L’hôpital

Liberation.fr : Suicides, morts inexpliquées : malaise parmi les internes

Janvier 2018, par infosecusanté

 Liberation

Suicides, morts inexpliquées : malaise parmi les internes

C’est une réaction de surprise d’un médecin de 60 ans : « Quand j’ai fait mon internat et mon assistanat il y a quarante ans, nous n’avons déploré aucun suicide. Pourtant nous n’avions pas de récupération de garde… Que s’est-il passé dans les hôpitaux et dans notre société pour que nos jeunes pleins d’énergie, avec un boulevard pour faire carrière, ne voient pas le bout du tunnel ? Les administrations se sont-elles remises en cause au travers de leurs réglementations aveugles et parfois débiles ? »

« C’est devenu une habitude »

Le constat est là, chargé de doutes et d’incompréhensions. Que se passe-t-il, en effet, pour que ce monde plutôt préservé de l’hôpital semble aujourd’hui en proie à un mal-être parfois dramatique ? L’année dernière, on évoquait un nombre inquiétant de suicides au sein du personnel soignant. Depuis quelques mois, plusieurs suicides ou morts inexpliquées de jeunes internes sont à déplorer. Comme le raconte la Revue du praticien, dans les derniers jours de décembre, Clara, jeune interne en médecine générale qui effectuait un stage à Mirande, s’est tuée en voiture, sur la RN21. « Sans que l’on puisse déterminer pourquoi la jeune femme de 26 ans a perdu, en fin d’après-midi, le contrôle de son véhicule. » Un accident resté sans explication à ce jour.

Quelques jours plus tard, c’est à l’hôpital de Pontoise que les médecins des urgences prennent en charge un de leurs confrères qui s’est endormi sur l’autoroute, de retour d’une garde difficile. A Strasbourg, la semaine dernière, un interne de médecine générale de 25 ans s’effondre dans le service de gériatrie. La cause ? Un accident cardiaque, mais rien ne le laissait présager. Enfin, ce week-end, l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) révèle le suicide de Marine, interne en dermatologie dans un service réputé difficile à Paris. Dans un texte, « Lettre pour Marine », Pierre Hamann, ancien président l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) a évoqué son « immense tristesse » : « Femme emplie d’enthousiasme, de bonheur, de gaîté qui rayonnait sur son passage, elle nous a quittés brutalement, sans que nous puissions agir, nous laissant ce goût amer d’impuissance. Les raisons de son acte sont issues d’un profond mal-être, qui comme bien souvent dans ces circonstances est multifactoriel. » Puis il fait ce constat : « C’est devenu une habitude pour nous, jeunes médecins, en formation, d’apprendre le suicide d’un confrère, d’une consœur, de nos collègues médicaux, paramédicaux dont l’encadrement des risques psychosociaux n’est pas à la hauteur. »

« Symptomatologie anxieuse »

Comme en écho, ce week-end, à Châteauneuf-sur-Isère (3 800 habitants), dans la Drôme, s’est tenu le congrès des futurs généralistes de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG). Les risques psychosociaux ont concentré une bonne partie des débats, selon le Quotidien du médecin. « L’enquête santé mentale des jeunes et futurs médecins a mis en évidence des chiffres alarmants : deux tiers des répondants présentent une symptomatologie anxieuse et un quart rapporte des idées suicidaires », a rappelé Maxence Pithon, le président de l’Isnar-IMG. Lui comme d’autres ont pointé « la réglementation sur le temps de travail des internes qui est toujours loin d’être appliquée partout », ou « le rythme hebdomadaire, souvent supérieur à 48 heures ».

La situation est-elle à ce point tendue ? Sur ce dossier, les données manquent cruellement. La direction générale de la santé, qui suit entre autres l’épidémiologie des suicides dans le monde paysan, n’a aucune donnée sur les suicides dans le monde de la santé. « Je veillerai à ce que vos inquiétudes, s’agissant du bien-être, de la santé mentale des étudiants, soient prises en compte », a répondu la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, aux jeunes généralistes dans un discours retransmis par Skype. « Je ferai tout pour que vos ressources matérielles soient suffisantes et surtout, pour que vos pairs, pour que votre hiérarchie vous soutiennent, en paroles et en actes. » Certes… « Ce qui me trouble, nous disait récemment un directeur d’un groupe hospitalier parisien, c’est qu’hier, l’hôpital rassurait, voire protégeait les patients comme le personnel soignant ou médical. Aujourd’hui, ce n’est plus toujours le cas. L’hôpital est un peu comme la société : vulnérable. »

Eric Favereau