L’hôpital

Le Monde.fr : Urgences hospitalières : un redéploiement à bas bruit

Juillet 2018, par infosecusanté

Urgences hospitalières : un redéploiement à bas bruit

Des structures publiques ferment et le privé lucratif s’engouffre dans la brèche. Dans certaines régions, des « centres de soins non programmés » remplacent les services traditionnels.

LE MONDE

30.07.2018

Par François Béguin

Après avoir dû fermer la nuit en juillet, les urgences de Saint-Vallier (Drôme) vont devoir suspendre leur activité pendant trois semaines au mois d’août, faute de médecins urgentistes pour en assurer le fonctionnement, a annoncé la direction de l’hôpital, vendredi 27 juillet. Un phénomène qui touche chaque été des « petits » services d’urgences, incapables à cette époque de l’année de parvenir à recruter des médecins remplaçants.
Si ces suspensions suscitent généralement l’inquiétude et la colère des habitants et des élus locaux, c’est parce qu’elles sont souvent le prélude à une fermeture définitive et possiblement à une transformation en centres de soins non programmés (CNSP), aux attributions et aux horaires plus réduits que les urgences.

Entre 1995 et 2016, 95 services d’urgences publics ou privés non lucratif ont été fermés, principalement dans le nord et l’est de la France, selon les données collectées et analysées pour Le Monde par le géographe de la santé Emmanuel Vigneron. Au cours de cette période, 173 – aux trois quarts issus du secteur privé à but lucratif – ont ouvert leurs portes. Soit un solde net en vingt ans de 78 services supplémentaires.
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Les 124 services d’urgences créés depuis 1996 dans les hôpitaux et cliniques privés, qui contribuent largement à ce chiffre positif, l’ont été principalement dans des zones urbaines. Ils sont soumis au même cahier des charges que ceux des hôpitaux publics : ouverture vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, présence de médecins urgentistes… Ils répondent à une demande de soins non prévus mais parce qu’ils disposent généralement de plateaux techniques réduits et de lits de médecine en plus petit nombre, ils prennent moins en charge les personnes âgées polypathologiques qui « embolisent » les urgences des hôpitaux publics.

« Ces urgences privées ont été créées dans une stratégie concurrentielle, décrypte un médecin du public. A partir d’une certaine taille, une clinique ou un hôpital privé n’arrive pas à remplir ses lits qu’avec de l’activité programmée, il lui faut donc recruter de nouveaux patients… »

Structures de proximité

Cette recomposition de la carte des urgences a eu lieu alors que les passages dans ces services ont été multipliés par deux en vingt ans, passant de 10,1 millions en 1996 à 21 millions en 2016. Une hausse qui interroge les autorités sanitaires. Quelle doit être la finesse du maillage de ces services d’urgences ? Comment adapter au mieux l’offre de soins urgents non programmés, alors que le nombre de généralistes libéraux ne cesse de diminuer ?

A la rentrée, doit s’ouvrir le chantier de la réforme des autorisations de médecine d’urgence visant à « repenser l’organisation territoriale à l’horizon 2020 », selon une circulaire publiée par le ministère de la santé, le 23 mai. Hasard du calendrier, cette réflexion devrait être lancée au moment de l’annonce par le chef de l’Etat d’une importante réforme du système de soins.

« Doit-on maintenir les 650 services en France ? Dès lors que l’aide médicale urgente est assurée via un service mobile d’urgence (SMUR), on peut s’interroger », estime François Braun, le président de SAMU-Urgences de France, qui plaide pour une analyse « territoire par territoire ». « Le nombre de services d’urgences est aujourd’hui à un seuil en dessous duquel la population est en danger », prévient pour sa part Christophe Prudhomme, de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) et de la CGT-Santé.

« On ne ferme rien, on réadapte le système en fonction des besoins de la population »
Jean-Yves Grall, le directeur de l’ARS

La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a déjà prévenu qu’elle pourrait être amenée à « fermer certains services d’urgence de proximité la nuit ». Dans les tuyaux, la poursuite du développement de « centres de soins non programmés », comme cela a notamment été le cas ces dernières années à Valognes (Manche), Aunay-sur-Odon (Calvados), Champagnole (Jura), Thann (Haut-Rhin), Longjumeau (Essonne) ou Cluses (Haute-Savoie, en 2013).

La philosophie de ces lieux ? Permettre la prise en charge des soins urgents non vitaux grâce à des médecins qui ne sont plus forcément urgentistes, à des heures d’ouverture correspondant – idéalement – aux heures de plus forte affluence, par exemple jusqu’à 22 ou 23 heures, ainsi que le week-end. Les patients, à qui il pourrait être demandé d’appeler d’abord le SAMU pour une première évaluation, y sont théoriquement plus rapidement pris en charge.

« On pourrait imaginer la mise en place d’un certain nombre de centres de soins non programmés en substitution ou en complément des structures d’urgence existantes », explique un participant aux futures discussions au ministère. Les réflexions récentes sur le sujet, comme celles du député La République en marche de Charente Thomas Mesnier, tournent toutes autour de cette idée consistant à mieux répondre aux soins urgents grâce à des structures de proximité, comme il existe aujourd’hui des maisons médicales de garde pendant les horaires de fermeture des cabinets de ville, sans pour autant systématiquement déployer l’arsenal lourd requis par les urgences.

Sujet sensible

En Auvergne-Rhône-Alpes, l’agence régionale de santé (ARS) a choisi de ne pas attendre un changement du cadre légal pour faire évoluer certains sites. Jusqu’à treize services d’urgence pourraient être transformés d’ici cinq ans en CSNP. « On ne ferme rien, on réadapte le système en fonction des besoins de la population », explique au Monde Jean-Yves Grall, le directeur de l’ARS, en réaffirmant son souhait de voir l’aide médicale urgente vitale « sanctuarisée ». Parmi les critères retenus : la typologie des patients pris en charge, la présence d’un SMUR et l’éloignement d’un autre service d’urgence.

Le sujet est sensible et peut rapidement déclencher de fortes levées de boucliers. La publication, il y a trois ans, par Le Figaro, d’une liste de 67 services en France susceptibles de fermer car sous le seuil des 10 000 passages par an avait suscité l’émoi – et des démentis en chaîne – dans chacune des communes concernées. Jean-Yves Grall, qui avait à l’époque défini ce seuil dans un rapport remis à la ministre de la santé, Marisol Touraine, assure vouloir faire du « sur-mesure » dans sa région. « Il se peut que dans cinq ans on n’ait rien changé », prévient-il, prudent.
D’autres régions réfléchissent à des évolutions similaires. Dans la région Grand-Est, où il existe déjà trois CSNP, l’ARS dit identifier cinq services qui pourraient être amenés à évoluer en ce type de centre. En Ile-de-France, l’ARS explique dans son récent projet régional de santé que dans les prochaines années, « les services d’urgence seront recentrés sur leur cœur de métier en s’appuyant sur le développement d’une offre alternative de services à la population, notamment en ville, là où c’est possible ».

Toutes les régions n’en sont pas au même stade de réflexion sur le sujet. En Occitanie, la directrice de l’ARS, Monique Cavalier, assure que « même s’il y a des endroits pour lesquels la question se pose », elle assure qu’à ce stade « ce n’est pas une réflexion que l’ARS souhaite mener de façon systématique », et elle sera menée « quand le droit nous y autorisera ».