L’hôpital

Le Monde.fr : Aux urgences hospitalières, la menace d’un été en sous-effectif

Juin 2018, par infosecusanté

Aux urgences hospitalières, la menace d’un été en sous-effectif

LE MONDE

25.06.2018

Par François Béguin

Après la surchauffe hivernale, le sous-effectif estival. Confrontés à une pénurie de médecins urgentistes et aux congés annuels des titulaires, de nombreux services d’accueil des urgences en France craignent de voir leur fonctionnement perturbé cet été. En plein bras de fer avec les médecins intérimaires, qui s’opposent au plafonnement de leur rémunération, les autorités n’écartent aucune piste pour répondre aux situations les plus critiques.

En région parisienne, quinze sites – hors Paris – sont jugés « en difficulté » par l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France. Une « enquête flash » menée par cette préfecture sanitaire auprès des hôpitaux – et que Le Monde s’est procurée – révèle l’ampleur du problème : au 19 juin, 531 plages de douze heures n’étaient toujours pas pourvues pour juillet, et 711 pour août parmi les quelque 76 % d’établissements ayant répondu. Ce qui représente lors des deux mois d’été près de 600 journées de vingt-quatre heures où il manquera un médecin dans un service d’urgence.

« De plus en plus de démissions »

« Ça risque de coincer beaucoup plus que les étés précédents », alerte Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), qui se dit « inquiet » d’un « allongement des délais d’intervention » et d’une « multiplication des incidents »…

A l’origine du problème : des services d’urgences de moins en moins attractifs. Parmi les hôpitaux franciliens qui ont répondu à l’enquête de l’ARS, 73 médecins urgentistes ont démissionné en 2017 contre 43 en 2015. Le nombre de postes vacants est passé de 103 en 2016 à 148 au 1er janvier 2018. Les heures d’intérim, elles, ont doublé, passant de 15 429 heures à 33 780 heures entre 2015 et 2017.

« Il y a de plus en plus de démissions car de nombreux médecins n’en peuvent plus de faire de l’abattage et préfèrent prendre des postes mieux payés avec moins de contraintes », témoigne Mathias Wargon, le chef des urgences de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis. Et moins il y a de titulaires, plus la charge de travail est importante pour ceux qui restent.

Conséquence : « On n’arrive plus à recruter de médecins, raconte M. Wargon. Je n’ai pas eu une seule candidature française en six mois, j’embauche des médecins étrangers par Skype. » A Meaux, l’urgentiste Thierry Teillet regrette qu’il soit nécessaire de « faire du bricolage, en remplissant les lignes de garde avec des gens qui manquent d’expérience ».

« Des dizaines de trous dans le planning »

Le phénomène touche tout le pays. « Il y a une centaine de services en danger cet été », évalue François Braun, le président de SAMU-Urgences de France. « Alors qu’avant cela ne concernait que les petits établissements, des gros se signalent désormais en difficulté, ce qui nous interroge… », ajoute-t-il.

A l’hôpital Jacques-Cœur de Bourges, la direction a jugé il y a quelques semaines les urgences dans une « situation très préoccupante », avec seulement huit postes occupés sur les vingt-six nécessaires. A l’hôpital de Troyes, « on est vingt-trois là où on devrait être trente-cinq », a récemment déclaré à l’AFP la médecin urgentiste Valéry Flipon, disant redouter un été « absolument catastrophique » avec « des dizaines de trous dans le planning ».

Pour corser une situation déjà compliquée les précédents étés, des médecins intérimaires ont lancé un appel à boycotter tous les hôpitaux appliquant un décret plafonnant à 1 404,05 euros brut la garde de vingt-quatre heures. Estimant avoir été confronté au « mépris » des autorités, qui ont refusé d’entamer des discussions, le syndicat national des médecins remplaçants en hôpitaux (SNMRH) a appelé au début du mois à « durcir le mouvement » à partir du 15 juin. Ses effets se feraient surtout sentir en Auvergne-Rhônes-Alpes et dans le Grand Est.

Recourir à la réserve sanitaire

Pour maintenir leur service, certains directeurs choisissent de ne pas appliquer le décret et continuent de rémunérer leurs intérimaires au-dessus du tarif autorisé, notamment en payant le repos compensateur.

D’autres pourraient choisir de demander aux médecins de reporter leurs congés. Certains, enfin, sont obligés de faire des choix. A Bourges, entre le 10 et le 17 mai, l’hôpital a par exemple dû fermer à quatre reprises sa ligne de service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), faute de médecins urgentistes pour monter dans ce véhicule destiné à traiter les urgences vitales, renvoyant les demandes vers les hôpitaux voisins. Un type de suspension qui pourrait avoir lieu dans plusieurs autres villes au cours de l’été.

L’hôpital de Bourges avait aussi été tenté de recourir à la réserve sanitaire, c’est-à-dire à des médecins retraités volontaires, appelés en cas de « situation sanitaire exceptionnelle ».

Révision de la carte des services d’urgences

Dans une instruction « relative à l’anticipation et à la prévention des tensions dans les structures de médecine d’urgence » adressée le 23 mai à toutes les ARS, le ministère de la santé explique pourquoi il ne faut pas trop compter sur cette aide. « Les ressources et les compétences disponibles au sein de la réserve sanitaire, en particulier durant les périodes de congés, peuvent ne pas être en adéquation avec les besoins exprimés », peut-on y lire.

Dans cette circulaire, le ministère de la santé rappelle que « pour certains établissements, les mesures d’anticipation et d’aménagement de l’organisation (…) pourraient ne pas être suffisantes ». « Se posera alors la question du maintien de l’autorisation de médecine d’urgence », est-il écrit, notamment « lorsqu’il existe une autre structure de médecine d’urgence en proximité. »

A l’été 2015, la fermeture temporaire – puis définitive – du service des urgences de Valognes (Manche), non loin de Cherbourg, faute d’effectifs suffisants pour le faire fonctionner, avait suscité l’émoi parmi la population. La révision de la carte des services d’urgences, à laquelle la précédente ministre de la santé, Marisol Touraine, n’avait pas osé s’attaquer, est désormais programmée « à l’horizon 2020 ».