Emploi, chômage, précarité

Le Monde.fr : Sans-abri : décalage grandissant entre les annonces du président et l’action du gouvernement

Janvier 2018, par infosecusanté

Sans-abri : décalage grandissant entre les annonces du président et l’action du gouvernement

Le système d’hébergement d’urgence semble aujourd’hui à bout de souffle et les actions concrètes sont dérisoires.

LE MONDE

02.01.2018

Par Isabelle Rey-Lefebvre

Guy, 59 ans, mort dehors, le 27 décembre 2017, dans le 8e arrondissement de Paris ; Rodolphe, 53 ans, mort le 30 décembre, à La Rochelle ; Ernst, dit « Willy », 60 ans, mort à Paris 15e ; Bernard, 59 ans, mort à Marseille le 24 décembre… La liste, dressée par le collectif Les Morts de la rue, recense 407 décès, rien qu’en 2017, plus de 500 en 2016. Ce sont seulement les cas signalés, le nombre réel étant, selon cette association, cinq à six fois plus élevé. Il s’agit le plus souvent d’hommes âgés en moyenne de 48 ans, mais il y a aussi 10 % de femmes, et, cette année, un bébé, âgé de trois mois, mort le 17 septembre, à Roubaix (Nord).

Chacun de ces décès rappelle la défaillance du système d’hébergement d’urgence dont le modèle semble à bout de souffle face à l’accroissement de la demande et à de nouveaux publics, notamment des femmes et des enfants voire des familles entières, pour la plupart des migrants. Dans les grandes villes comme Paris, Lyon ou Lille, trois à quatre demandes sur cinq aboutissant au numéro d’urgence 115 n’obtiennent aucune réponse.

La volonté d’Emmanuel Macron, exprimée le 27 juillet 2017, à Orléans, laissait espérer un effort inédit de l’Etat : « D’ici à la fin de l’année, je ne veux plus personne dans les rues, dans les bois. » Sans doute conscient d’avoir failli, le président de la République a redit, le 31 décembre au soir, lors de ses vœux aux Français : « Je veux que nous puissions apporter un toit à toutes celles et ceux sans abri. Il y a encore beaucoup de situations que je n’accepte pas plus que vous. Comptez sur ma détermination entière », évitant de fixer une échéance.

Le gouvernement, visiblement débordé, a beaucoup communiqué sur le sujet depuis la mi-décembre, se disant « entièrement mobilisé, avec 13 000 places supplémentaires d’hébergement d’urgence comparé à 2016 », détaillaient Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, et Julien Denormandie, son secrétaire d’Etat, dans un communiqué du 29 décembre. Selon Eric Pliez, directeur du Samu social de Paris, il manque cependant au moins 3 000 places rien qu’en Ile-de-France.

Hausse des crédits en « trompe-l’œil »

Le gouvernement fait également valoir que le budget de l’Etat pour 2018 prévoit une hausse de 13 % des sommes consacrées à l’hébergement d’urgence, soit 212 millions d’euros de plus : « C’est une augmentation en trompe-l’œil, selon Florent Guéguen, directeur général de la Fédération nationale des acteurs de la solidarité (Fnars), car elle ne couvre pas les dépenses réellement consommées en 2016, cette ligne budgétaire étant habituellement sous-estimée dans les lois de finances successives et revue à la hausse en fin d’année. »

Le sénateur (Les Républicains, LR) de Seine-Saint-Denis Philippe Dallier confirmait, en tant que rapporteur spécial du budget logement : « Les 200 millions d’euros inscrits en crédits nouveaux sur le programme pour 2018 ne permettent d’ores et déjà pas de couvrir les besoins constatés en 2017. Au contraire, avec 1,95 milliard d’euros, la dotation prévue pour 2018 est déjà inférieure de plus de 40 millions d’euros à celle de l’année en cours. »

Christophe Castaner, délégué général de La République en marche (LRM), a aussi été dépêché au front, sur BFMTV, le 29 décembre, et il a maladroitement ravivé la polémique : « La promesse de l’Etat est d’offrir des places d’accueil et, à l’heure où je vous parle, vous en avez encore de disponibles en Ile-de-France et dans les grandes villes. Peut-être pas assez, il faut un peu de temps pour améliorer cela. Ensuite, il y a des femmes et des hommes qui refusent aussi, dans le cadre des maraudes, d’être logés parce qu’ils considèrent que leur liberté – et je n’ai pas à juger de savoir si c’est bien ou pas – les amène à ne pas être en sécurité, à l’aise, dans ces centres. » Le Secours catholique a aussitôt dénoncé « l’indécence de cette affirmation » et la Fondation Abbé Pierre a appelé à « un peu de dignité ».

Une confusion jamais clarifiée

Le débat des acteurs de la solidarité avec l’Etat est obscurci par la confusion jamais clarifiée par les responsables publics entre hébergement de sans-abri et accueil de migrants ou de réfugiés. Il n’y a, en théorie, pas de concurrence entre eux : 140 000 places sont réservées aux sans-abri et 80 000 aux demandeurs d’asile.

En réalité, les centres d’hébergement d’urgence et les hôtels abritent une majorité de migrants, peu de réfugiés et de demandeurs d’asile. Certains sont des citoyens européens, venus de l’Est – Bulgarie, Roumanie –, d’autres sont là pour des motifs économiques, ni politiques ni chassés par la guerre.

Dans les hôtels réquisitionnés par le SAMU social de Paris, 60 % des résidents sont des familles sans-papiers avec des enfants scolarisés mais dont les parents n’ont pas le droit de travailler et qui logent là depuis des années. C’est pour elles que Louis Gallois, le président de la Fnars, demande « un statut » , pour éviter le mot qui fâche de « régularisation », afin de leur donner le droit de s’insérer et de libérer des places d’hébergement.

Conflit avec les associations humanitaires

La réponse du gouvernement est, au mieux, le silence, au pire la demande faite aux gestionnaires des centres d’hébergement, par la circulaire du 12 décembre signée des ministres de l’intérieur et de la cohésion des territoires, d’en communiquer la liste en préfecture, ouvrant un nouveau front de conflit avec les associations humanitaires.

Enfin, la politique dite du « logement d’abord », prônée par M. Macron, qui ambitionne de raccourcir le parcours de la rue à un logement pérenne sans passer par la case hébergement, n’a, pour le moment, reçu aucune application concrète.

Des objectifs ambitieux sont annoncés – comme la création, en cinq ans, de 40 000 logements très sociaux, de 10 000 en pensions de famille et la location de 40 000 logements privés –, mais les décisions budgétaires, qui privent les bailleurs sociaux de leur capacité d’investissement, disent le contraire. Seul un appel à manifestation d’intérêt a été lancé le 21 novembre sur le thème du « logement d’abord », doté de 10 millions d’euros, une somme dérisoire à partager entre quinze territoires…