année 6 à 8 milliards d’euros en réparation des accidents et maladies professionnels. Le budget de l’INRS, c’est 80 millions d’euros. Investir en prévention, c’est économiser pour demain. »

Si cette coupe budgétaire est si mal perçue, c’est aussi sans doute parce que la branche AT-MP, financée uniquement par les cotisations patronales, est excédentaire, fait assez rare pour être souligné. Par ailleurs, elle reverse à l’assurance maladie un milliard d’euros par an, compte tenu du fait qu’un grand nombre de maladies ne sont pas reconnues comme professionnelles et engendrent donc un coût supporté par le régime général.

Pourquoi enfin réduire la voilure, puisque la branche est amenée à grossir ? Avec la suppression du RSI et l’intégration des travailleurs indépendants sous l’égide de la Cnam, environ trois millions de personnes supplémentaires seront à l’avenir prises en charge par la branche AT-MP. De quoi douter de l’opportunité de réduire maintenant ses capacités de fonctionnement et de recherche.