Emploi, chômage, précarité

Le Monde.fr : Le comptage des SDF organisé par la Ville de Paris gêne la préfecture

Février 2018, par infosecusanté

Le comptage des SDF organisé par la Ville de Paris gêne la préfecture

Alors que la polémique sur le nombre de personnes à la rue dans la capitale fait rage, 1 500 bénévoles assistés de professionnels sont chargés de l’établir, jeudi 15 février.

LE MONDE

10.02.2018

Par Isabelle Rey-Lefebvre

La Ville de Paris met fin aux derniers préparatifs de la Nuit de la solidarité, qui aura lieu jeudi 15 février. L’objectif : compter les sans-abri qui dorment dans les rues avec l’aide de volontaires. L’initiative, dirigée par la très expérimentée Dominique Versini, l’adjointe chargée des solidarités et de la lutte contre l’exclusion et cofondatrice du Samusocial, s’inspire de celle menée chaque année à New York et récemment à Athènes. Londres, Bruxelles et Barcelone se livrent aussi régulièrement à cet exercice.

La démarche parisienne, inédite en France, déplaît à l’Etat, qui a la compétence de l’hébergement d’urgence. « On sent une petite angoisse dans les services de l’Etat sur ce comptage », note Mme Versini. Le préfet d’Ile-de-France, qui était représenté lors des réunions préparatoires et faisait partie du comité scientifique avec des personnes qualifiées comme des sociologues, vient soudainement de retirer sa participation. « La démarche est utile et innovante, concède Patrick Vieillescazes, chef de cabinet du préfet, mais le calendrier nous paraît précipité au moment où nos équipes sont absorbées par le plan hivernal. »

La polémique sur le nombre de personnes à la rue à Paris fait rage après les déclarations de Julien Denormandie, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la cohésion des territoires qui, le 30 janvier, a affirmé, au micro de France Inter, que « c’est à peu près une cinquantaine d’hommes isolés en Ile-de-France [qui dorment dehors], pour être très précis ». Le chiffre est issu des refus du 115. Il est manifestement sous-estimé, car il ne tient pas compte de tous ceux qui, découragés, renoncent à appeler ce numéro.

1 500 bénévoles pour quadriller 350 quartiers

Lundi 5 février, le député (La République en marche) de Paris Sylvain Maillard a pour sa part déclaré à RFI que « certains [SDF] souhaitent rester seuls dans la rue, c’est leur choix. Rien ne les oblige à être mis à l’abri ». Des déclarations qui ont fait bondir les SDF eux-mêmes, tout comme Eric Pliez, le président du Samusocial de Paris, qui ne cesse d’alerter sur le manque récurrent de places.

Jeudi soir, 1 500 bénévoles répartis par équipes de deux ou trois et pilotés par un professionnel, travailleur social de la Ville ou associatif, iront, de 22 heures à une 1 heure du matin, quadriller les 350 quartiers de Paris taillés pour être parcourus en deux heures de marche. Les recenseurs sont convoqués dans chaque mairie d’arrondissement dès 20 heures pour une courte formation et pour signer un engagement éthique.

Pas question de prendre des photos, de réveiller les personnes si elles dorment, de violer leur anonymat, même si un questionnaire sera rempli à chaque rencontre (homme, femme, enfant, âge, situation sommaire). « Nous souhaitons mieux connaître cette population, ses besoins et si les personnes ont ou non fait appel au Samusocial, afin de mieux calibrer l’offre d’hébergement, rappelle Mme Versini. Il ne s’agit pas de porter secours mais de réaliser cette enquête, pour ne pas mélanger les missions, comme nous l’a conseillé la Fondation Bloomberg de l’ancien maire de New York. » « Des questions importantes sur la nationalité ou le statut de demandeur d’asile ne sont pas posées, alors que ces informations sont pour nous importantes », regrette M. Vieillescazes.

La France est démunie dans le domaine statistique

La RATP et la SNCF recenseront les personnes présentes dans les 302 stations de métro et les sept gares parisiennes, l’Assistance publique-hôpitaux de Paris celles réfugiées dans les services d’urgences des douze hôpitaux parisiens, les bois de Boulogne et de Vincennes seront prospectés par des professionnels. En revanche, les parkings et les halls d’immeubles ne seront pas visités, car il s’agit de propriétés privées.

Quelques jours après l’opération de comptage, les autorités disposeront donc d’un chiffre fiable, incontestable, d’autant que l’opération se déroulera à un moment où le nombre de personnes dormant dehors devrait être au plus bas en raison du plan hivernal, avec 1 500 places ouvertes jusqu’au 31 mars, plus 300 places mobilisées temporairement en cas de grand froid. Elles s’ajoutent aux 16 000 places pérennes de la capitale, dont 10 000 dans des centres hébergement et 6 000 dans des hôtels, pour les familles notamment.

La France est démunie dans ce domaine statistique, puisqu’un seul chiffre pour tout le pays a été établi par l’Insee en 2012 : 141 300 personnes sont sans domicile, dont 30 000 enfants. Mais il concerne les « sans domicile », une notion nettement plus large que celle de sans-abri, car elle inclut tous ceux qui sont hébergés dans des centres collectifs ou qui trouvent refuge dans des lieux non prévus pour l’habitation, comme les abris de fortune. D’ores et déjà, on sait que le nombre de 141 500 est dépassé, puisqu’il existe, sur toute la France, 140 000 places d’hébergement, un chiffre qui a doublé depuis 2004 grâce aux efforts de l’Etat.

La municipalité parisienne compte renouveler l’opération chaque année ; la ville de Metz s’est également montrée intéressée.