L’hôpital

JIM - Urgences : il est urgent de ne pas attendre

Mars 2018, par Info santé sécu social

Paris, le lundi 19 mars 2018

Une attente "normale". Telle est la façon dont les responsables du service des urgences de Lyon avait qualifié les huit heures pendant lesquelles une jeune étudiante de 19 ans, originaire du Nicaragua, morte d’une complication rare de son otite, a attendu d’être examinée par un médecin après qu’elle ait été classée en catégorie « 4 », soit celle à prendre en charge le moins promptement. Certes, un aussi long délai est malheureusement habituel aujourd’hui dans ce type de configuration dans les services d’urgences français, mais peut-on le considérer comme « normal ». Une telle conception a révolté les nombreux médecins et infirmiers qui ont réagi à l’article que nous avions publié la semaine dernière sur le sujet et qui a suscité une attention soutenue et inhabituelle. Sans doute n’est-ce pas plus "normal" que la mort sur des brancards d’hommes et de femmes n’ayant pas bénéficié suffisamment rapidement de l’expertise d’un praticien : deux établissements de Rennes ont été confrontés à de tels drames ces derniers jours. Moins dramatique, mais interrogeant tout autant, des patients témoignent de ces très longues heures d’attente, qui n’ont heureusement pas toujours aggravé un pronostic pourtant parfois incertain.

Ne venez qu’en cas d’urgences !
Il ne s’agit pas de phénomènes isolés ou d’une triste loi des séries ou de la tendance des médias à se concentrer sur des faits divers proches au cours d’une même période. Ce sont les symptômes d’un mal chronique, réveillé par la moindre épidémie saisonnière… même quand celle-ci est sur le déclin. Et les chiffres en témoignent : le ministère de la Santé a confirmé que 97 hôpitaux sur les 650 (publics et privés) comptant un service d’urgences ont activé le plan "hôpital sous tension" qui témoigne d’une « situation critique de prise en charge des urgences hospitalières sans pour autant être amenés à déclencher le plan blanc ». De son côté, l’organisation Samu-Urgences de France estime que « plus de 15 000 patients ont passé la nuit sur un brancard des urgences » depuis le début de l’année. On signale également que dans certaines localités, les hôpitaux ont invité les patients à ne consulter les urgences qu’en cas… d’urgence.

Mal chronique
Comment expliquer cette situation qui ne concerne pas de façon aussi aigue l’ensemble des hôpitaux, mais qui touche des structures de tous types et de toutes tailles ? Certains mettent en avant les épidémies saisonnières de gastro-entérite et de grippe. Cependant, leur pic a déjà été dépassé depuis plusieurs semaines, ce qui aurait dû conduire à restreindre l’afflux ; une tendance qui n’a pas été constatée. D’autres évoquent des problèmes chroniques qui se sont encore aggravés à "la faveur" des nouvelles organisations. Ainsi, la difficulté de trouver des lits d’aval est évoquée depuis plusieurs années par les médecins urgentistes. Elle est aujourd’hui aggravée par la fermeture de nombreux services la nuit, à l’heure où la médecine ambulatoire est favorisée.

Scandale et gâchis : des sentiments partagés par tous
Sans surprise, le manque de moyens est évidemment également dénoncé. Selon l’Association des médecins urgentistes de France, 100 000 lits ont été fermés au cours des dix dernières années. En outre, à l’instar de ce qui s’observe dans les maisons de retraite, alors que le nombre de patients progresse avec une multiplication par deux du nombre de passages aux urgences en dix ans (de 10 à 20 millions par an), augmentation liée notamment au vieillissement de la population, mais aussi dans certaines localités à une certaine désertification médicale en ville, les moyens eux n’ont pas été augmentés, voire ont diminué. Les organisations syndicales qui font face à des personnels soignants épuisés et désespérés de la détérioration de l’accompagnement qu’ils peuvent offrir aux malades parlent d’un véritable scandale. De très nombreux praticiens partagent ce sentiment et ce diagnostic comme l’illustrent les commentaires que nous avons reçus la semaine dernière : ils témoignent d’une véritable inquiétude, notamment chez les professionnels de santé qui ont pu faire eux-mêmes l’expérience de conditions d’accueil potentiellement dangereuses. Alors que différents mouvements de grève ont déjà été lancés par certains services d’urgence (comme à Lyon), les personnels hospitaliers sont appelés à la mobilisation le 22 mars prochain. Dans certains établissements, on envisage d’aller plus loin que cette seule journée et des grèves se préparent, comme à Strasbourg où un mouvement débute demain.

Il est plus tard que tu ne le penses
Pourtant, le ministre de la Santé Agnès Buzyn, interrogée sur les différentes réformes lancées ces dernières semaines, dans tous les domaines, ne veut pas croire en une "convergence des luttes". Alors que des dotations financières immédiates seraient probablement nécessaires pour renforcer les moyens humains et techniques des services d’urgences afin de parer au plus simple et au plus pressé, elle se repose avant tout sur la concertation qu’elle vient de lancer avec pour objectif de refonder notre système de santé. Une mission a notamment été confiée au député La République en marche, Thomas Mesnier sur l’organisation des soins non programmés. Les conclusions doivent être remises fin avril.

Il sera déjà bien tard

Car quelle que soit l’importance d’une réflexion sur les causes profondes de cet encombrement des urgences et des mesures structurelles pour y remédier (allant de la réouverture de lits d’aval à la réorganisation des soins d’urgence en ville en passant par une meilleure formation des urgentistes et l’éducation du public, ce qui ne pourra se faire en quelques mois) , il parait indispensable de débloquer immédiatement des moyens humains, techniques et financiers pour faire face à cette crise qui ne pourra qu’aboutir à de nouveaux accidents dramatiques et à une détérioration de la santé de la population.

Aurélie Haroche