La santé au travail. Les accidents de travail et maladies professionnelles

Reporterre - Les travailleurs du métro menacés par la pollution de l’air souterrain

Janvier 2018, par Info santé sécu social

La pollution aux particules fines que connaissent Paris et Marseille est pire encore dans les couloirs et tunnels des transports souterrains. Exposés à cette pollution, les travailleurs du métro demandent, en vain, une prise en compte de ce risque par leur employeur.

« Un de nos agents encadrants vient de décéder d’un cancer, qui s’est déclaré au niveau de la cloison nasale. » Dans leur local au terminus de la ligne 13 du métro parisien, des salariés de la RATP (Régie autonome des transports parisiens) finissent d’avaler leur sandwich de midi. Abdellaziz Hammad, conducteur depuis 2005, syndiqué à Sud RATP, serre la main de chaque nouvel arrivant. Au mur, des banderoles festives vantent « Vivement la retraite ! » Mais comme leur collègue mort d’un cancer, certains ne l’atteignent pas. « Ou décèdent juste après leur départ », constate, les yeux sombres, Abdellaziz Hammad. La faute, selon ces travailleurs, à la pollution de l’air souterrain. Y sont exposés pas moins de 3.150 conducteurs de métro et 1.200 conducteurs de RER, sans compter les techniciens, les agents d’encadrement, ceux chargés de l’accueil des usagers.

Ce « danger sanitaire » est invisible et pourtant bien palpable. Patrick Rossi, conducteur à Marseille, fait partie de ceux qui travaillent dans le métro « sept à huit heures par jour, 220 jours par an ». Cette pollution est un quotidien auquel lui et ses collègues n’échappent pas. « On la sent, on ne respire pas bien, les affaires sont sales à la fin de la journée. » Depuis qu’il s’est emparé du dossier en 2003, ce secrétaire fédéral Santé au travail à la CFDT (Confédération française démocratique du travail) tente d’alerter les autorités.

« Transfert de polluants issus de l’air extérieur vers l’intérieur »
Les responsables de cet air pollué ? Les particules fines. De ces petites poussières, il existe deux types : PM10 et PM2,5. « Les PM10 sont inférieures à dix micromètres, soit la taille d’une bactérie. Les PM2,5 sont encore plus petites, l’équivalent en taille d’un virus », explique-t-on à Airparif, l’organisme chargé de mesurer la qualité de l’air en Île-de-France. De par leur petite taille, ces particules pénètrent dans les poumons, « et pour les plus fines, s’infiltrent dans la circulation sanguine ». Airparif évoque, en conséquence, « des problèmes cardio-respiratoires et cardio-vasculaires ». Patrick Rossi s’inquiète davantage. En octobre 2013, le Centre international de recherche contre le cancer (Circ) classait comme cancérogène pour l’homme la pollution atmosphérique. Or, dans le métro, « la concentration de particules fines est quatre, cinq, voire six fois plus élevée que dans l’air extérieur », dit le syndicaliste.

Une section aérienne du métro parisienne, près de la station Jaurès.
Pourquoi cette différence de concentration ? Les particules fines proviennent « surtout du freinage sur les rails », explique Airparif. En suspension dans l’air, elles sont brassées à chaque passage de métro — sans jamais être évacuées. À ces poussières métalliques s’ajoute le « transfert de polluants issus de l’air extérieur vers l’intérieur ». Sans compter les équipements encore plein d’amiante restant à remplacer. « Comme pour l’amiante, on aura les effets différés des particules fines », soutient Patrick Rossi.

« C’est avant tout un problème de ventilation »
« C’est avant tout un problème de ventilation, explique-t-on à Airparif, plus ou moins prégnant en fonction de la profondeur et de l’âge des stations. » Sur les quais de la station Auber, à Paris, le taux de concentration des particules fines était ainsi dix fois plus élevé que dans les rues environnantes, selon les relevés d’Airparif en 2009. D’après le rapport paru en 2015 de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), ce taux y était en constante augmentation jusqu’aux dernières mesures réalisées. Et encore, « nous ne disposons pas d’études vraiment indépendantes, souligne Abdellaziz Hammad. La RATP refuse de faire intervenir des organismes autres que ceux qu’elle a mandatés pour faire ces prélèvements ».

Dans l’air extérieur, le seuil maximal de concentration de PM10 est fixé à 50 µg/m3 en moyenne journalière par une directive européenne. Mais pour les travailleurs souterrains, cette norme est revue à la hausse. Une dérogation inscrite dans le Code du travail, à l’article R.4222-10, stipule que la valeur limite d’exposition professionnelle est de 5.000 µg/m3. Soit un taux cent fois plus élevé. « Les travailleurs sont moins protégés que les usagers lambda alors qu’ils sont plus exposés », résume Me François Lafforgue, avocat chargé d’un dossier déposé par Patrick Rossi.

Avec l’aide du cabinet de Me Lafforgue, Patrick Rossi a saisi le Conseil d’État. Dans un arrêté de mars 2017, le Conseil dit attendre une nouvelle étude de l’Anses pour se prononcer. Promis pour la fin de l’année passée, le rapport n’est pas encore paru. Pour le moment, les lacunes se font sentir y compris du côté de la recherche. « On n’a pas d’études spécifiques sur ces particules. Ce qui compte pour pouvoir connaître mieux leurs effets sur la santé, ce n’est pas d’avoir leur concentration massique dans l’air, mais leur nombre, dit Gilles Dixsaut, docteur affilié à la Fondation du souffle. Or, les règles européennes sont données en termes de masse : ça arrange un peu tout le monde, mais ne fait pas avancer la connaissance des risques. Il y a un vrai manque de volonté », conclut le médecin.

« On ne comprend pas ces lacunes de l’État »
Patrick Rossi a également écrit à Nicolas Hulot, dès sa nomination au ministère de la Transition écologique et solidaire. Un courrier lui est parvenu le 2 octobre dernier, indiquant une fin de non-recevoir. « Botter en touche ainsi, c’est scandaleux, s’indigne le syndicaliste. C’est nous dire : “Empoisonnez-vous tranquillement…” » Contacté par Reporterre, le ministère n’a pas souhaité nous répondre. « On ne comprend pas ces lacunes de l’État », ajoute Me Lafforgue. L’avocat n’hésite pas, lui non plus, à faire le parallèle « entre la gestion des particules fines et ce qui s’est passé pour l’amiante », dossier dont son cabinet a également eu la charge.

La RATP affirme qu’un « programme d’investissements sur la période 2016-2020 a été approuvé pour un montant de 45 millions d’euros » afin d’améliorer les outils de ventilation. Elle dit également s’appliquer à « généraliser sur ses nouveaux trains le freinage électrique », moins polluant. Mais, hormis ces éléments, la direction soutient que « la qualité de l’air dans les espaces souterrains de la RATP est globalement bonne ».

De leur côté, plusieurs salariés ont demandé à leurs supérieurs s’ils pouvaient porter des masques antipollution : tous ont reçu un « refus ferme, pour une question d’image auprès des usagers », assure Abdellaziz Hammad. « Moi, face à l’autisme de la RATP et à la complicité des autorités, j’ai décidé de me protéger. » Le conducteur a demandé à être placé sur des lignes RER, moins exposées aux particules fines. Même si cela l’éloigne de son domicile. « Le RER, au moins, c’est 30 % de souterrain, 70 % d’aérien… Je ne suis pas le seul : j’en connais d’autres qui ont demandé à avoir un poste sur une ligne plus aérienne. »

Patrick Rossi souhaite que l’exposition à cet air pollué soit « reconnue au titre de la pénibilité au travail ». Sauf que la réforme du Code du travail menée par le gouvernement Philippe va dans le sens contraire. « La pénibilité, on appelle ça désormais “compte de prévention”… Et il n’y a plus de traçabilité » : l’exposition aux produits chimiques a été supprimée de la liste des critères.